De Tugdual Derville sur le site de RCF :
Gilets jaunes : gare au chaos !
Le mouvement des "gilets jaunes" me paraît typique de l’histoire de France. Il me fait penser aux jacqueries du passé qui enflammaient le peuple exaspéré par le pouvoir central. L’ancien régime se finançait par la fameuse gabelle, l’impôt sur le sel, en monopolisant son stockage et sa distribution. Denrée nécessaire, le sel jouait le rôle de notre essence, rapportait d’indispensables revenus à la couronne… et provoquait des rébellions. Notre histoire est émaillée d’émeutes liée au sel. Connaissez-vous les Bonnets rouges ? Pas ceux qui ont fait reculer l’écotaxe, mais ceux de 1675. Déjà en Bretagne, ils contestaient les taxes sur les timbres, le tabac et le sel. Plus tôt, la gabelle avait provoqué la révolte des Nus-pieds en Normandie. Cet impôt, déjà complexe, générait des exemptions, des fraudes et une économie parallèle. Sa suppression pouvait ruiner des milliers de malheureux qui vivaient du trafic. Sur ce plan, le relais semble pris par le tabac et le cannabis.
Rien de nouveau donc sous le soleil avec nos gilets jaunes. Les réseaux sociaux ont tout de même permis à cette jacquerie d’être générale, flexible, presque impossible à canaliser. Les protestataires se sentent pressurisés et méprisés ; aucun corps intermédiaire pour les représenter ou réguler la violence. Quand on sait celle qu’un conducteur peut générer avec son véhicule, on ne s’étonne ni des morts, ni des blessés car ce sont des êtres humains fragiles qui barrent les routes. Je ne sais pas si cette idée est aussi « géniale » que l’a dit le député Lassale après avoir arboré le jaune fluo dans l’hémicycle. En voyant des scènes opposant les mêmes concitoyens – je veux dire ceux qui ont les mêmes difficultés, et qui se sentent abandonnés par les élites parisiennes – les uns tentant de se rendre à leur travail en voiture, les autres tentant de les en empêcher, en entendant les altercations devant des forces de l’ordre débordées, j’ai pensé à Ravage de Barjavel. Ce roman d’anticipation décrit une France sombrant dans l’anarchie puis la barbarie, à partir d’un incendie catastrophique. Pillages, massacres, règlements de comptes.
Nous en sommes capables, autant aujourd’hui qu’hier. Comme au temps des guerres de religion, de la Terreur et, plus récemment, pendant l’occupation nazie ou au moment de l’épuration qui suivit la Libération. Brutalité, vengeance, justice expéditive. Le peuple manque de repères. Certains n’ont rien à perdre. Les cités sont hors-la-loi. Nos chefs sont déconsidérés. Gare au chaos ! Et place aux bâtisseurs de paix.
Un autre regard, celui d'Alain de Benoist, Intellectuel, philosophe et politologue :
« Les gilets jaunes ? La revanche des ploucs émissaires ! »
La France, depuis une dizaine de jours, vit à l’heure des gilets jaunes, et les commentaires sont déjà nombreux. Feu de paille ou vague de fond ? Nouvelle fronde ? Nouvelle jacquerie ? Quel est votre sentiment ?
Il y a cinq ans, presque jour pour jour, le 23 novembre 2013, vous m’aviez interrogé sur le mouvement des bonnets rouges. J’avais alors attiré votre attention sur le fait que « tous les mouvements de protestation ou de révolte d’une certaine ampleur auxquels nous assistons aujourd’hui naissent en marge ou à l’écart des partis et des syndicats, lesquels ne sont de toute évidence plus capables d’incarner ou de relayer les aspirations du peuple ». Ma conclusion était celle-ci : « Un seul mot d’ordre : des bonnets rouges partout ! » Eh bien, nous y sommes : les gilets jaunes, ce sont les bonnets rouges partout. Après des années et des années d’humiliation, de paupérisation, d’exclusion sociale et culturelle, c’est tout simplement le peuple de France qui reprend la parole. Et qui passe à l’action avec une colère et une détermination (déjà deux morts et 800 blessés, plus qu’en mai 68 !) qui en disent long.