En accueillant le pape François, dimanche 29 novembre, à l’occasion de sa visite à Bangui, la présidente de transition de la République centrafricaine, Catherine Samba-Panza, a demandé « pardon » au nom des dirigeants ayant contribué à la « descente aux enfers » de son pays. Discours publié sur le site de « La Croix » :
« Très Saint-Père,
Leurs éminences les cardinaux, évêques et dignitaires religieux de toutes les obédiences,
Distingués membres du clergé catholique, des églises protestantes, des mosquées et de différents cultes,
Distinguées personnalités du monde entier qui ont bien voulu se joindre à nous en cette occasion exceptionnelle,
Mes chers compatriotes unis en ce jour mémorable dans notre diversité,
Au regard des incertitudes qui ont, un temps, entouré la visite du pape en terre centrafricaine, sa présence effective parmi nous aujourd’hui est vécue comme une bénédiction du ciel. Cette présence effective du pape François à Bangui est également perçue comme une victoire. Une victoire de la foi sur la peur, sur l’incrédulité et une victoire de la compassion et de la solidarité de l’église universelle. Nous nous en réjouissons tous et gloire soit rendue à Dieu pour cela.
C’est pourquoi, ces 29 et 30 novembre 2015 sont des jours à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de notre pays. Car en ces jours historiques, nous sommes le cœur de l’Afrique, la fierté d’une région.
Remplie de joie et d’allégresse, je souhaite très solennellement la bienvenue au pape François, ainsi qu’a toute sa délégation. « Nzoni gango na sesse ti be Afrika, Tobwa Francois ». Le peuple centrafricain se joint également à moi pour vous dire du fond du cœur « Singuila mingui » ainsi qu’à toutes les personnes qui ont effectué le déplacement à Bangui pour cet important événement.
Très Saint-Père,
Le contexte politique du moment, les menaces sécuritaires réelles ou amplifiées qui ont émaillé les préparatifs de votre visite, la résurgence ces derniers jours des mouvements extrémistes et du terrorisme avec une violence omniprésente, auraient pu vous décourager à prendre le risque de faire le déplacement de Bangui. Il n’en est rien. La leçon de courage et de détermination est ici exemplaire et devrait nous enseigner. Vous avez toujours manifesté votre solidarité aux victimes de la crise centrafricaine, en encourageant les hommes et les femmes de Centrafrique, toutes obédiences religieuses confondues, à rester mobilisés pour reconstruire la cohésion nationale. Aujourd’hui, Vous leur confirmez une fois de plus et aux yeux du monde entier que Vous êtes à leurs côtés dans la fraternité et l’amitié universelles entre les hommes. Vous avez surtout démontré une fois de plus que vous êtes le pape des pauvres, des meurtris et de tous ceux qui sont dans la détresse.
Vous avez en effet choisi de visiter un pays détruit dans ses fondements par plusieurs décennies de crises à répétition, un pays qui vit des drames au quotidien. Vous avezdécidé de venir témoigner votre compassion et votre solidarité à un peuple tenaillé par la haine et l’esprit de vengeance, déchiré par des conflits interminables mais qui, malgré tout, n’a pas totalement perdu sa foi et est toujours debout par la force de l’espoir.
Au nom de cette foi, je veux commencer par implorer, à travers vous, la miséricorde de Dieu tout puissant au seuil de cette visite que tous les Centrafricains sans distinction attendaient dans la ferveur et l’espérance. Votre présence nous apporte la lumière de la visitation divine qui vient illuminer et transfigurer nos cœurs dans la repentance.
Très Saint-Père,
La République centrafricaine, notre pays, a été fondée par un homme d’Église, Barthélémy Boganda dont la vision, en tant que serviteur de Dieu et homme d’État était de placer l’homme et la femme créés à l’image de Dieu au cœur du développement du pays sans distinction ethnique, religieuse ou sociale. Cette vision de « Zo kwe zo » prône l’unité nationale, l’humanisme et le respect de l’être humain. Mais les filles et les fils du pays n’ont pas su gérer l’héritage spirituel, moral, politique et social de notre Père fondateur. Il s’est ensuivi une histoire tumultueuse caractérisée par des crises à répétition. Notre pays, n’a ainsi pas été épargné de vents dévastateurs qui ont semé la désunion et la méfiance jusqu’à la violence entre ceux qui appartiennent à un même socle, à une même nation. Des Centrafricains ont infligé des souffrances inqualifiables à d’autres Centrafricains.
C’est pour cela qu’il revient aux filles et aux fils de ce pays de reconnaître leurs fautes et demander pardon, un pardon sincère que votre bénédiction transformera en un nouveau levain pour la reconstruction du pays.
Au nom de toute la classe dirigeante de ce pays mais aussi au nom de tous ceux qui ont contribué de quelque manière que ce soit à sa descente aux enfers, je confesse tout le mal qui a été fait ici au cours de l’histoire et demande pardon du fond de mon cœur.
Très Saint-Père,
Nous avons absolument besoin de ce pardon à l’occasion de votre visite simplement parce que les dernières évolutions de la crise dans notre pays sont apparues comme des abominations commises au nom de la religion par des gens qui se disent des croyants. Or, comment être croyants et détruire des lieux de culte, tuer son prochain, violer, détruire des biens d’autrui et procéder à des violences de toutes sortes ?
Nous avons absolument besoin de ce pardon parce que nos cœurs sont endurcis par les forces du Mal. L’amour sincère du prochain nous a quittés et nous sommes désormais ancrés dans l’intolérance, la perte des valeurs et le désordre qui en résulte.
Nous avons besoin de ce pardon pour reprendre le chemin d’une nouvelle spiritualité plus vivante, accueillante et concrète parce que fondée sur l’amour vrai qui contribue à la réalisation et à l’affirmation de notre humanité.
Nous sommes en effet conscients que la plus grande chose que votre séjour parmi nous peut nous apporter, c’est la prière, l’intercession pour que les démons de la division, de la haine et de l’autodestruction soient exorcisés et chassés définitivement de nos terres, pour que notre pays retrouve le chemin d’une nouvelle spiritualité solidement ancrée dans la tolérance, l’amour du prochain, le respect de la dignité humaine et des Autorités établies.
Très Saint-Père,
En tant que messager de la paix, vous avez choisi de venir consoler un peuple meurtri afin de le restaurer et de le réconcilier avec la grâce que Dieu lui a faite par son sol, son sous-sol, ses eaux, sa faune, ses forêts et sa diversité culturelle. Votre présence parmi nous doit nous réconcilier avec la paix. Que le souffle de paix que vous apportez demeure en République centrafricaine et établisse l’étendard de la gloire de Dieu sur notre pays.
Vos messages sont attendus pournous libérer de la peur de l’autre, pour nous aider à cesser nos conflits, à changer nos cœurs et à nous établir sur la voie de la sérénité, de la sagesse, de la fraternité et de la paix.
Il est incontestable que le message de paix que vous nous apportez ne manquera pas d’infléchir et de tourner nos cœurs vers Dieu qui est la source véritable de la paix profonde à laquelle nous aspirons.
Après toutes les souffrances que notre peuple a vécues et continue de vivre, vous lui apportez certes le réconfort, la chaleur et la force de votre foi, votre commisération mais davantage : vous lui apportez l’espérance et la lumière d’une renaissance certaine.
Aujourd’hui, le peuple Centrafricain vit dans l’espérance du retour durable de la sécurité sur toute l’étendue de son territoire, de l’organisation des élections libres, transparentes et démocratiques et au final, d’un retour à l’ordre constitutionnel avec des dirigeants élus qui présideront à sa destinée avec la préoccupation d’assurer son bien-être au quotidien.
Et c’est dans l’allégresse et la piété que nous Centrafricains de toutes les confessions religieuses confondues attendons que Votre main puissante bénisse ce pays afin qu’il devienne enfin cette terre de Zo Kwé Zo dont avait rêvé Barthélémy Boganda, père fondateur de la République centrafricaine.
Une Centrafrique sans rancœurs, sans haines, sans divisions, sans discrimination de religions et d’ethnies, une Centrafrique sans armes et dans laquelle tous les citoyens pourraient « se donner la main », pour relever et reconstruire leur pays.
Puisse cette visite marquer la naissance d’une nouvelle ère de coopération renforcée entre le Saint-Siège et la République centrafricaine pour nous aider à atteindre l’épanouissement dans toutes ses dimensions matérielle et spirituelle.
Avant de clore mon propos, je me dois de remercier toutes les bonnes volontés qui ont contribué à faire de cette visite non seulement une réalité, mais surtout un réel succès. Je voudrais remercier le nonce apostolique, l’archevêque de Bangui, le président de la conférence épiscopale de Centrafrique et toute la communauté catholique de Centrafrique, qui n’a ménagé aucun effort pour la concrétisation de cette visite. Le comité d’organisation ecclésiale et le comité gouvernemental ont ainsi travaillé en synergie au sein de la coordination nationale pour optimiser l’organisation de l’événement. À tous, je dis merci, mille fois merci, pour leurs précieuses contributions.
Ces remerciements vont aussi à l’endroit des forces internationales notamment la Minusca et la Sangaris pour les efforts supplémentaires accomplis pour la circonstance. Leur présence sur le terrain aux côtés des forces intérieures est un élément essentiel de la réussite de cette visite.
Très Saint-Père,
Je terminerai mon propos en vous souhaitant ainsi qu’à toute la délégation qui Vous accompagne un très bon et agréable séjour en terre centrafricaine, terre de désolation aujourd’hui mais terre d’opportunités et d’avenir.
Gloire à Dieu pour la présence de son messager parmi nous. Que la terre centrafricaine tressaille de joie car Dieu a jeté un regard favorable sur elle pour la sauver. Dieu a exaucé nos prières et nous a envoyé le messager de la paix. Nous sommes sauvés !
Je vous remercie »
Ref. Catherine Samba-Panza : « Je confesse tout le mal qui a été fait e Centrafrique et je demande pardon »
JPSC