Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Foi - Page 214

  • La vie consacrée est devenue un signe évangélique de contradiction

    IMPRIMER

    HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI en la Basilique vaticane, le 2 février 2013 (source)

    Chers frères et sœurs !

    Dans son récit de l’enfance de Jésus, saint Luc souligne que Marie et Joseph étaient fidèles à la loi du Seigneur. Avec une profonde dévotion, ils accomplissent tout ce qui est prescrit après la naissance d’un garçon premier-né. Il s’agit de deux prescriptions très anciennes : l’une concerne la mère et l’autre l’enfant nouveau-né. Pour la femme, il est prescrit de s’abstenir des pratiques rituelles pendant quarante jours, et d’offrir ensuite un double sacrifice : un agneau en holocauste, et un pigeon ou une tourterelle pour le péché ; mais si la femme est pauvre, elle peut offrir deux tourterelles ou deux pigeons (cf. Lv 12, 1-8). Saint Luc précise que Marie et Joseph offrirent le sacrifice des pauvres (cf. 2, 24), pour souligner que Jésus est né dans une famille de gens simples, humble mais très croyante : une famille appartenant aux pauvres d’Israël, qui forment le véritable peuple de Dieu. Pour le fils premier-né, qui, selon la loi de Moïse, est la propriété de Dieu, le rachat était en revanche prescrit et établi au moyen de l’offre de cinq sicles, à payer à un prêtre n’importe où. Ceci pour faire éternellement mémoire du fait qu’au temps de l’Exode, Dieu épargna les premiers-nés des juifs (cf. Ex 13, 11-16).

    Il est important d’observer que pour ces deux actes — la purification de la mère et le rachat de l’enfant — il n’était pas nécessaire d’aller au Temple. Pourtant, Marie et Joseph veulent tout accomplir à Jérusalem, et saint Luc montre comment toute la scène converge vers le Temple, et se concentre ensuite sur Jésus qui y entre. Et voici que, précisément à travers les prescriptions de la Loi, l’événement principal devient un autre, c’est-à-dire la « présentation » de Jésus au Temple de Dieu, qui signifie l’acte d’offrir le Fils du Très-Haut au Père qui l’a envoyé (cf Lc 1, 32.35).

    Ce récit de l’évangéliste trouve un écho dans les paroles du prophète Malachie que nous avons entendues au début de la première lecture : « “Voici que je vais envoyer mon messager, pour qu’il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez ; et l’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient !” dit le Seigneur... Il purifiera les fils de Lévi... et ils deviendront pour le Seigneur ceux qui présentent l’offrande selon la justice » (3, 1.3). Il est clair qu’on ne parle pas ici d’un enfant, et pourtant, cette parole trouve un accomplissement en Jésus, parce que « soudain », grâce à la foi de ses parents, Il a été amené au Temple ; et dans l’acte de sa « présentation », ou de son « offrande » personnelle à Dieu le Père, transparaît clairement le thème du sacrifice et du sacerdoce, comme dans le passage du prophète. L’enfant Jésus, qui est tout de suite présenté au Temple, est le même qui, une fois adulte, purifiera le Temple (cf. Jn 2, 13-22 ; Mc 11, 15, 19) et surtout, fera de lui-même le sacrifice et le prêtre suprême de la Nouvelle Alliance.

    Telle est également la perspective de la Lettre aux Hébreux, dont un passage a été proclamé dans la deuxième lecture, de sorte que le thème du nouveau sacerdoce est renforcé : un sacerdoce — celui inauguré par Jésus — qui est existentiel : « Car du fait qu’il a lui-même souffert par l’épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés » (He 2, 18). Et ainsi, nous trouvons également le thème de la souffrance, très accentué dans le passage de l’Évangile, lorsque Syméon prononce sa prophétie sur l’Enfant et sur la Mère : « Vois ! Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même [Marie], une épée te transpercera l’âme ! » (Lc 2, 34-35). Le « salut » que Jésus apporte à son peuple, et qu’il incarne en lui-même, passe par la croix, par la mort violente qu’Il vaincra et transformera avec le sacrifice de la vie par amour. Ce sacrifice est déjà entièrement annoncé dans le geste de présentation au Temple, un geste certainement motivé par les traditions de l’Ancienne Alliance, mais intimement animé par la plénitude de la foi et de l’amour qui correspond à la plénitude des temps, à la présence de Dieu et de son Saint Esprit en Jésus. L’Esprit, en effet, plane sur toute la scène de la Présentation de Jésus au Temple, en particulier sur la figure de Syméon, mais également d’Anne. C’est l’Esprit « Paraclet », qui apporte le « réconfort » d’Israël et anime les pas et les cœurs de ceux qui l’attendent. C’est l’Esprit qui suggère les paroles prophétiques de Syméon et d’Anne, paroles de bénédiction, de louange à Dieu, de foi dans son Consacré, d’action de grâce parce que finalement nos yeux peuvent voir et nos bras embrasser « son salut » (cf. 2, 30).

    Lire la suite

  • Être chrétien dans le monde : le refuge et le risque

    IMPRIMER

    Article de Pierre Manent lu  dans la revue mensuelle « La Nef » :

    Wurzburg-Baviere-Eglise-et-mairie-©Pixabay-620x330.jpg

    La situation actuelle rend le pari bénédictin désirable et plausible, mais il n’est pas sans risque de glissement vers le communautarisme. Et un chrétien ne peut fuir ses responsabilités d’ordre temporel, et notamment politiques.

    La situation présente de l’Église catholique dans notre pays me semble déterminée par les trois paramètres suivants : d’abord la diminution rapide de la présence sociale du catholicisme depuis les années 60, diminution quantitative qui approche d’un seuil où la disparition du fait catholique devient envisageable ; ensuite, l’irruption d’un facteur historiquement inédit, l’islam, qui occupe une place croissante, visiblement croissante, dans la société française ; enfin, l’intronisation de l’idéologie des droits de l’homme comme principe exclusif de la légitimité politique, sociale et morale, installant chaque « moi » dans une immanence sûre de son droit.

    De quelque côté que se tourne le catholique français, il voit gonfler une menace qui peut lui sembler insurmontable, venant simultanément de l’intérieur, de l’extérieur et de lui-même ! La tentation est grande de répondre à cette triple offensive par le recours à la stratégie éternelle du parti le plus faible : la défensive, le refuge dans une place forte. De fait, nous avons encore des ressources suffisantes pour construire une forteresse catholique de bonne apparence : à l’abri derrière ses remparts, nous ne serions plus démoralisés par l’indifférence ou l’hostilité de la société globale, les musulmans nous redeviendraient extérieurs et étrangers comme ils l’étaient encore il y a quarante ans, et en « serrant les boulons » d’une vie chrétienne délivrée des équivoques et des timidités, en formant entre nous cette « société chrétienne » que la France n’est plus, nous serions en mesure de réorienter nos vies en direction du Transcendant.

    Nécessité des appuis sociaux

    Ce dernier argument est à prendre au sérieux. En effet, aussi surnaturelle qu’elle soit dans sa source et ses ressorts intimes, la vie chrétienne dépend inévitablement d’appuis sociaux mis à notre disposition par l’organisation collective dont nous sommes membres : des lieux de culte, des moyens financiers, des administrateurs compétents, des pasteurs respectés, et en général tout ce qui contribue à l’autorité sociale de l’institution religieuse. C’est seulement lorsqu’ils sont soumis à une persécution systématique – une situation, on le sait, qui n’exclut pas une grande fécondité spirituelle – que les chrétiens sont entièrement privés de tels appuis. C’est d’ailleurs la nécessité de trouver de tels appuis qui jadis a conduit l’Église à réclamer l’aide du pouvoir politique, aide qu’elle a obtenue au prix souvent d’un obscurcissement de sa vocation propre qui a fait à son crédit une blessure incurable. Personne aujourd’hui ne réclame ni ne propose un tel appui politique. Il est inenvisageable. C’est pourquoi le dépérissement de la vitalité sociale de l’Église, cette vitalité sociale qui lui avait permis durant la première partie du siècle dernier de s’adapter avec quelque succès à son exclusion de la sphère politique, est un tel motif d’inquiétude ou d’angoisse pour les catholiques aujourd’hui, une inquiétude ou une angoisse qui rend l’« option bénédictine » désirable et plausible.

    Pourtant, si celle-ci aurait pour effet – c’est son propos – de concentrer les forces des catholiques et de leur redonner un sentiment de force, ce regain serait, je crois, de courte durée. Cette option me paraît présenter trois inconvénients.

    1.Tout regroupement défensif comporte un risque de fermeture sectaire, avec l’affaiblissement inévitable de l’exigence intellectuelle et même morale puisque nous serions désormais « entre nous ». Dès lors que nous renonçons à convaincre, persuader ou seulement intéresser ceux qui sont « dehors », un grand ressort de perfectionnement est perdu. En outre, nous prétendrions moissonner avant que ne soit parvenu à maturité ce renouveau de la vie intellectuelle catholique qui constitue l’aspect le plus encourageant de la situation présente du catholicisme.

    2.Étant entendu que nous avons besoin d’appuis collectifs ou sociaux, il ne faut pas exagérer leur contribution à la vie chrétienne. Quelle que soit la situation politique et sociale, mener une vie vraiment chrétienne reste la chose du monde la plus difficile et la plus improbable, elle reste ce fragile miracle qui éclaire et renouvelle incessamment la vie du monde. Si les catholiques ou en général les chrétiens sont sincères, ils admettent que de notre peu de foi, d’espérance et de charité, il n’y a pas d’autre responsable que notre peu de foi, d’espérance et de charité. Le seuil de la vie chrétienne n’est donc pas l’accusation du « monde » ou de la « société » mais la pénitence, « la conversion qui mène à la vie » (Actes, 11, 18).

    3. Il n’y a pas de remède, et il n’en faut point chercher, à la situation exposée du chrétien. Elle entraîne une double obligation, de fidélité à l’Église et de mission à l’égard du prochain, mission aussi urgente et périlleuse aujourd’hui qu’au temps des apôtres. Ne convoitons pas, craignons plutôt l’impression de force recouvrée que susciterait aisément un « rassemblement » catholique. L’autorité de Paul nous l’assure, nous sommes toujours assez nombreux pour que la force de Dieu se donne à voir dans notre faiblesse.

    Du reste, notre responsabilité de chrétiens n’est pas moins politique ou civique que proprement religieuse. Cette Europe qui nous tourne le dos, ne lui tournons pas le dos à notre tour. Si nous voulons donner un sens généreux à ce qui autrement risque de rester un slogan, les « racines chrétiennes de l’Europe », nous devons nous tenir pour responsables de ce qui se passe en Europe, co-responsables avec les autres citoyens préoccupés du sort commun, mais aussi spécialement responsables en tant que chrétiens qui revendiquent la part à nulle autre pareille – bien et mal mêlés – que leur religion a prise dans l’approfondissement de l’âme européenne.

    L’obligation civique des chrétiens

    C’est ici que surgit le nœud où se nouent le rapport de l’Église à elle-même, à sa vie propre, et son rapport à l’Europe. Les chrétiens ne sauraient se consacrer exclusivement à l’approfondissement de leur vie sacramentelle, aussi primordiale soit-elle. En tant que citoyens et en tant que chrétiens ils ne peuvent abandonner l’Europe à son sort. Ils ont une obligation inséparablement civique et chrétienne de préserver ce que, faute d’une meilleure expression, j’appelle la « marque chrétienne » de l’Europe. Or, l’infléchissement imposé par le présent pontificat a redoublé la difficulté de cette tâche. D’une part, ad intra, on obscurcit ou on « floute » la règle sacramentelle, on efface ces seuils qui donnent son sens et son relief à la vie intérieure de l’Église ; d’autre part, ad extra, on égalise les religions, on manifeste son indifférence à leur contenu dogmatique et moral, on se montre supérieurement indifférent à la composition religieuse de la population européenne. Ainsi les articulations politiques et religieuses du monde présent sont-elles ignorées ou brutalisées. Cette humanité politiquement et religieusement informe est le sujet et le véhicule d’une religion sans autre contenu qu’affectif ou sentimental. Dans une telle involution, l’affadissement de l’exigence religieuse ne fait qu’un avec l’obscurcissement du regard politique. On le voit, l’urgence pour les citoyens chrétiens de l’Europe n’est pas moins civique que religieuse. Il s’agit pour eux de préserver ou ranimer la marque chrétienne des nations européennes, et inséparablement de préserver ou ranimer la légitimité politique de celles-ci. Au lieu de chercher refuge dans une « petite société chrétienne », accepter d’être citoyen et chrétien dans la grande société, inhospitalière comme elle l’a toujours été.

    Pierre Manent

    © LA NEF n°303 Mai 2018, mis en ligne le 31 janvier 2023

  • Hommage du cardinal Sarah à Benoît XVI, descendant de saint Augustin

    IMPRIMER

    Benoît XVI a touché l’âme du cardinal Robert Sarah : parce qu’elle lui ressemble, dans la même simplicité et la fraîcheur naturelle de la foi des africains. Lu in « La Nef, n° 355 Février 2023 :

    20221229T1230-OBIT-BENEDICT-1753632.jpg« De nombreux hommages soulignent com­bien Benoît XVI fut un grand théologien. C’est indubitable. Son œuvre durera. Ses livres lumineux sont déjà des classiques. Mais il ne faut pas se tromper. Sa grandeur n’est pas d’abord dans la pénétration universitaire des concepts de la science théologique, mais plutôt dans la profondeur théologale de sa contemplation des réalités divines. Benoît XVI avait le don de nous faire voir Dieu par sa parole, de nous faire goûter sa présence par ses mots. Je crois pouvoir affirmer que chacune des homélies que j’ai entendue de sa bouche fut une véritable expérience spirituelle qui a marqué mon âme. En cela, il est un véritable descendant de saint Augustin, ce Docteur dont il se sentait si proche spirituellement.

    Sa voix, à la fois fragile et chaleureuse, parvenait à nous faire sentir l’expérience théologale qu’il avait lui-même vécue. Elle venait vous saisir au plus intime du cœur pour vous conduire en présence de Dieu. Écoutons-le : « À notre époque où, dans de vastes régions de la terre, la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus où s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout en Jésus-Christ crucifié et ressuscité. »

    Benoît XVI n’était pas un idéologue rigide. Il était amoureux de la vérité qui, pour lui, n’était pas un concept mais une personne rencontrée et aimée : Jésus, le Dieu fait homme. Souvenons-nous de son affirmation magistrale : « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. » Benoît XVI nous a conduit à faire l’expérience de cette rencontre de foi avec le Christ Jésus. Partout où il allait, il allumait cette flamme dans les cœurs. Auprès des jeunes, des séminaristes, des prêtres, des chefs d’États, des pauvres et des malades, il a ranimé la joie de la foi avec force et discrétion. Se faisant oublier pour mieux laisser briller le feu dont il était porteur. Il rappelait : « c’est uniquement en faisant une certaine expérience que l’on peut ensuite comprendre. » Il n’a cessé de rappeler que cette expérience de rencontre avec le Christ ne contredit ni la raison ni la liberté. « Le Christ n’enlève rien, il donne tout ! »

    Il était parfois seul, comme un enfant face au monde. Prophète de la vérité qui est le Christ face à l’empire du mensonge, messager fragile face aux pouvoirs calculateurs et intéressés. Face au géant Goliath du dogmatisme relativiste et du consumérisme tout puissant, il n’avait d’autres armes que la parole. Ce David des temps modernes osait interpeller : « le désir de la vérité appartient à la nature même de l’homme et toute la création est une immense invitation à rechercher les réponses qui ouvrent la raison humaine à la grande réponse qu’elle cherche et attend depuis toujours : la vérité de la Révélation chrétienne que l’on trouve en Jésus de Nazareth permet à chacun de recevoir le mystère de sa vie. Comme vérité suprême, tout en respectant l’autonomie de la créature et de sa liberté, elle engage à s’ouvrir à la transcendance. On comprend pleinement la parole du Seigneur : vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres ! »

    Mais le mensonge et la compromission ne l’ont pas toléré. Hors de l’Église, mais aussi en son sein, on s’est déchaîné. On a caricaturé ses propos. On les a déformés et ridiculisés. Le monde a voulu le faire taire parce que son message lui était insupportable. On a voulu le bâillonner. Benoît XVI a ranimé alors en notre temps la figure des papes de l’Antiquité, martyrs écrasés par l’Empire romain agonisant. Le monde, comme Rome autrefois, tremblait devant ce vieil homme au cœur d’enfant. Le monde était trop compromis avec le mensonge pour oser entendre la voix de sa conscience. Benoît XVI a été un martyr pour la vérité, pour le Christ. La trahison, la malhonnêteté, le sarcasme, rien ne lui aura été épargné. Il aura vécu le mystère de l’iniquité jusqu’au bout.

    Alors, nous avons vu l’homme discret révéler pleinement son âme de pasteur et de père. Comme un nouveau saint Augustin, la paternité du pasteur a déployé en lui la maturité de sa sainteté. Qui ne se souvient de cette soirée où, ayant rassemblé des prêtres du monde entier sur la place Saint-Pierre, il pleura avec eux, rit avec eux et leur ouvrit l’intimité de son cœur de prêtre ? Nombreux sont les jeunes qui lui doivent leur vocation sacerdotale ou religieuse. Benoît XVI rayonnait comme un père au milieu de ses enfants quand il était entouré de prêtres et de séminaristes. Jusqu’au bout, il a voulu les soutenir et leur parler des profondeurs de son cœur appelé à suivre le Christ dans le don de lui-même jusque dans la souffrance pour les autres. « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même… Le Christ, en souffrant pour nous tous, a conféré un sens nouveau à la souffrance, il l’a introduite dans une dimension nouvelle, dans un ordre nouveau : celui de l’amour. » 

    Benoît XVI a aimé les familles, les malades. Il faut, pour le comprendre, l’avoir vu visiter les enfants hospitalisés. Il faut l’avoir vu leur offrir à chacun un cadeau. Il faut avoir aperçu la discrète larme d’émotion qui faisait briller son regard plein de bonté.

    C’est à lui, il faut s’en souvenir, que nous devons la lucidité de l’Église sur la pédocriminalité. Il a su appeler le péché par son nom, rencontrer et écouter les victimes et punir les coupables sans cette complicité qui se masque parfois sous une contrefaçon de miséricorde.

    Malgré cela, ou peut-être à cause de cet amour de la vérité, il a été toujours plus méprisé. Alors, le prophète, le martyr, le père si bon, s’est fait maître de prière. Je ne puis oublier cette soirée à Madrid où devant plus d’un million de jeunes enthousiastes, il a renoncé au discours qu’il avait préparé pour les inviter à prier en silence avec lui. Il fallait voir ces jeunes du monde entier, silencieux, à genoux derrière celui qui leur montrait l’exemple. Ce soir-là, par sa prière silencieuse, il a enfanté une nouvelle génération de jeunes chrétiens : « Seule l’adoration nous rend véritablement libres ; elle seule nous donne les critères pour notre action. Dans un monde où les critères d’orientation viennent à manquer et où existe la menace que chacun fasse de soi-même sa propre mesure, il est fondamental de souligner l’adoration. »

    Son insistance sur l’importance de la liturgie trouve là sa raison profonde. Il savait que, dans la liturgie, l’Église se retrouve face à Dieu. Si, en ce lieu, elle n’est pas à sa juste place, alors elle court à sa ruine. Il répétait souvent que la crise de l’Église était fondamentalement une crise liturgique, c’est-à-dire une perte du sens de l’adoration. « Le mystère est le cœur d’où nous tirons notre force ! », aimait-il à répéter. Il a tant œuvré pour redonner aux chrétiens une liturgie qui soit selon ses propres termes « un véritable dialogue du Fils avec le Père ».

    Face à un monde sourd à la vérité, face parfois à une institution ecclésiastique qui refusait d’entendre son appel, Benoît XVI a finalement choisi le silence comme ultime prédication. En renonçant à sa charge, en se retirant dans la prière, il a rappelé à tous que « nous avons besoin d’hommes qui dirigent leur regard droit sur Dieu et apprennent en lui ce qu’est la véritable humanité. Nous avons besoin d’hommes dont l’intelligence soit éclairée par la lumière de Dieu et à qui Dieu ouvre le cœur de manière que leur intelligence puisse parler à l’intelligence des autres et que leur cœur puisse ouvrir le cœur des autres ». Sans le savoir, le pape traçait ainsi son propre portrait, ajoutant même : « c’est seulement des saints, c’est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde. »

    Benoît XVI aura-t-il été la dernière lueur de la civilisation chrétienne ? Le crépuscule d’une époque révolue ? Certains voudraient le croire. Il est vrai que, sans lui, nous nous sentons orphelins, privés de cette étoile qui nous guidait. Mais désormais, sa lumière est en nous. Benoît XVI, par son enseignement et son exemple, est le Père de l’Église du troisième millénaire. La lumière joyeuse et paisible de sa foi nous éclairera longtemps.

    Cardinal Robert Sarah »

     Ref. Benoît XVI : le descendant de saint Augustin

  • Un million de personnes sur l'aéroport de Kinshasa pour assister à la messe du pape

    IMPRIMER

    Lu sur NewsTimes.com :

    Un million de personnes assistent à la messe du pape au Congo en ce jour de pardon.

    1er février 2023

    On estime qu'un million de Congolais joyeux ont afflué dans le principal aéroport de la capitale mercredi pour la première grande messe du pape François en Afrique, lors d'une journée consacrée à son appel à la paix et au pardon dans un pays ravagé par des décennies de violence.

    De nombreux fidèles congolais ont passé la nuit sur les vastes terrains de l'aéroport Ndolo de Kinshasa et ont passé les heures précédant l'arrivée de François à chanter, danser et se mettre en condition pour la première visite papale dans ce pays à majorité chrétienne depuis le dernier voyage de Jean-Paul II en 1985.

    Ils ont applaudi à tout rompre lorsque François a entamé une boucle prolongée autour des aérodromes dans sa papamobile ouverte, certains d'entre eux courant à côté ou agitant des drapeaux. Beaucoup de femmes portaient des robes et des jupes en pagne, un tissu imprimé à la cire représentant des images de François ou d'autres symboles religieux.

    "Aujourd'hui, je comprends l'enthousiasme de ma grand-mère lorsque le pape Jean-Paul II est venu", a déclaré Julie Mbuyi, une mère de deux enfants âgée de 45 ans qui portait une tenue sur le thème de François. "Elle était tellement excitée de le voir et la nuit précédente, elle ne pouvait pas fermer les yeux !".

    La messe du matin est le premier grand événement de François au Congo après son arrivée mardi et, dans son discours d'ouverture aux autorités gouvernementales, il a condamné le pillage séculaire des richesses minérales et naturelles de l'Afrique par des puissances étrangères.

    Plus tard dans la journée, François doit rencontrer des victimes des combats dans l'est du Congo, où les groupes rebelles ont intensifié leurs attaques au cours de l'année écoulée afin d'étendre leur territoire.

    François avait initialement prévu de se rendre à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, mais il a dû annuler sa visite en raison des combats qui ont forcé quelque 5,7 millions de personnes à fuir leur foyer, exacerbant ainsi la crise humanitaire au Congo, où quelque 26,4 millions de personnes souffraient déjà de la faim, selon le Programme alimentaire mondial.

  • "Le Christ est devenu une figure pratiquement inconnue pour la plupart des Néerlandais d'aujourd'hui" (cardinal Eijk)

    IMPRIMER

    De Solène Tadié sur le National Catholic Register :

    Le 'Conseil Pastoral' et l'effondrement de la foi catholique aux Pays-Bas

    Un événement national qui s'est déroulé de manière autonome au lendemain de Vatican II et qui est comparé par les commentateurs au chemin synodal allemand est considéré comme un catalyseur de la déchristianisation massive du pays au cours des dernières décennies.

    Cardinal Willem Eijk, shown speaking at a press conference at Friezenkerk, the Dutch Church near St. Peter's Square, on Oct. 23, 2015, told the Register this mont, ‘Christ has become a virtually unknown figure to most Dutch people today.’
    Le cardinal Willem Eijk, que l'on voit s'exprimer lors d'une conférence de presse à Friezenkerk, l'église néerlandaise située près de la place Saint-Pierre, le 23 octobre 2015, a déclaré au Register ce mois-ci : " Le Christ est devenu une figure pratiquement inconnue pour la plupart des Néerlandais aujourd'hui. (photo : Bohumil Petrik / CNA)

    1er février 2023

    Les derniers rapports et statistiques des Pays-Bas concernant la pratique religieuse laissent peu de place à l'optimisme.

    En effet, les données publiées avant la visite ad limina des évêques néerlandais en novembre ont estimé le nombre de catholiques pratiquants dans le pays à seulement 2,7% pour 2022. 

    Et, selon les données du "World Values Survey" analysées en janvier par le Center for Applied Research in the Apostolate, la participation à la messe aux Pays-Bas est la plus faible parmi les 36 pays à forte population catholique, avec seulement 7 % des catholiques qui s'identifient comme tels participant à la messe chaque semaine. 

    Si cette tendance s'inscrit dans un contexte européen de déchristianisation généralisée, le pays semble souffrir d'une désaffection plus profonde de la foi catholique que dans les pays voisins. Certains experts voient dans cette chute libre de la foi une conséquence directe du "Conseil pastoral" national qui s'est tenu dans les années 1960 à la suite du Concile Vatican II, dirigé par des clercs et des théologiens qui visaient à moderniser l'Église en modifiant sa doctrine.

    Selon le dernier rapport des évêques néerlandais, bien que les catholiques romains constituent désormais le plus grand groupe de croyants chrétiens (20,8 %) dans ce pays à forte tradition calviniste, le nombre de catholiques pratiquants a chuté de plus d'un tiers (36 %) pendant la crise sanitaire entre 2019 et 2022. La baisse annuelle était auparavant d'environ 6 %.

    Parmi les autres chiffres alarmants, le nombre de baptêmes a chuté de 19 680 en 2012 à 6 310 en 2021, et le nombre de mariages catholiques est passé de 2 915 à 660 pour la même période. 

    Quelques mois plus tôt, le diocèse d'Amsterdam annonçait que plus de 60% de ses églises fermeraient dans les cinq années à venir en raison de la baisse de fréquentation des fidèles, du manque de congrégations et de dons. 

    Les racines d'une hémorragie

    Commentant ce que l'on pourrait qualifier d'hémorragie dans une interview accordée au Register, le cardinal Willem Eijk, primat des Pays-Bas et président de la Conférence épiscopale néerlandaise, a déclaré que tous les diocèses du pays étaient touchés par les fermetures et que ce n'était qu'une question de temps avant que le déclin ne se manifeste. 

    Selon le cardinal néerlandais, le déclin de l'Église aux Pays-Bas remonte aux événements survenus au milieu des années 1960, avec pour effet immédiat qu'en l'espace d'une décennie seulement, entre 1965 et 1975, la fréquentation des églises a diminué de moitié. Cette tendance dramatique s'est poursuivie de manière constante jusqu'à aujourd'hui, bien que de manière moins radicale que durant la première décennie. Ces presque 60 ans d'érosion constante de la foi ont conduit le cardinal Eijk à l'amère conclusion que "le Christ est devenu une figure pratiquement inconnue pour la plupart des Néerlandais d'aujourd'hui."

    Lire la suite

  • Le pape à Kinshasa : "Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l'Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique"

    IMPRIMER

    De Vatican News :

    Une chaleur de 33°c, des sons de tambours, des applaudissements et des cris de joie des religieuses ont entouré l'arrivée du Pape François en République démocratique du Congo. L'Airbus A350 d'Ita Airways, qui a décollé ce matin de Rome-Fiumicino, a atterri à l'aéroport de N'djili-Kinshasa peu avant l'heure prévue de 15 heures. François est descendu de l'avion dans un ascenseur et a été accompagné sur le tarmac de cérémonie dans un fauteuil roulant. Ici, alors qu'un vent sec offre un minimum de rafraîchissement dans la chaleur torride, la Garde d'honneur et deux enfants en tenue traditionnelle viennent avec des bouquets de fleurs à la main. Le Pape a ensuite salué le Premier ministre congolais Jean-Michel Sama et s’est dirigé vers le salon d'honneur de l’aéroport, où a eu lieu la présentation des délégations pour un bref entretien.

    «Bienvenue Saint-Père»

    Pendant ce temps, des groupes folkloriques, comme le G. Folk Muyene Aile Kin Basakatar, saluent l'arrivée du Souverain Pontife en exécutant une danse tribale, au rythme des tambours, avec des jupes en paille et des colliers en bois. Ils ont répété la danse des heures auparavant derrière quelques structures à l'entrée du grand aéroport.

    De l'autre côté du trottoir, un groupe d'enfants en uniformes scolaires noirs et blancs se pressait, qui avait déjà déployé une heure plus tôt une banderole sur laquelle était inscrit en grosses lettres "Bienvenue" au Souverain pontife. D'autres groupes ont également rejoint la rue principale pour saluer le Pape François, brandissant des drapeaux blancs et jaunes du Vatican ou bleus et rouges du Congo. Pendant ce temps, des bénévoles distribuent des bouteilles d'eau dans des sacs.

    Kinshasa telle qu'elle est 

    Au centre de la grande banlieue qu'est Kinshasa, la vie s'écoule entre-temps normalement; à l'exception des zones bouclées, le trafic caractéristique des motos et des minibus n'est pas arrêté, ni les scènes d'extrême pauvreté dans les maisons et les magasins, ni le va-et-vient continu des personnes, surtout des jeunes, à la recherche de quoi passer la journée. Kinshasa se présente telle qu'elle est au Pape, sans maquillage ni retouche, avec ses bâtiments en ruine et ses rues non pavées, avec les tôles qui tentent de contenir des clôtures effondrées par la boue, avec son odeur douceâtre dégagée par la fumée des étals qui grillent le maïs et les bananes, et dans la pollution atmosphérique. Elle se présente aussi dans sa beauté, donnée par un peuple qui ne renonce pas à un avenir d'espérance et de développement, un avenir surtout de paix qui puisse guérir les blessures qui se creusent depuis des décennies.

    S’adressant aux journalistes durant le vol en direction de la République démocratique du Congo, François a adressé une pensée aux nombreuses personnes qui ont perdu la vie et à ...

    Si tout Kinshasa, plus grande agglomération francophone au monde, et la République démocratique du Congo, attendent le Saint-Père, c'est aussi le cas plus largement des fidèles d'Afrique centrale.

    VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD

    (Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud) [31 janvier - 5 février 2023]

    RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS, LES REPRÉSENTANTS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LE CORPS DIPLOMATIQUE

    DISCOURS DU SAINT-PÈRE

    Jardin du Palais de la Nation (Kinshasa) - Mardi 31 janvier 2023

    Monsieur le Président de la République,

    Membres illustres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
    distinguées Autorités, religieuses et civiles,
    éminents Représentants de la société civile et du monde de la culture,
    Mesdames et Messieurs !

    Je vous salue cordialement et je remercie Monsieur le Président pour les paroles qu’il m’a adressées. Je suis heureux d’être ici, sur cette terre si belle, si vaste, si luxuriante, qui embrasse, au nord, la forêt équatoriale ; au centre et vers le sud, les hauts plateaux et les savanes arborées ; à l’est, les collines, les montagnes, les volcans et les lacs ; à l’ouest les grandes étendues d’eaux, avec le fleuve Congo qui rejoint l’océan. Dans votre pays, qui est comme un continent dans le grand continent africain, on a l’impression que la terre entière respire. Mais, si la géographie de ce poumon vert est riche et variée, l’histoire n’a pas été aussi généreuse. Tourmentée par la guerre, la République Démocratique du Congo continue de subir à l’intérieur de ses frontières des conflits et des migrations forcées, et à souffrir de terribles formes d’exploitation, indignes de l’homme et de la création. Ce pays immense et plein de vie, ce diaphragme de l’Afrique, frappé par la violence comme par un coup de poing dans l’estomac, semble depuis longtemps avoir perdu son souffle. Monsieur le Président, vous avez mentionné ce génocide oublié dont souffre la République du Congo.

    Lire la suite

  • Les quatre défis du voyage du pape François en Afrique

    IMPRIMER

    (Jean-Marie Guénois, Le Figaro) ANALYSE :

     Le déplacement du Saint-Père sur le continent africain revêt une importance particulière. -- Le pape François entame ce mardi un périple africain qui doit d’abord le conduire en République démocratique du Congo, jusqu’à vendredi, puis au Soudan du Sud. Il doit rentrer à Rome dimanche soir. Ce voyage aurait dû avoir lieu en juillet 2022, mais il avait été annulé à la dernière minute suite, officiellement, aux problèmes de genou de François, mais les questions de sécurité avaient pesé. À 86 ans, toujours handicapé, François n’a donc pas voulu trahir sa promesse de venir au Soudan du Sud, notamment, pays pour lequel il s’est personnellement impliqué pour la paix. Un accord fut signé à Rome en 2020, mais peu respecté depuis. Ce dossier lui tient à cœur - et à celui de la communauté Sant Egidio qui agit en coulisses - au point que François, lors d’une réunion préparatoire à Rome, le 19 avril 2019, s’était prosterné devant le président Salva Kiir et le chef des rebelles, Riek Machar, du Soudan du Sud pour leur… embrasser les pieds. Un geste totalement inédit pour un pape, hors liturgie. François aime les actes marquants. Il en faudra pour répondre aux quatre défis de son quarantième voyage international.

    Premier défi: honorer le continent africain. François le visite pour la cinquième fois depuis son élection, il y a presque dix ans, le 13 mars 2013, mais l’Afrique n’a pas vraiment été sa priorité. Ses nominations romaines le démontrent: il n’a plus aucun cardinal africain à la tête des dicastères. Il en a remercié deux, les cardinaux Robert Sarah et Peter Turkson, sans les remplacer de ce point de vue. Ce que les Africains n’apprécient pas compte tenu de ce qu’ils représentent dans l’Église. Quant à ses voyages, l’Afrique est le continent que François aura le moins visité, alors qu’il est allé six fois, par exemple, en Asie centrale et Asie, sa priorité géo-ecclésiale, avec la Chine en ligne de mire.

    Deuxième défi: l’affermissement des catholiques pour contenir la montée des évangéliques. Si la République démocratique du Congo est encore le premier pays catholique francophone du monde, en termes de fidèles, la situation s’altère. Avec 52 millions de catholiques sur plus de 105 millions d’habitants, cette religion vient de passer sous la barre des 50 % de la population parce que la montée des protestants évangéliques est plus rapide que la progression des catholiques. 22 % des Congolais sont protestants, un sur cinq est évangélique. Comme partout, ces derniers font preuve d’un grand dynamisme. L’Église est puissante mais elle ne peut se reposer sur ses lauriers. Elle peut compter sur 77.000 «catéchistes», qui sont très importants en Afrique, ce sont eux les véritables vecteurs des communautés, et 6 162 prêtres, deux fois moins qu’en France pour des besoins bien supérieurs. Elle gère aussi 40 % des établissements de santé et 30 % des écoles publiques.(*)

    Un pontificat très bousculé ces derniers temps

    Troisième défi: le soutien de l’Église dans son rôle de stabilisateur politique. La réalité de la République démocratique du Congo (RDC) et celle du Soudan du Sud, où les catholiques sont majoritaires à 52,4 %, ne sont pas comparables, mais l’implication de l’Église dans la vie sociale et politique a des similitudes, applicables à d’autres pays du continent. En RDC l’Église jouit d’une autorité hors norme, parce qu’elle a toujours été l’une des figures de résistance aux régimes autoritaires depuis les années 1960. Seulement indépendant depuis 2011, le Soudan du Sud semble n’avoir connu que la guerre, l’instabilité, les morts par millions, agité qu’il est à présent par plusieurs ethnies rivales, les Dinka, les Nuer et aujourd’hui les Murle. Avec un sous-sol… d’une richesse extrême! Les accords de paix (Addis Abeba en 2018, Rome en 2020) soutenus par l’Église semblent caducs. Les élections, prévues en 2023, ont été reportées à 2025. Mais l’Église veut concourir au dialogue entre ennemis, envers et contre tout.

    Quatrième défi: la confirmation du leadership du pape François. La mort de Benoît XVI, la grogne de certains cardinaux, le scandale du jésuite Rupnik (où François nie toute responsabilité), la santé du pape, nourrissent un climat romain délétère. Sur la défensive, François vient de se justifier point par point dans une longue interview accordée à l’agence Associated Press, le 24 janvier. La chaleur des catholiques africains ne sera pas de trop pour redonner de l’élan à un pontificat très bousculé ces derniers temps.

    (Le Figaro) »

    (*) S’agissant des confessions religieuses, traitées au "deuxième défi": à défaut de recensions  rigoureuses postérieures au régime colonial (1960) la fiabilité des chiffres avancés de l’une à l’autre source varie considérablement: la remarque vaut tout spécialement pour les sectes protestantes volatiles du type « églises du réveil » et autres (NdBelgicatho).

  • Le voyage du pape François en Afrique peut-il faire la différence ?

    IMPRIMER

    De Filipe d'Avillez sur The Pillar :

    Le voyage du pape François en Afrique peut-il faire la différence ?

    Les catholiques locaux attendent beaucoup de la visite du pape François en RDC et au Sud-Soudan. Mais une visite papale en Afrique peut-elle vraiment apporter la paix ?

    30 janvier 2023

    Le logo du voyage du pape François en République démocratique du Congo. Crédit : Vatican.va

    Le pape François entame ce mardi un voyage en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.

    La visite devait avoir lieu en juillet 2022, mais a été reportée en raison des problèmes de santé du pape de 86 ans.

    Les catholiques locaux fondent de grands espoirs sur ce voyage. Mais dans quelle mesure les attentes concernant ce voyage sont-elles raisonnables ? Les catholiques locaux peuvent-ils espérer plus que quelques mots de consolation et des appels à la paix, ou les plaidoyers du pape seront-ils ignorés par les dirigeants politiques et militaires ?

    De l'allié de l'État à la critique

    Les arguments en faveur du pessimisme sont faciles à faire valoir. La République démocratique du Congo (RDC) est en proie à la corruption, à la mauvaise gestion et à des conflits apparemment sans fin depuis des décennies. Deux visites du Pape Jean-Paul II n'ont rien fait ou presque pour enrayer cette spirale infernale.

    Mais le père Godefroid Mombula, un missionnaire et universitaire congolais basé à Kinshasa, a noté qu'il y avait des différences importantes cette fois-ci.

    "À l'époque, le pays était une dictature totalitaire, dirigée par le président Mobutu", a-t-il déclaré au Pillar, en référence au dirigeant autoritaire qui a dirigé la nation de 1965 à 1997.

    "La situation a changé depuis, nous avons un système multipartite. Aujourd'hui, le principal risque est la balkanisation et la guerre à l'est. Je comprends le pessimisme ; le développement n'a pas encore décollé. Néanmoins, les petits changements sont perceptibles."

    L'existence d'un système multipartite témoigne de l'influence considérable de l'Église dans le pays - la transition gouvernementale après une dictature a été supervisée par feu le cardinal Laurent Monsegwo. Et dans le chaos des années qui ont suivi, l'Église catholique, qui revendique l'allégeance d'un peu plus de la moitié des 70 millions d'habitants du pays, a été la seule institution à voir sa crédibilité rester intacte, voire s'accroître.

    "L'Église catholique a toujours été un acteur clé, dès l'époque coloniale, lorsque le Congo était la propriété du roi Léopold II", explique le père Mombula. "Le roi ne pouvait pas compter sur l'administration belge pour gérer le pays, il a donc confié l'administration quotidienne à différentes congrégations catholiques. Cela a donné à l'Église un poids politique qu'elle n'a pas dans beaucoup d'autres pays."

    Lire la suite

  • Eglise en sortie ou sortie de l'Eglise ?

    IMPRIMER

    De sur le site de la revue Catholica :

    Église en sortie, sortie de l’Église ?

    30 janvier 2023

    Dom Giulio Meiattini, osb, est moine de l’abbaye Madonna della Scala, située à Noci, près de Bari. Il est également professeur de théologie fondamentale à l’Athénée pontifical Saint-Anselme (Rome) ainsi qu’à la Faculté théologique des Pouilles (Molfetta). Il s’est notamment intéressé à l’apport spirituel d’un jésuite et prêtre-ouvrier belge néerlandophone, auquel il a consacré un petit ouvrage intitulé Evangelizzare con l’amicizia. Mistica e missione in Egied van Broeckhoven. Il était donc bien placé pour répondre aux questions que nous lui avons posées, concernant la dérive constatée toujours plus dans l’Église touchant sa mission fondamentale de faire connaître et aimer le Christ Jésus, qui tend aujourd’hui à se réduire à la recherche de « l’amitié » avec le monde hostile contemporain, en mettant sous le boisseau « l’évangélisation ».

    Catholica – Dans une étude sur la relation entre modernité et sécularisation à l’époque victorienne, un universitaire angevin, Jean-Michel Yvard, reprend la thèse de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde[1], celle d’une « religion de la sortie de la religion », concrètement, d’une récupération laïque du christianisme, spécialement dans les œuvres de charité.

    Dom Giulio Meiattini – La thèse de Marcel Gauchet sur le christianisme comme « religion de la sortie de la religion » n’est pas entièrement nouvelle. Le philosophe marxiste Ernst Bloch, comme le suggère explicitement le titre d’un de ses livres – Atheismus im Christentum, 1968[2] –, avait déjà considéré la révélation biblique, et en particulier l’Incarnation, comme le début d’un mouvement visant à vider le Ciel au profit de la terre des hommes. L’identification johannique de Jésus au Père – « le Père et moi, nous sommes un » – représenterait, selon lui, un tournant dans la vision religieuse du monde : Dieu se faisant homme, l’homme devient Dieu. Ainsi, les attributs divins sont déplacés au sein de l’anthropologie, et au lieu d’une religion du Père, c’est une religion du Fils (comme Freud l’avait déjà suggéré) qui commence, centrée sur l’être humain, sur le « fils de l’homme » amené à sa plénitude. Tel serait, pour Bloch, le germe athée inhérent à la révélation chrétienne, ainsi qu’à une certaine mystique de l’essence (par exemple la mystique de Maître Eckhart) qui tend à faire coïncider le fond de l’âme avec l’essence divine, et vice versa. Il pouvait ainsi prétendre que la transformation de la théologie en anthropologie par Feuerbach n’était rien d’autre que la vérité de la religion de l’Incarnation. Le marxisme athée de Bloch se voulait ainsi, après tout, non pas comme un simple rejet de la foi chrétienne, mais comme une récupération herméneutique radicale de celle-ci afin de la dépasser de l’intérieur.

    Nous trouvons une lecture très similaire chez un autre penseur français, plus récent, Jean-Luc Nancy. Dans son ouvrage Déconstruction du christianisme (Galilée, 2005), il soutient que le monde moderne – avec ses conséquences non seulement athées, mais aussi nihilistes – n’est pas une déviation du christianisme, mais le christianisme poussé dans ses ultimes conséquences. Pour ce philosophe (décédé en 2021), le christianisme est le mouvement même de sa dissolution en tant que religion, car son principe le plus profond est précisément le geste d’une pure et simple « déclosion » en tant que telle – l’Incarnation comme extraversion de Dieu –, une ouverture indéfinie et absolue. Le rapport du christianisme à lui-même serait donc celui d’une sortie indéfinie de soi. Nancy cite explicitement Gauchet, se déclarant en plein accord avec la thèse de base du désenchantement du monde.

    Je voudrais rappeler ici une autre œuvre, cette fois d’un célèbre penseur italien. Il s’agit du livre Credere di credere (Garzanti, Milan, 1996), de Gianni Vattimo, le représentant le plus connu de la « pensée faible ».  De la même manière que les auteurs déjà mentionnés, il part de la centralité de la caritas dans l’identité chrétienne et de sa manifestation à travers l’acte kénotique du don de soi divin, l’évidement de soi de Dieu par amour. Le Deus-caritas accomplit le suprême des renoncements, le renoncement à soi au nom de soi. Ce n’est pas l’homme qui proclame et détermine la « mort de Dieu », mais c’est Dieu lui-même qui, comme amour, meurt pour transformer l’homme de serviteur en ami, en égal de lui-même. Une fois encore, nous avons une herméneutique du christianisme comme une sortie de soi. La religion de l’amour kénotique se réalise paradoxalement dans son affaiblissement maximal, jusqu’à l’extinction du renoncement à toutes les vérités et identités dogmatiques et institutionnelles propres. Le christianisme s’évapore.

    Lire la suite

  • RD Congo : jusqu'où va l'influence de l'Église catholique dans le jeu politique ?

    IMPRIMER

    TV5 monde Afrique :

    CENCO 2016-12-21t151737z_1649537079_rc11dc6a1000_rtrmadp_3_congo-politics_0-690x450.jpg

    « En République démocratique du Congo, l'Église catholique est un médiateur. Elle n'hésite pas à troquer ce rôle contre celui d'acteur politique voir d'"activiste", lorsque la démocratie n'est pas respectée par la classe dirigeante. Cette implication politique fait de l'épiscopat une figure puissante dans le Congo d'aujourd'hui, où vivent 45 millions de catholiques.

    Si pendant la période coloniale, l’Église catholique était un partenaire du gouvernement colonial, elle est, depuis la fin des années 1950 jusqu’à aujourd’hui, un acteur clef de la vie publique en RDC. Cet « activisme », est un fait rarement vu dans d’autres pays, explique Trésor Kibangula, analyste politique à Ebuteli, Institut de recherche congolais sur la politique, la gouvernance et la violence.

    « L’Église catholique du Congo a toujours eu un rôle un peu central dans le jeu politique en République démocratique du Congo. Cela ne date pas d’aujourd’hui, elle avait déjà joué un rôle fondamental dans le système politique du Congo, avant la colonisation. Il y a une influence toujours maintenue depuis des décennies. »

    Un acteur politique ?

    L’année 2017 illustre bien l’implication et l’influence de l’Église catholique auprès de la population congolaise. Le 31 décembre 2016, l’Église parvient à faire signer à l’opposition et au gouvernement un accord politique. Il permet à Joseph Kabila (2001-2019), président de l’époque, de rester en fonction, à condition que des élections soient organisées avant la fin de l’année 2017.

    Cet accord dit de la Saint-Sylvestre n’est pas respecté par le gouvernement. Du rôle de médiateur, l’Église devient alors acteur politique. La CENCO, la Conférence épiscopale nationale du Congo, rassemblant tous les religieux occupant une fonction dans l'Église, appelle les Congolais à la contestation en publiant un communiqué le 23 juin 2017 : « Nous vous le demandons instamment : il ne faut céder ni à la peur ni au fatalisme. Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie de millions de Congolais. C'est inacceptable ! Nous devons prendre en main notre destin commun », rappelle un rapport paru fin 2022 du Groupe Étude sur le Gongo (le GEC), Ebuteli, intitulé « L’Église catholique en RDC, au milieu du village ou au coeur de la contestation ? ».

    Le 31 décembre 2017 puis le 21 janvier et le 25 février 2018, à l'initiative de l'Église, trois grandes marches sont organisées pour appeler à de nouvelles élections et demander la fin du mandat de Joseph Kabila.

    « Lors de chaque manifestation, des dizaines de milliers - peut-être des centaines de milliers lors de la deuxième marche - de personnes descendent dans les rues. On peut voir des images émouvantes de prêtres pieds nus marchant devant des milliers d'hommes et de femmes en habits du dimanche », raconte le rapport.

    « Ces manifestations, ainsi que d'autres organisées par des mouvements sociaux comme LUCHA, mettent la pression sur le gouvernement et contribuent très probablement à empêcher de nouveaux retards dans la tenue des élections.»

    En décembre 2018, des élections ont finalement lieu. Leur résultat est contesté par l’Église, qui finit tout de même par reconnaître Félix Tsishekedi vainqueur…

    Jusqu'à aujourd'hui, le rayonnement de l'Église sur la classe politique et sur les Congolais reste inchangé. 

    « La population comprend les soucis de l’Église, elle est consciente que quand l’Église prend position, c’est pour son bien-être, cela justifie son influence », explique Donatien N’shole, évêque, secrétaire général de la conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).

    « Le souci de l’Église est le bien-être de la population. À partir du jour où l’on aura des gouvernants qui s’occuperont bien de la population, l’Église se manifestera de moins en moins sur les questions socio-politiques », souligne-t-il.

    Récemment, le 4 décembre 2022, l’épiscopat congolais invitait les fidèles à participer à une marche pacifique pour protester contre l’insécurité à l’est du pays, avec la résurgence du M23 et contre le morcellement de la RDC. L’appel aux fidèles, intitulé « L’heure est grave. Notre pays est en danger », rassemblera aussi bien des catholiques que des croyants d’autres confessions religieuses, ainsi que des autorités politiques et administratives.

    Une puissance économique et foncière

    L’influence de l’Église catholique s’est consolidée lorsque le roi Léopold II, propriétaire du Congo lorsqu’il n’était pas indépendant, cède en 1909 le territoire au royaume de Belgique. « La Belgique a accordé beaucoup de subventions à l’Église catholique pour faire des écoles et aménager le système de santé», continue Trésor Kibangula de l'institut de recherche congolais sur la politique, la gouvernance et la violence. 

    Aujourd’hui, l’Église catholique est l’un des plus grands propriétaires fonciers du pays. À elle seule, elle dispose de 45% des établissements de santé du pays et 30% des écoles.

    « Il y a des endroits en RDC où les services de santé ne sont proposés que par l’Église, confirme Donatien N’shole. Elle est vue comme une structure sanitaire pour la population. La qualité de l’enseignement y est généralement reconnue. Tout cela justifie une certaine ascendance morale de l’Église », continue Donatien N’shole.

    L’Église bénéficie d’importantes exonérations fiscales sur ses établissements et d’autres entreprises qu’elle possède à travers le pays, selon le rapport du Groupe d'étude sur le Congo et d'Ebuteli. Selon le témoignage d’un prêtre interrogé, ces possessions foncières et ces avantages fiscaux invitent l’Église à une certaine mesure ou prudence dans ses prises de positions. « Le fait que l'Église a des choses à protéger - des terres, des écoles - signifie qu'elle a une aversion au risque ».

    Un « activisme » réservé aux droits politiques et à la démocratie ?

    Trésor Kibangula observe que l’implication et la vigilance de l’Église en RDC n’est pas la même selon les dossiers. Là où l’Église semble être un garde fou sur les questions des droits politiques et de la démocratie, il n’en serait pas de même pour les questions de droits sociaux, de l’accès à l’eau, de la bonne gouvernance et de la corruption à la tête de l’État.

    « C’est dommage, car avec l’ancrage national et l’influence politique qu’elle a aujourd’hui,  l’Église peut faire bouger les lignes et mettre une pression suffisante aux pouvoirs publics pour qu’ils modifient leur gouvernance. Bien sûr, les évêques publient des communiqués pour demander la bonne gouvernance et la fin de la guerre à l’Est. Mais les communiqués ne suffisent pas. »

    Pour Donation N’shole, la mission de l’Église n’est pas « politique ».  Il affirme en outre qu'elle s'est investie. 

    « Les évêques apprécient chaque fois la teneur de la crise. Ils ont invité les gens dans la rue par rapport à la situation de l’Est qui est dramatique. Mais il ne faudra pas que les évêques invitent à chaque fois les Congolais à manifester, sinon ils ne seront plus écoutés », explique le secrétaire général de la CENCO. Il affirme que l’Église s’est investie dans de nombreux diocèses pour amener l’eau à la population et pour « compenser le travail que l’État devrait faire ».

    « L’Église ne s’est jamais empêchée d’interpeller l’État de façon générale. Des interpellations globales impliquent tous ces sujets (accès à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé ndlr) », conclut-il.

    Une autre critique émane du rapport du GEC et Ebuteli, notamment un manque de transparence, concernant les affaires financières de l'Église.

    « (…) Le président Tshisekedi a agi comme son prédécesseur, offrant des 4x4 à de nombreux évêques - au moins dix évêques, dont le cardinal Ambongo, ont reçu ces véhicules directement de la présidence, parfois accompagnés de cadeaux en espèces. Ce type de patronage, bien que coutumier depuis l'époque de Mobutu au moins, soulève des doutes quant à l'indépendance politique des évêques et renforce les soupçons de corruption au sein de l’Église. »

    Le pape en visite en RDC

    Le 31 janvier, le pape arrivera en RDC pour une visite qui avait été reportée une première fois pour raisons de santé. Sa prise de parole est attendue par les Congolais, dans un contexte électoral tendu et avec le conflit rongeant l’est du pays, qui souffre de la résurgence du mouvement armé des rebelles du M23.

    Le pape prendra-t-il position sur le contentieux opposant la RDC au Rwanda, alors qu’en décembre 2022, l’ONU confirmait l’implication de Kigali aux cotés du M23 ?

    « L’Église catholique en RDC a déjà dénoncé quelques fois le soutien de Kigali aux rebelles. Peut-être le pape suivra-t-il ce point de vue, ou alors il restera plus diplomatique, pour ne pas froisser les esprits à Kigali… Nous verrons », commente Trésor Kibangula. 

    « Je ne sais pas jusqu’où il va aller au sujet de ce conflit-là, mais ça ne me surprendrait pas qu’il dise un mot pour interpeller les uns et les autres », note de son côté le secrétaire général de la conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), Donatien N’shole.

    Reste que la visite papale fait l’objet d’une instrumentalisation par la classe politique en RDC.

    « On a senti tout de suite une politisation de cette visite. Beaucoup de cadres de la majorité présidentielle de Félix Tsishekedi, notamment le vice-président de l’Assemblée nationale, se sont avancés pour dire que cette venue confirmera le soutien de tous les catholiques au président de la République qui se présente en 2023 », observe le chercheur Trésor Kibangula.

    Preuve, s'il en est, que pour la classe dirigeante congolaise d’aujourd’hui, l’Église fait toujours autorité.

    Ref. D Congo : jusqu'où va l'influence de l'Église catholique dans le jeu politique ?

  • Le dîner des cardinaux du "martyr blanc"

    IMPRIMER

    De George Weigel sur son site :

    Le dîner des cardinaux du martyr blanc*

    25 janvier 2023

    Le soir des funérailles du pape émérite Benoît XVI, le cardinal George Pell a organisé un dîner dans son appartement pour un groupe de personnes en deuil partageant les mêmes idées, et toutes les personnes présentes étaient ravies que l'héroïque cardinal Joseph Zen de Hong Kong, qui avait été autorisé à assister au requiem par la thugocratie de Hong Kong, ait accepté de se joindre à la fête. La société réunie au 1 Piazza della Città Leonina a ainsi pu s'émerveiller d'être en présence de deux "martyrs blancs"* contemporains : des hommes qui avaient beaucoup souffert pour la foi mais étaient restés intacts et pleins de la joie du Seigneur.

    La Providence a voulu que le cardinal Pell, en organisant ce dîner, "organise sa propre veillée irlandaise" (comme l'a fait remarquer l'une des personnes présentes après le décès inattendu de Pell cinq jours plus tard). C'était une description appropriée d'une soirée magique, dans laquelle l'humeur prédominante de profonde gratitude pour Benoît XVI a animé des heures de conversation robuste, pleine d'esprit et de rires. Et comme l'a fait remarquer le cardinal Pell après coup, "le cardinal Zen était vraiment la star ce soir, n'est-ce pas ?". En effet, il l'a été.

    À quatre-vingt-onze ans et souffrant de handicaps physiques accablants, le cardinal salésien né à Shanghai reste incroyablement énergique et a parlé avec enthousiasme de son travail dans la prison de Hong Kong où sont détenus le grand Jimmy Lai et d'autres prisonniers politiques. Les gardiens, semble-t-il, se comportent décemment avec Zen, lui permettent de rester aussi longtemps qu'il le souhaite et ne surveillent pas (ouvertement) ses conversations avec les prisonniers. Le cardinal a raconté avoir fait plusieurs convertis dans la prison et on lui a demandé ce qu'il utilisait comme matériel catéchétique. Les réponses ont été frappantes : la Bible et le Catéchisme de l'Église catholique, bien sûr, mais aussi Les Frères Karamazov de Dostoïevski.

    Mais le moment le plus remarquable de la soirée s'est produit lorsque, après que le cardinal Pell ait porté un toast émouvant à son frère cardinal, la conversation a porté sur les moments où le Seigneur semble être sourd aux appels de son peuple - des moments qui ne sont pas sans rappeler ce que vivent de nombreux catholiques aujourd'hui. Le cardinal Zen a rappelé au groupe les versets appropriés du psaume 44 ("Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? / Réveille-toi ! Ne nous rejette pas pour toujours !") ; il s'est souvenu que ces versets faisaient partie de l'introït du dimanche de la Sexagésime dans l'ancien calendrier liturgique romain - puis il a commencé à chanter, de mémoire et dans un latin impeccable, l'intégralité de cet introït (que l'on peut entendre ici).

    Comme on pouvait s'y attendre, la conversation a fini par porter sur la politique actuelle du Vatican à l'égard de la Chine, dont le cardinal Zen a été un critique virulent et persistant. Le problème, a insisté le prélat de Hong Kong, est le caractère du régime de Pékin, qui vit dans un univers éthique différent, qui ment dans les négociations et dont on ne peut jamais compter sur le respect des accords conclus. C'est précisément ce qui avait fait de l'Ostpolitik du Vatican en Europe centrale et orientale dans les années 1970 un fiasco : les négociateurs du Vatican refusaient de reconnaître le "facteur régime" totalitaire et négociaient donc avec les gouvernements communistes comme s'ils étaient des autoritaires ordinaires plutôt que des ennemis mortels de la religion biblique.  

    La confirmation de l'analyse du cardinal Zen sur la perfidie intrinsèque du régime communiste chinois est intervenue pratiquement au même moment que ce dîner, lorsque l'éditeur britannique Allen Lane a publié The Hong Kong Diaries of Chris Patten, que le dernier gouverneur britannique de la colonie de la Couronne avait conservé depuis son arrivée en 1992 jusqu'au retrait britannique en 1997. Le principal mandarin de la politique chinoise du Foreign and Commonwealth Office de l'époque, Sir Percy Cradock, avait déclaré à Chris Patten que, si les dirigeants chinois "étaient peut-être des dictateurs voyous", ils étaient aussi "des hommes de parole qui respecteraient leurs promesses". Ce à quoi Chris Patten, soupçonnant fortement le contraire, a répondu : "J'espère que c'est vrai."

    Cet échange vif soulève une question : Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d'État du Saint-Siège, s'inspire-t-il de feu Percy Cradock ? Si tel est le cas, le cardinal Parolin servirait mieux la cause de l'Église en Chine s'il prêtait attention à Chris Patten (lui-même catholique), beaucoup plus réaliste, qui notait dans son journal intime que "l'une des tactiques les plus surréalistes [des négociateurs chinois] consiste à refuser d'expliquer ce que signifie quelque chose à moins que nous n'offrions une concession de notre côté. En d'autres termes, l'ouverture, l'exactitude et la transparence sont elles-mêmes considérées comme des concessions chinoises."

    Cradock et d'autres diplomates britanniques de carrière partaient du principe que, comme le dit Chris Patten, "il faut aller dans le sens de Pékin plutôt que de risquer des disputes." Cette mollesse était déjà assez mauvaise pour le gouvernement de Sa Majesté au milieu des années 1990. Elle est honteuse pour le Vatican aujourd'hui. Et cela devrait soulever de sérieuses questions pour ceux qui imaginent le cardinal Parolin comme le successeur du pape François.

    * L’encyclopédie catholique définit comme « martyrs blancs » ceux qui sont maltraités dans leur vie quotidienne en raison de leur croyance dans le Christ.

  • La guerre des cardinaux

    IMPRIMER

    De Ross Douthat sur The New York Times via Il Sismografo :

    La guerre entre les cardinaux catholiques

    La mort du pape émérite, Benoît XVI, a été suivie d'une petite effusion littéraire, une ruée de publications qui ont été interprétées comme des salves dans la guerre civile de l'Église catholique. La liste comprend les mémoires d'un secrétaire de longue date de Benoît XVI, qui mentionne la déception de l'ancien pontife face à la restriction de la messe en latin par son successeur, un recueil d'essais posthume de Benoît XVI lui-même, qui est exploité pour ses citations controversées, et une interview du pape François par l'Associated Press, qui a fait la une des journaux pour son appel à la dépénalisation de l'homosexualité dans le monde.

    Au milieu de tous ces mots, deux interventions méritent une attention particulière. L'une n'est pas vraiment nouvelle, mais la révélation de son auteur lui confère une importance accrue : Il s'agit d'un mémorandum, destiné aux cardinaux qui éliront le successeur de François, qui a circulé pour la première fois en 2022 et dont le journaliste du Vatican Sandro Magister vient de révéler qu'il est l'œuvre du cardinal George Pell d'Australie, un ecclésiastique conservateur de premier plan décédé juste après Benoît XVI.

    Commençant par une déclaration sans nuance selon laquelle le pontificat de François a été une "catastrophe", le mémorandum dépeint une église tombant dans la confusion théologique, perdant du terrain face à l'évangélisme et au pentecôtisme ainsi qu'au sécularisme, et affaiblie par des pertes financières, la corruption et une gouvernance papale sans foi ni loi. (Sur le climat au sein du Vatican, Pell écrit : "Les écoutes téléphoniques sont régulièrement pratiquées. Je ne suis pas sûr de la fréquence à laquelle elle est autorisée").

    L'autre est un long essai d'un autre cardinal de Pell, Robert McElroy de San Diego, paru cette semaine dans America, le magazine jésuite. Il partage avec le mémo de Pell la prémisse que l'Eglise est confrontée à des divisions internes débilitantes, mais il soutient que la division devrait être résolue par l'achèvement de la révolution recherchée par les libéraux de l'église. En particulier, McElroy exhorte l'Église à renoncer à tout jugement significatif sur les relations sexuelles et à ouvrir la communion à "tous les baptisés", ce qui inclut vraisemblablement les protestants. Seul ce type d'inclusion radicale, suggère-t-il, a "un quelconque espoir d'attirer la prochaine génération vers la vie dans l'Eglise".

    Que les factions en conflit au sein du catholicisme aient des points de vue très différents n'est pas une révélation, mais il est tout de même frappant de les voir énoncés si franchement par des cardinaux éminents : la critique directe de Pell à l'égard de la papauté de François et la franchise de McElroy quant à ses objectifs libéraux mettent en évidence ce qui est souvent obscurci par la rhétorique.

    Ce n'est pas seulement leur substance mais aussi leur style qui est éclairant. Dans la liste laconique de Pell, on peut voir un condensé de l'alarme conservatrice sur la condition de l'Eglise. Dans les appels plus expansifs de McElroy au "dialogue" et au "discernement", on peut voir la confiance d'un catholicisme progressiste qui suppose que tout dialogue ne peut mener que dans une seule direction.

    Et dans la distance entre leurs présupposés, qui commencent par des analyses sociologiques différentes des raisons pour lesquelles l'Eglise est en difficulté et se terminent par un vaste fossé doctrinal, on peut sentir l'ombre du schisme planer sur l'Eglise du XXIe siècle. McElroy n'est pas un théologien radical ; Pell n'est pas un réactionnaire marginal. Il s'agit de figures traditionnelles qui travaillent au cœur de la hiérarchie catholique, et pourtant le fossé entre leurs visions du monde semble pouvoir les placer dans des branches entièrement différentes de la foi chrétienne.

    Malgré leur indéniable conservatisme, Benoît XVI et Jean-Paul II avaient pour objectif constant de réaliser une sorte de synthèse pour l'Église moderne, dans laquelle les changements introduits par Vatican II pourraient être intégrés aux engagements traditionnels du catholicisme. Leur ère est désormais révolue, mais si l'Église veut maintenir ses factions actuelles unies sur le long terme, une synthèse est toujours nécessaire ; la simple coexistence n'est probablement pas viable. (La tentative actuelle des prélats alignés sur François d'écraser pratiquement la messe latine montre à quel point elle cède rapidement). Une sorte de pont plus solide devrait exister entre les visions du monde de McElroy et de Pell pour que leurs successeurs puissent encore partager une Eglise en 2123.

    Est-ce imaginable ? En tant que personne qui est fondamentalement d'accord avec le diagnostic de Pell, je peux lire McElroy et trouver des points de discussion raisonnables, en particulier lorsqu'il parle du rôle des femmes catholiques dans la gouvernance de l'Eglise. En théorie, on peut imaginer un catholicisme avec plus de religieuses et de laïques dans des fonctions importantes, qui conserve ses engagements doctrinaux fondamentaux, tout comme - pour reprendre la récente interview du pape - on peut imaginer une Eglise vigoureusement opposée à la discrimination injuste ou à la violence d'État contre les homosexuels, qui reste attachée à la règle de la chasteté et à la centralité du mariage sacramentel.

    Mais les synthèses ne peuvent pas seulement être rédigées sur papier, elles doivent vivre dans le cœur des croyants. Et en ce moment, la tendance est aux différences irréconciliables, à une vision de l'avenir du catholicisme, des deux côtés de ses divisions, où l'argument actuel ne peut être résolu que par quatre mots simples : nous gagnons, ils perdent.