D' Alexandre Devecchio sur le Figaro Vox :
«L'idéologie libérale-libertaire est le dernier avatar de la religion du Progrès»
Un entretien publié en janvier mais qui, en cette période électorale, garde toute son actualité
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Avec «Voyage au bout des ruines libérales-libertaires», l'écrivain Matthieu Baumier analyse les raisons idéologiques des maux de l'époque. Il voit dans le libéralisme économique et le primat du désir individuel les deux faces, gauche et droite, d'une même idéologie vouée selon lui à l'échec.
Matthieu Baumier est écrivain et essayiste, et collabore régulièrement à plusieurs revues. Il a notamment publié La démocratie totalitaire. Penser la modernité post-démocratique (Presses de la Renaissance/Plon, 2007). Voyage au bout des ruines libérales libertaires (Pierre-Guillaume de Roux éditeur) vient de paraître.
FIGAROVOX.- Votre livre s'intitule «Voyage au bout des ruines libérales-libertaires». Comment définissez-vous l'idéologie «libérale-libertaire»?
Matthieu Baumier.- Le terme «idéologie» peut désigner un ensemble d'idées plus ou moins organisées ou acceptées, susceptibles d'orienter les comportements des individus. Si l'on s'en tient à cette définition, l'idéologie libérale-libertaire est à l'évidence l'idéologie de notre temps, celle qui structure notre société. Pour Jean-Claude Michéa, c'est la rencontre entre la pensée économique libérale et ce qu'il nomme la pensée libertaire, en référence au primat du désir individuel qui s'est imposé. L'analyse me semble juste. Ce primat de l'individu est le point commun entre le social-libéralisme, ce que nous appelons habituellement la «gauche», et le libéralisme-social, ce que nous appelons en général la «droite». Pour moi, ce sont les deux faces d'une même idéologie. Il n'y a pas de différence fondamentale entre ces prétendues droite et gauche. Les promoteurs de l'idéologie libérale-libertaire exercent le pouvoir depuis 40 ans, en rejetant aux extrêmes qui pense autrement qu'eux. 2017 n'est pas la victoire d'une nouvelle manière de faire de la politique mais la poursuite du même pouvoir idéologique libéral-libertaire par d'autres moyens. Cette idéologie est de de mon point de vue encore plus ample: c'est une véritable foi en l'illimité et la certitude qu'il n'y aurait qu'un chemin unique. Elle est ainsi le dernier avatar de la religion du Progrès. Je parle évidemment du progrès en tant qu'idéologie, selon laquelle nous marcherions vers un monde meilleur sous réserve de prendre avec volontarisme le chemin en main, ou en marche, et non des progrès que connaît toute société.
Le primat de l'individu est le point commun entre le social-libéralisme et le libéralisme-social.
Cette idéologie a-t-elle paradoxalement dévoyé l'idéal de liberté, au point de présenter une dérive totalitaire?
Plutôt totalisante: c'est la pensée dominante dans le monde politique, intellectuel, culturel et médiatique. L'idéal de liberté du libéralisme est en effet dévoyé, un peu comme si les idées libérales étaient devenues folles. Comme toute idée politique, le libéralisme est multiforme, il peut tendre vers différents devenirs. Une forme de libéralisme s'est radicalisée pour devenir oligarchique. Une minorité d'individus, à l'échelle planétaire, ayant tous la même vision du monde, détient l'essentiel des rênes du pouvoir et œuvre à instituer ce mode de fonctionnement à l'échelle globale, en s'appuyant sur l'industrie du bonheur, sur «l'happycratie». Ce modèle libéral-oligarchique est producteur de ruines, en général, et de sa propre ruine en particulier. La folie de la répartition des richesses et du pouvoir en un nombre toujours plus restreint d'individus confine à la maladie mentale: comment amasser toujours plus dans un monde dont les ressources sont naturellement limitées?