De Monseigneur Marc Aillet, évêque de Lescar, Bayonne et Oléron :
Il est prophétique et impérieux de défendre la liberté de culte
Nous vivons une situation inédite qui ne laisse pas d’inquiéter. Sans doute traversons-nous une crise sanitaire sans précédent, pas tant par l’ampleur de l’épidémie que par sa gestion et son impact sur la vie des personnes. La peur, qui s’est emparée de beaucoup, est entretenue par le discours anxiogène et alarmiste des pouvoirs publics, relayé en boucle par la plupart des grands médias. Il en résulte une difficulté croissante à réfléchir, un manque de recul évident par rapport aux événements, un consentement quasi généralisé des citoyens à la perte de libertés pourtant fondamentales. Au sein de l’Eglise, on observe des réactions pour le moins inattendues : ceux qui dénonçaient naguère l’autoritarisme de la Hiérarchie et contestaient systématiquement son Magistère, en particulier en matière de morale, se soumettent aujourd’hui sans sourciller à l’Etat, semblant perdre tout sens critique, et s’érigent en moralisateurs, culpabilisant et dénonçant sans appel ceux qui osent poser des questions sur la doxa officielle ou défendre des libertés fondamentales. La peur n’est pas bonne conseillère : elle conduit à des attitudes inconsidérées, elle monte les gens les uns contre les autres, elle génère un climat de tension, voire de violence. Nous pourrions bien être au bord de l’explosion !
Voir, juger, agir : ces trois étapes, bien connues de l’Action catholique et présentées par le Pape saint Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra, comme caractéristiques de la réflexion sociale de l’Eglise, pourraient bien éclairer la situation de crise que nous traversons.
Voir, c’est-à-dire ouvrir les yeux sur la réalité dans son intégralité et cesser de rétrécir le point de vue à la seule épidémie. Il y a certes l’épidémie de la Covid-19 qui a causé, il est vrai, surtout lors de la « première vague », des situations dramatiques et un certain épuisement des personnels soignants. Mais, avec le recul, comment ne pas en relativiser la gravité par rapport à d’autres détresses qui sont trop souvent passées sous silence. Il y a d’abord les chiffres, que l’on présente comme révélateurs de la gravité inédite de la situation : après le décompte quotidien des décès lors de la « première vague », c’est l’annonce quotidienne des cas dits « positifs », sans que l’on puisse faire le tri entre ceux qui sont malades et ceux qui ne le sont pas. Ne faudrait-il pas comparer avec d’autres pathologies aussi graves et plus mortelles, dont on ne parle pas et dont les protocoles ont pu être ajournés, pour cause de Covid-19, avec parfois des aggravations fatales ? En 2018, on dénombrait 157000 décès pour cause de cancer en France ! On a mis du temps à communiquer sur le traitement inhumain qui a été imposé dans les EHPAD aux personnes âgées, enfermées, parfois à clé, dans leur chambre, avec interdiction de visite des familles : les témoignages abondent sur les perturbations psychologiques, voire les décès prématurés de nos aînés. On parle peu de l’augmentation sensible des états dépressifs chez des sujets qui n’étaient pas prédisposés : les hôpitaux psychiatriques sont ici ou là surchargés, les salles d’attente des psys encombrées, signe que la santé mentale des Français se dégrade de manière inquiétante, ce que le Ministre de la santé vient de reconnaître publiquement. On a dénoncé un risque d’« euthanasie sociale », quand on estime que 4 millions de nos concitoyens sont dans une situation d’extrême solitude, sans compter le million de Français supplémentaires qui, depuis le premier confinement, sont passés en-dessous du seuil de pauvreté. Et que dire des PME, des petits commerçants étranglés qui seront condamnés à déposer le bilan ? Parmi eux, on compte déjà des cas de suicides. Et les bars et restaurants, qui avaient pourtant consenti à des protocoles sanitaires drastiques. Et l’interdiction des célébrations cultuelles, même avec des mesures sanitaires raisonnables, remisées au rang des activités « non essentielles » : c’est du jamais vu en France, sauf à Paris sous la Commune !