D'Aline Lizotte sur le site "Smart Reading Press" :
DEUX TYPES DE PRÊTRES : HÉTÉROSEXUELS ET HOMOSEXUELS ?
Confrontée aux scandales d’agressions sexuelles sur mineurs, la Conférence épiscopale américaine est engagée dans la mise en place d’un dispositif de gestion de crise, sous le contrôle du Vatican. Une gestion qui ne peut porter des fruits que moyennant une juste détermination des comportements en cause.
Mercredi dernier, le 14 novembre, le journal La Croix publiait un article étonnant pour rendre compte de la lettre du préfet de la Congrégation des évêques, le cardinal Marc Ouellet, demandant à la Conférence épiscopale américaine de ne pas voter sur la proposition d’un «Code de conduite» qui s’adresserait aux évêques et édicterait des règles de comportement quant à la gestion des agressions sexuelles sur mineur possiblement commises par certains prêtres à l’égard desquels s’exerce leur juridiction. Le correspondant romain du journal expliquait l’intervention du Vatican comme une tentative de la part du Siège apostolique de maîtriser une opposition montante de l’épiscopat américain contre le pape François, qui voudrait des sanctions plus dures pour contrer «la légèreté» (sic) avec laquelle certains épiscopats – dont celui des États-Unis – ont traité la question de l’abus sexuel jusqu’ici. La nomination de Mgr Charles Scicluna comme secrétaire adjoint de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (CDF) est un signe de la volonté du pape à ce sujet, ajoute le journaliste. Il serait l’incarnation de la «tolérance zéro».
Accuser l’Église américaine de «légèreté» dans sa façon de gérer la crise des agressions sexuelles est pour le moins étonnant. C’est oublier qu’au moment de la crise des années 2002-2005, la Conférence épiscopale américaine (United States Conference of Catholic Bishops, USCCB) créa en juin 2002 la Charte pour la protection des enfants et des jeunes (Charter for the protection of children and young people) et, en application, elle érigea deux corps juridiques : l’Office pour la protection de l’enfant et des jeunes (OCYP) et le National Review Board (NRB), un groupe d’éminents laïcs. Ces deux organismes donnèrent à l’Église américaine les moyens d’agir. C’est ainsi que fut mandatée une importante commission d’enquête conduite par des professionnels, le John Jay College, sur la question des abus sexuels commis entre 1950 et 2010, et dont les deux rapports ont été publiés : The Causes and Context of Sexual Abuse of Minors by Catholics Priests in the United States 1950-2010 et The nature and Scope of the problem of Sexual Abuse of Minors by Catholic-Priests in the United States 1950-2010. On ignore aussi que le mot-clé «tolérance zéro» n’a pas été créé par Mgr Scicluna, mais par l’épiscopat américain, et qu’à l’époque il a suscité de la méfiance au Vatican.
Si Mgr Scicluna est renommé comme secrétaire adjoint de la CDF, il revient au poste que lui avait assigné Benoît XVI quand il voulut, de façon claire, retirer les causes des agressions sexuelles commises par le clergé au tribunal romain de La Rote et les intégrer à la CDF. C’est le pape François qui a éloigné Mgr Scicluna de ce poste en le nommant archevêque de Malte. Enfin, c’est encore ignorer que les évêques américains envoient chaque année à l’USCCB un rapport sur les agressions sexuelles dénoncées et sur celles qui font l’objet d’une enquête sérieuse, et que ce rapport global a publiées. Il montre que les mesures prises par l’épiscopat américain ont ramené les véritable cas d’agressions sexuelles à quelques prêtres chaque année, et que l’on est loin des 4 % de prêtres et de religieux recensés par le rapport du John Jay College pour les années 1950-2010.
Un «Code de conduite», même voté à l’unanimité, n’oblige aucun évêque à l’accepter dans son diocèse.
Il semble, selon les bruits de couloir au Vatican – ce qui rend l’information suspecte mais non invraisemblable – que la demande transmise par le cardinal Ouellet porte sur des questions juridiques. Les règles émises par la Conférence de l’USCCB pourraient enfreindre le pouvoir de juridiction dont chaque évêque titulaire jouit selon un droit qui lui est propre. En effet, un «Code de conduite», même voté à l’unanimité – ce qui n’est pas le cas –, n’oblige aucun évêque à l’accepter dans son diocèse. La conférence épiscopale n’est pas, canoniquement et théologiquement, une autorité supérieure à celle de l’évêque. Les canonistes du Vatican veulent donc avoir le temps d’y mettre leur nez pour que ce document soit acceptable, et par conséquent utile.