De Monseigneur Léonard interrogé par Drieu Godefridi, in « Un évêque dans le siècle » (éditions du CEP, septembre 2016) sur la question du mal et l’encyclique « Laudato si » (extraits) :
→ Dieu et l’univers (*)
Mgr Léonard : « […] C’est intelligent de croire en Dieu, c’est tout à fait raisonnable, même si c’est transrationnel d’adhérer à Jésus tel qu’il est présenté dans le Nouveau Testament. Mais, après tout cela, les gens sont confrontés à tout ce qui fonctionne, dans cette admirable mécanique de l’univers, de manière peu sympathique, de notre petit point de vue en tout cas. Et pour les chrétiens qui mettent leur foi en un Dieu qui, en principe, serait tout-puissant et qui serait un père bienveillant, comment est-ce qu’on met cela en rapport avec le mal qui défigure et abîme la vie des hommes sur la terre et avec tout ce qui ne tourne pas rond dans l’univers, y compris dans notre fonctionnement biologique ? »
→ Je me méfie des apologétiques qui justifient le mal
Mgr Léonard : « […] Je dénonce toujours avec force, y compris dans le monde chrétien, les justifications du mal, qui me paraissent souvent odieuses et qu’on ne devrait jamais employer en présence d’une personne qui souffre […] en disant, comme Spinoza par exemple […], c’est négatif de votre petit point de vue, parce que vous voyez la mort de votre enfant, de votre petit point de vue de mère. Mais, dans la totalité de la substance, qui nous apparaît dans les deux attributs de l’étendue et de la pensée, cela fait partie du positif. Tout est plein, positif dans la substance ! Votre mal, un peu comme dans le bouddhisme, est donc une illusion liée à la perspective que vous avez. De même, on peut dire, d’un point de vue biologique, que la mort des individus d’une espèce fait partie de l’économie du fonctionnement de la vie. Ne pleurez donc pas vos morts! Oui, cette attitude stoïcienne a une certaine dignité, elle a une grandeur, mais qui passe au-dessus du drame des personnes. Je suis devenu allergique aux pensées systématiques, hégéliennes, pour lesquelles, de manière très subtile, le mal est finalement positif. Je me méfie des aologétiques qui justifient le mal en disant : Dieu permet le mal en vue d’un plus grand bien, le mal fait partie d’un premier état pédagogique de la création. Dieu a fait volontairement une création inachevée pour que ce soit l’homme qui l’achève. C’est joli à dire, comme cela, quand on écrit à son bureau, mais cela n’arrange pas les gens qui sont frappés par la douleur.
Drieu Godefridi : Alors, que leur dites-vous par rapport à cette question du mal ?
→ ἐδάκρυσεν ó ἰησοῦς.
Mgr Léonard : « D’abord, Jésus est sensible au mal et ne fait jamais de raisonnements pour dire qu’il n’y a pas de mal. L’attitude de Jésus, dans l’Evangile de Jean, devant la tombe de Lazare c’est d’abord de pleurer : « Jésus pleura » (ἐδάκρυσεν ó ἰησοῦς). C’est le verset le plus court de toute la Bible. Ces pleurs sont pour moi plus éloquents que beaucoup de théories. Jésus n’a pas fait une théorie. Il dit bien que la mort de Lazare va servir à la manifestation de la gloire de Dieu. Mais il ne dit pas à Marthe et à Marie : non, ne pleurez pas, la mort de Lazare c’est pour un bien. Non, il pleure ! Ce que je trouve admirable chez lui, c’est qu’il n’a pas expliqué le mal comme tant de religions ou de philosophies l’ont fait. D’abord, il en a éprouvé la dureté. Puis il l’a porté. Cela, c’est quand même unique dans l’histoire religieuse de l’humanité, un Dieu qui non seulement se fait homme mais qui en outre endure l’absurdité de la mort, l’angoisse qui est liée à la mort. L’attitude de Jésus face à sa mort n’est pas du tout héroïque, ce n’est pas une attitude de héros, c’est l’attitude d’un homme qui est submergé par l’angoisse, par la tristesse et qui, pour la première fois dans les Evangiles, où il a toujours une maîtrise des événements, mendie un peu de secours, de réconfort de la part de ses disciples : veillez avec moi, priez avec moi – et ils dorment pendant ce temps-là ! Eh bien, cela me paraît plus crédible que Spinoza, cela me paraît plus humain que le stoïcisme : « Je savais que mon fils était mortel, donc je ne m’attriste pas de sa mort ». C’est grand, mais en même temps c’est mesquin, pourrait-on dire, d'une telle attitude : cela ne prend pas au sérieux le drame de la vie humaine. »