D'Eléonore de Nouël et Paul Sugy sur le site du Figaro Vox (LeFigaro.fr) :
«La GPA est entourée de mensonges» : le témoignage de Kelly, mère porteuse américaine
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Kelly a été mère porteuse à trois reprises, dans le Dakota, un État américain où la GPA est autorisée. Face à ceux qui décrivent cette pratique aux États-Unis comme «éthique», son témoignage fait retentir au contraire la détresse d'une femme qui, comme beaucoup d'autres, s'est sentie trahie. D'après elle, les agences qui lui ont proposé ce «travail» ne l'ont jamais mise en garde contre les risques physiques, juridiques et psychologiques qu'il comporte.
Un documentaire sur le témoignage de Kelly, «Bif Fertility», a été réalisé par Jennifer Lahl en 2018 et traduit en français par La Manif pour tous. Cette infirmière a accompagné de nombreuses mères porteuses qui avaient des difficultés pour se reconstruire après des gestations pour autrui éprouvantes. Elle a proposé à Kelly de se faire leur ambassadrice, pour lutter contre une pratique qui ne se maintient selon elle qu'au prix de nombreux mensonges.
FIGAROVOX.- Quelles sont les raisons qui vous ont poussée, pour la première fois, à cliquer sur l'annonce d'une agence et à vous proposer pour être mère porteuse?
Kelly MARTINEZ.- La première fois, je suis tombée sur une annonce par hasard sur Internet. Ma situation à l'époque n'était pas simple car à 19 ans j'étais déjà mariée, et mère de deux enfants. Mon époux n'avait pas d'emploi stable et nous avions vraiment besoin d'argent. J'ai donc postulé comme on candidate pour n'importe quel emploi, en me disant que cette offre était une aubaine: on me proposait 25 000 $! Il faut dire aussi que je ne savais pas vraiment en quoi cela consistait: je ne connaissais personne qui avait fait cela avant moi. Je vivais dans des cercles plutôt catholiques et conservateurs ; beaucoup de gens autour de moi n'ont d'ailleurs pas compris mon choix.
Comment s'est passée ensuite cette première gestation pour autrui?
Assez mal, je dois le reconnaître. Déjà, j'avais notifié à l'agence que je ne souhaitais pas porter un enfant pour un couple d'homosexuels parce que je voulais une femme qui m'accompagne pendant la grossesse ; mais finalement ils m'ont quand même mise en relation avec un couple de deux hommes, vivant à Paris. On a cherché à me persuader, en me faisant comprendre que j'étais leur seul espoir… Et on ne m'a pas laissé le choix. Pas plus qu'on ne m'a laissé choisir le nombre d'embryons implantés: on en implante systématiquement deux dans l'espoir que l'un des deux au moins survive, et c'est ainsi que je me suis retrouvée enceinte de jumeaux. C'était d'ailleurs plus lucratif: comme dans n'importe quel marché, plus on travaille et plus on gagne d'argent, et pour des jumeaux, l'agence touchait plus d'argent et moi j'étais mieux payée que pour un seul embryon.
Ensuite, on m'a forcé aussi à mettre mon nom sur l'acte de naissance alors que ce n'était pas ce qui était prévu dans le contrat initialement. Ce n'est d'ailleurs qu'en invoquant cette condition que j'avais réussi à persuader mon mari de me laisser faire cette gestation pour autrui: il était explicitement spécifié que mon nom n'apparaîtrait nulle part. Mais la nuit avant le transfert de l'embryon, l'agence m'a appelée pour me prévenir de ce qu'ils appelaient une «formalité»: les enfants naîtraient à mon nom, et l'acte de naissance serait réécrit aussitôt l'adoption faite. Là encore on m'a forcée: si je refusais, je devais rembourser l'intégralité des frais de clinique déjà avancés. Évidemment je ne pouvais pas rembourser, j'avais déjà en partie consommé les sommes avancées… j'étais prise au piège.