Du site de l'Aide à l'Eglise en Détresse (France) :
Istanbul: Sainte-Sophie pourrait-elle devenir une mosquée ?
6 mai 2020
Sainte-Sophie à Istanbul (Turquie) fut autrefois le centre de l’orthodoxie, avant d’être transformée en mosquée puis en musée. Dans ce lieu, officiellement neutre depuis 1934, l’appel à la prière des musulmans a été entendu de nouveau le 23 mars dernier dans l’ancienne cathédrale byzantine. La première fois qu’a eu lieu un tel événement depuis 85 ans remonte au 3 juillet 2016. Décryptage de l’AED avec Étienne Copeaux, historien de la Turquie contemporaine.
Comment expliquer la revendication des musulmans de prier à Sainte-Sophie d’Istanbul ?
La revendication du retour de la basilique du VIème siècle au culte musulman est forte depuis le 500ème anniversaire de la prise de Constantinople en 1453. Lors de la prise de la Ville (la « Fetih« ), le sultan est allé célébrer la victoire à Sainte-Sophie, la transformant ipso facto en mosquée. Ce geste confère un caractère sacré et musulman à la basilique qui est devenue un symbole de l’islam turc quoique, paradoxalement, on lui a laissé son nom grec et chrétien, Aya Sofia. Atatürk, le fondateur et premier président de la République de Turquie de 1923 à 1938, a décidé en 1934, au grand scandale des religieux, de « laïciser » Sainte-Sophie en la transformant en musée, ce qu’elle est toujours actuellement.
La question de la prière musulmane à Sainte-Sophie est-elle un rejet de la laïcité voulue par Atatürk ?
La commémoration de 1953, assez modeste au demeurant, intervenait à une période anti-laïciste, une période de retour du religieux avec le gouvernement du Parti démocrate d’Adnan Menderes (1950-1960) qui a proclamé en 1956 à Konya : « La nation turque est musulmane ». Cet énoncé correspond au caractère de la Turquie, devenue de facto musulmane à 99% après le génocide des Arméniens, les expulsions de Grecs orthodoxes et pogroms de juifs, est devenu le slogan préféré de l’extrême-droite turque.
Lorsque l’islam politique revient au pouvoir, de juin 1996 à juin 1997, le premier ministre Necmettin Erbakan promet à ses électeurs le retour de la basilique à l’islam. Il n’est pas resté assez longtemps au pouvoir pour accomplir ce projet. Mais à la même époque, de 1994 à 1998, Recep Tayyip Erdogan est maire d’Istanbul, et formule les mêmes vœux. Mais il est destitué par l’armée en 1998, et séjourne même en prison pour « atteinte à la laïcité ».