De L. Vanbellingen sur le site de l'Institut Européen de Bioéthique :
Analyse - Affaire Mortier : que dit la Cour européenne des droits de l'homme de la loi belge sur l’euthanasie ?
04/10/2022
Dans un arrêt rendu ce mardi, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la Belgique a violé le droit à la vie d’une patiente euthanasiée pour cause de dépression en 2012.
Cette affaire Mortier c. Belgique – du nom du requérant, fils de la personne euthanasiée – constituait la première affaire dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme était amenée à apprécier la compatibilité d’une euthanasie déjà pratiquée avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Tom Mortier invoquait la violation du droit à la vie de sa mère, protégé par l’article 2 de la Convention, et du droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention.
Tout en considérant que les conditions prévues par la loi belge sur l’euthanasie ne sont pas contraires à la Convention, la Cour estime néanmoins que, s’agissant de l’euthanasie de la mère du requérant, le contrôle a posteriori était inopérant. De ce fait, les juges concluent à l’unanimité à la violation du droit à la vie par la Belgique, dans la mesure où les autorités n’ont pas pris les mesures positives qui s’imposaient pour protéger ce droit.
La CEDH ne confère pas de droit à l’euthanasie, mais permet celle-ci sous conditions
La Cour rappelle sa jurisprudence antérieure, en vertu de laquelle il n’existe pas de droit à mourir avec l’assistance d’un tiers ou de l’État (§ 119, voy. les arrêts Pretty c. Royaume-Uni et Lings. c. Danemark) au sens de la Convention. Réciproquement, aux yeux des juges majoritaires, le droit à la vie tel que consacré par la Convention n’interdit pas en soi la pratique de l’euthanasie (§ 138).
Le juge Serghides, dans son opinion partiellement dissidente, se démarque de cette interprétation évolutive et considère que « si les rédacteurs de la Convention avaient voulu faire figurer l’euthanasie dans la liste des exceptions au droit à la vie, ils l’auraient incluse » dans la Convention, ce qui n’est pas le cas.
En l’espèce, la Cour considère que la pratique de l’euthanasie telle que dépénalisée par la Belgique peut être considérée comme compatible avec la Convention, sous réserve du respect de trois conditions, à vérifier dans chaque cas (§ 141) :
1° « l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif relatif aux actes préalables à l’euthanasie conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention »
2° « le respect du cadre législatif établi dans le cas d’espèce »
3° « l’existence d’un contrôle a posteriori offrant toutes les garanties requises par l’article 2 de la Convention »
Le cadre législatif belge est jugé conforme à la CEDH, y compris pour l’euthanasie en cas de dépression
En premier lieu, selon les juges majoritaires, les conditions mentionnées dans la loi belge s’avèrent compatibles avec le droit à la vie. La Cour tient également compte des exigences supplémentaires prévues lorsqu’un patient demande l’euthanasie pour cause de souffrance psychique et non physique, alors que sa mort n’est pas attendue à brève échéance (§ 148-153). La Cour cite notamment le délai d’un mois requis entre la demande formelle d’euthanasie et l’acte d’euthanasie, ainsi que l’exigence relative à la consultation d’un médecin supplémentaire, indépendant tant à l’égard du patient qu’à l’égard du médecin traitant, et qui doit être compétent quant à la pathologie concernée (§ 151).