Une tribune de l'historien Paul Airiau est parue ce 14 novembre sur le site du journal La Croix :
« L’Église demeure la seule institution qui assume sa responsabilité systémique dans les abus sexuels »
Les déclarations d’Éric de Moulins Beaufort sur les « 11 évêques » mis en cause dans des affaires d’abus ont suscité de multiples réactions. L’historien Paul Airiau confesse dans ce texte les observer avec un certain « cynisme », y lisant parfois un « refus de voir » et même de « l’autoflagellation et du nombrilisme ».
En effet, une partie d’entre elles n’est pas neuve. Sur onze évêques mis en cause, six étaient connus (Pican, Fort, Barbarin, Di Falco, Gaschignard, Lafont). Il suffisait de compiler, ce que personne, pas même la presse, n’avait publiquement fait. Mais il ne suffit pas d’avoir des yeux, encore faut-il vouloir regarder. Les réactions récentes prouvent qu’on ne l’a pas voulu et qu’on se rattrape en vitupérant. De même, l’horreur exprimée quant au fait qu’on ait pu nommer évêques des abuseurs montre que les catholiques ignorent les processus de sélection des futurs évêques.
Car que des prêtres aient abusé ou soient accusés de l’avoir fait, et aient malgré tout été promus, signifie simplement que l’enquête préalable n’avait rien révélé – comme elle est secrète, elle ne favorise pas vraiment la révélation d’agressions. Sinon, ils ne seraient jamais devenus évêques. Le large dépouillement des archives diocésaines l’a établi : si les autorités couvrent en étouffant, jamais elles ne permettent aux abuseurs identifiés d’avancer dans la hiérarchie. Les faits sont têtus. Encore faudrait-il accepter de les connaître.
Aucun sacrement n’empêche de pécher
De même, en bonne théologie et anthropologie catholiques, si l’on s’inscrit dans ce cadre, il faudrait accepter qu’aucun sacrement, y compris une ordination épiscopale, n’ait jamais empêché de pécher ensuite – sinon, on n’aurait pas inventé la pénitence sacramentelle. Qu’on puisse attendre l’exemplarité des hiérarques, certes. Mais qu’on se scandalise qu’il n’en soit pas ainsi, c’est faire preuve d’un angélisme naïf qui passe par pertes et profits deux mille ans d’histoire, et qui estime que le présent et le futur ne verront jamais se reproduire les hontes passées. Comme si la Weltanschauung catholique ne disait pas qu’il n’en sera jamais ainsi jusqu’à la complétude des temps…
Que ces affaires remettent en cause l’attachement à l’Église, l’historien ne peut que l’entendre et le constater. Mais cela ne l’empêchera pas de penser qu’un tel attachement, récent dans ses formes actuelles, est comparable à celui que les communistes eurent longtemps à leur parti : une idolâtrie névrotique qui conduit à croire « en l’Église » comme l’on croit « en Dieu ». Personne n’a d’ailleurs vraiment relevé que la liturgique traduction du Credo de Nicée-Constantinople était fautive, et que cette formule officielle disait beaucoup de la conception fort cléricale que les clercs se faisaient du rapport que les fidèles devaient avoir à l’institution.