La foule des fidèles n’est pas seulement touchée par l’affection démonstrative que le pape lui voue lors de ses apparitions publiques. Ceux-ci et tous les autres lisent aussi ses interviews dans la presse : après celle de Spadaro pour l’intelligenzia cléricale dans la « Civilta Cattolica » et celle de Scalfari, publiée par épisodes promis à une large audience dans la « Repubblica », on trouve aussi -quelques crans plus bas- le reportage de Caroline Pigozzi : dans « Paris Match » cette semaine, la "spécialiste" des scandales du Vatileaks brode autour de sa visite à François sur deux pleines pages, auxquelles s’ajoutent deux photos chacune sur deux pages. Soit pas moins de six pages en tout.La « com » dans la presse people et autre est-elle en passe de remplacer les encycliques ? C’est la question que pose Sandro Magister sur le blog « chiesa » (Les encycliques ont un nouveau format: l'interview) :
« ROME, le 7 octobre 2013 – Les jours passent et les deux interviews accordées par le pape François l’une au jésuite Antonio Spadaro, directeur de "La Civiltà Cattolica", et l’autre à Eugenio Scalfari, athée proclamé et fondateur du principal quotidien laïc italien, "La Repubblica", apparaissent de plus en plus comme des points de repère dans ce début de pontificat.
Dans ces deux interviews, Jorge Mario Bergoglio explique quels sont les critères qui l’inspirent, il dit quelle est sa vision de l’état actuel de l’Église, il indique quelles sont ses priorités, il énonce son programme.
Il est également très explicite quand il mentionne les points sur lesquels il prend ses distances par rapport à ses prédécesseurs Benoît XVI et Jean-Paul II:
> Le virage de François
L’adoption de la forme de l'interview pour communiquer avec les fidèles et avec le monde est une décision que le pape actuel a longtemps hésité à prendre.
Le 22 juillet encore, lors de son voyage aller vers Rio de Janeiro, il s’était dérobé face aux journalistes : "À vrai dire, je ne donne pas d’interviews, mais je ne sais pas pourquoi, je ne peux pas, c’est comme cela... Pour moi c’est un peu fatigant". Mais ensuite, pendant le voyage de retour, il s’est prêté à une longue séance de questions-réponses sans préparation et sans protection, sur tous les sujets qui lui ont été proposés :
Une phrase qu’il a prononcée au cours de ce voyage a eu l’effet d’une bombe et elle a fait le tour du monde, lui apportant une énorme quantité d’approbations de la part de l’opinion publique laïque : "Si une personne est gay et cherche le Seigneur et qu’elle est de bonne volonté, mais qui suis-je pour la juger ?". Serait-ce une phrase qui lui aurait échappé dans le feu de l’improvisation ? Pas du tout. Non seulement le pape François l’a reprise dans la plus calibrée de ses interviews ultérieures, celle qu’il a accordée à "La Civiltà Cattolica", mais il l’a développée. En y ajoutant un corollaire à l’effet tout aussi explosif : "L'ingérence spirituelle dans la vie personnelle n’est pas possible".
L'interview accordée à "La Civiltà Cattolica" a été le fruit d’une série d’entretiens entre le pape et celui qui l’interviewait. Elle a été mise par écrit avec beaucoup de soin. Elle a été contrôlée mot par mot par l’auteur avant impression. Elle a été publiée simultanément le 19 septembre par seize revues de la Compagnie de Jésus, en onze langues :
On peut donc considérer à juste titre qu’elle constitue la première véritable "encyclique" du pape François et qu’elle est bien plus son œuvre que "Lumen fidei", qui est de facture classique et qu’il a héritée de Joseph Ratzinger.
Une "encyclique" nouvelle par le format : justement celui de l’interview, qui vise à en faciliter la lecture et à en favoriser la diffusion. Nouvelle également par le degré d’autorité, qui est indubitablement moindre que celui des actes de magistère proprement dits mais qui peut cependant toujours être rattaché au "munus" pontifical.
Depuis ce moment, le pape François montre qu’il apprécie particulièrement cette modalité de communication. L'interview réalisée par Scalfari en est la preuve. En se confiant à une personnalité très connue de la pensée laïque et à un journal à fort impact sur l’opinion publique tel que "La Repubblica", le pape a obtenu un niveau d’écoute infiniment supérieur à celui de l'interview qu’il a accordée à "La Civiltà Cattolica". Il l’a fait en prenant consciemment des risques. L'interview a été publiée dans "La Repubblica" du 1er octobre, sous la signature de Scalfari, sans que le pape François en ait lu le texte au préalable. Mais, le même jour, "L'Osservatore Romano" l'a reproduite intégralement et le site officiel vatican.va l’a à son tour mise en ligne parmi les "nouvelles" du moment, comme il le fait pour les autres discours du pape. C’est le signe que le pape François la reconnaît comme une transcription fidèle de sa pensée.
Pour ce qui est du contenu, l'interview accordée à Scalfari aborde, comme celle de "La Civiltà Cattolica", toutes sortes de sujets, même si elle le fait plus brièvement.
Elle y ajoute des éléments nouveaux, mais en reprend certains qu’elle réaffirme. En particulier ce passage concernant la subjectivité de la conscience qui est celui qui avait soulevé le plus d’objections. Là encore sans diluer ou atténuer ses propos précédents. Mais plutôt en les renforçant : "Chacun de nous a son idée en ce qui concerne le Bien et le Mal et il doit choisir de suivre le Bien et de combattre le Mal tels qu’il les conçoit".
Dans la préface du premier volume de sa trilogie consacrée à Jésus, Joseph Ratzinger-Benoît XVI avait écrit : "Ce livre n’est pas un acte magistériel ; par conséquent chacun est libre de me contredire". Le pape François ne dit pas cela expressément. Mais on peut présumer que cette liberté s’applique aussi à lui, quand il adopte une forme d’expression aussi clairement ouverte à la controverse que l’interview.
On trouvera ci-après le texte complet d’un vigoureux échantillon de contradiction suscité par les interviews du pape François : le professeur Pietro De Marco, qui est l’auteur de cette note, est enseignant à l'université de Florence et à la faculté de théologie d'Italie centrale. JPSC :