Père Jacques-Marie Guilmard,
moine de Solesmes, responsable des Archives de Dom Guéranger
Vous participez à l’organisation de la clôture de l’Année Jubilaire de Dom Guéranger, à saint-Denis. De quoi s’agit-il ?
PG Dom Guéranger a été un grand serviteur de l’Église au 19e siècle (1805-1875). Son rôle de restaurateur monastique, de liturgiste, de confesseur de la foi, était jadis très connu. Désormais, on le redécouvre à l’occasion de son procès en canonisation qui est ouvert depuis quelque temps. Bien des éléments de son existence révèlent, semble-t-il, une vraie sainteté. Les membres de l’Association pour la canonisation de Dom Guéranger (ACDG) ont voulu célébrer les 150 ans de sa mort, par une Année Jubilaire qui recouvre une Année Liturgique complète depuis le 1er dimanche de l’Avent 2024 jusqu’à la fête du Christ-Roi 2025.
Juste auparavant le Christ-Roi, il y a la fête de sainte Cécile.
PG Oui, Dom Guéranger aimait beaucoup sainte Cécile, la Reine de l’Harmonie. Par sa prière, Cécile doit préparer les cœurs, les nations, les sociétés, l’Univers à l’Harmonie du Règne du Christ.
Pourquoi allez vous à Saint-Denis ?
PG L’idée est venue spontanément à l’Association pour la Canonisation de Dom Guéranger. L’idée était juste, et elle a été confortée au fur et à mesure. Dom Guéranger fut l’homme de l’Église et de l’Église romaine. Or Saint-Denis a été marquée très tôt par la papauté. Le pape Étienne II quitte Rome pour obtenir le secours de Pépin-le-Bref. Il arrive en 754 à Saint-Denis, et il en profite pour sacrer roi Pépin, ainsi que ses deux fils Carloman et Charlemagne. Pépin a été formé à Saint-Denis, et plus tard il y sera enterré. Ces sacres sont le début de la réforme carolingienne qui donnera naissance à une Civilisation marquée par l’autorité spirituelle de l’Église de Rome sur une grande partie de l’Occident.
Dom Guéranger a été moine et abbé, mais non pas à Saint-Denis ?
PG Certes, mais la reprise de la vie bénédictine à Solesmes en 1833 se rattache au monachisme pratiqué à Saint-Denis. Malgré les différences, Solesmes fut une nouvelle pousse de la vie monastique qui prolongea le millénaire bénédictin grandiose de Saint-Denis. On notera d’ailleurs, qu’avant même la reprise de la vie monastique à Solesmes, on avait proposé au jeune abbé Guéranger de s’installer dans l’antique abbaye.
Dom Guéranger est aussi l’homme de la liturgie et du chant grégorien. Saint-Denis n’est pas concerné !
PG Justement, si. On sait depuis quelques années que le chant grégorien de l’Office bénédictin a été diffusé depuis Saint-Denis, à partir de 834 environ. En effet, c’est à ce moment-là que Hilduin, l’abbé de Saint-Denis, écrivit une biographie précisément de saint Denis et qu’il adopta pour son monastère la Règle de saint Benoît – ce qui n’était pas encore le cas. Hilduin devait donc adapter le chant grégorien de l’Office séculier aux lois liturgiques propres à la nouvelle Règle. Or, on constate que tous, absolument tous les livres de chant grégorien conformes à la Règle de saint Benoît, incluent la célébration de saint Denis comme personne – qui, hors du monastère Saint-Denis, n’était guère célébré. C’est exactement ce chant que va restaurer Dom Guéranger, 1000 ans plus tard.
Dom Guéranger connaissait-il le lien rattachant ce chant à Saint-Denis ?
PG Non, bien sûr, car ce que j’ai mentionné, est un aspect de la vie de l’abbé Hilduin de Saint-Denis que l’on a découvert récemment.
Pourtant, il est certain qu’au plan biographique, on a faussement identifié en un seul personnage plusieurs saints portant le nom de Denis.
PG Il y a eu effectivement plusieurs Denis. Mais ils composent une unique figure au triple visage. On connaît l’évêque missionnaire décapité à Montmartre, dont la légende dit qu’il a porté sa tête jusqu’à l’actuelle église Saint-Denis. Il y a surtout le Denis, surnommé d’un qualificatif compliqué le Pseudo-Aréopagite. Il fut l’auteur de plusieurs ouvrages de mystique qui ont eu un rayonnement majeur dans l’Occident jusqu’au 17e siècle, et dont le même Hilduin fut le premier à propager les écrits.







