Sous le titre « L’affaire des 15 millions de dollars qui embarrasse le pouvoir » , cette analyse de Christophe Rigaud sur le site web « Afrikarabia » (9 sept. 2019)
« Depuis plusieurs semaines, les soupçons de détournement de 15 millions de dollars des caisses de l’Etat empoisonnent le climat politique congolais. Il faut dire que le sujet est d’autant plus sensible que le nouveau président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption son principal marqueur politique. L’affaire porte sur une somme de 100 millions de dollars versée par l’Etat aux entreprises pétrolières « pour compenser leur manque à gagner ». Sur ces 100 millions, 15% de « décote » devaient revenir au Trésor public congolais. Mais le 17 juillet dernier, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) se penche sur la transaction et affirme que l’Etat n’a jamais vu la couleur des 15 millions de dollars, qui ont été versés sur un autre compte bancaire, contrevenant ainsi « aux dispositions légales et règlementaires régissant les finances publiques », affirme l’IGF.
Kamerhe s’enmêle
Suite à ce rapport, qui fuite sur les réseaux sociaux, comme l’essentiel des documents officiels depuis l’élection controversée de Félix Tshisekedi, les regards se tournent inévitablement sur l’omniprésent directeur de cabinet de la présidence, Vital Kamerhe. Car le 24 août, le très puissant directeur de cabinet, demande par une lettre, qui se retrouve aussi sur les réseaux sociaux (décidément !), l’arrêt de l’enquête menée par l’Inspection générale des finances sur la gestion de l’État depuis l’investiture de Félix Tshisekedi. Deux inspecteurs de l’IGF sont également auditionnés par le bureau du conseiller spécial en matière de sécurité de la présidence, François Beya. Visiblement, le contrôle de l’Inspection générale des finances dérange au plus niveau.
« Où sont passés les 15 millions ?»
Depuis le début de l’affaire, Vital Kamerhe, comme la présidence sont restés silencieux, alimentant la machine à rumeurs qui ne manque pas de s’emballer, notamment sur les réseaux sociaux, où tout le monde se demande « où sont passés les 15 millions ? » Il faudra attendre ce dimanche pour que le directeur de cabinet de la présidence décide de briser le silence et de se confier à Jeune Afrique. Pour Vital Kamerhe, l’affaire est simple : « il n’y a pas eu détournement (…), cet argent n’a pas disparu et le ministre de l’économie qui a autorité sur le comité de suivi des prix pétrolier pourra vous l’expliquer ». Le hic, c’est que le ministre des finances, tout juste nommé, n’a toujours rien dit et que Vital Kamerhe ne sait donc visiblement pas où se trouve cet argent. Seul aveu gênant du directeur de cabinet : il a bien demandé la suspension de l’audit et écrit en ce sens au ministère des finances, ce qui prouve que le courrier qui a fuité sur internet n’était pas un faux. Un aveu qui met en doute la sérénité de la présidence dans cette affaire.
Comment en est-on arrivé-là ? « L’affaire des 15 millions » résume à elle seule les 8 premiers mois de mandat de la présidence Tshisekedi, dont 7 passés sans gouvernement. Pendant ce long temps de tractations à l’infini pour tenter de composer une liste gouvernementale qui convienne à la fois à l’UDPS, à l’UNC et aux dizaines de partis composant le FCC, la présidence a dû enclencher dans la précipitation ses premières mesures d’urgence, sans passer directement par les ministères concernés. Des décisions et des décaissements d’argent ont été prises de manière peu orthodoxes, bousculant les administrations. C’est en tout cas le message que souhaite faire passer la présidence. Mais pour croire cette petite musique que tente de faire passer la présidence, il faudrait mener une enquête sérieuse et indépendante pour faire la lumière sur les 15 millions. Pour cela, pourquoi ne pas avoir laisser travailler l’IGF, visiblement capable de tracer la somme, qui aurait ensuite été retirée en plusieurs fois par des cadres du ministère de l’économie ?