Le gouvernement français est-il en droit de maintenir l’interdiction de célébrer la messe publique jusque début juin, comme l’a annoncé Emmanuel Macron le 21 avril ? Éléments de réponse avec le frère Joseph-Thomas Pini, canoniste et dominicain de la province de Toulouse dans une interview réalisée par Antoine Pasquier pour le magazine « Famille chrétienne » :
"La Conférence des évêques de France et le gouvernement discutent des conditions de reprise des messes publiques après le 11 mai. L’État peut-il imposer ses conditions dans l’exercice du rite ?
Dans l’édifice cultuel, le ministre du culte affectataire ou propriétaire est maître de l’organisation de la liturgie et de tout ce qui est cultuel, sous la modération de l’évêque. Si l’autorité civile dispose d’un droit de regard, très limité, en cas de trouble grave à l’ordre public, celle-ci n’est pas compétente pour tout ce qui touche au rite et à la liturgie. Le droit canonique rappelle ce principe d’indépendance absolue de l’Église en matière d’organisation du rite par ses autorités légitimes. Et deux autres principes essentiels : la préservation de l’intégrité des sacrements (à célébrer selon ce qui est prévu, même de manière simplifiée), et la légitimité de tout effort possible pour que les fidèles aient accès aux sacrements, s’il n’y a pas d’impossibilité ou d’empêchement.
En France, cette question est rendue complexe par l’arrière-plan historique. Les pouvoirs publics français ont toujours eu la tentation de vouloir se faire les garants des bonnes pratiques religieuses. C’est très bonapartiste comme réflexe. Quelle est la bonne manière de donner la communion ? Quelle est la bonne manière d’organiser une messe ? Tout cela dépend uniquement de l’autorité de l’Église. L’État n’a pas à s’en mêler. Reste que dans la situation sanitaire actuelle, grave et difficile, les choses ne sont pas aussi binaires. Les troubles graves à l’ordre public concernent aussi la salubrité publique dont la préservation, par hypothèse, appellent les mesures les plus intrusives.
L’État peut-il interdire la reprise normale du culte malgré le déconfinement annoncé le 11 mai ?
Ce qui fait réagir les évêques dans les annonces d’Emmanuel Macron, et met un peu le feu aux poudres, c’est le risque d’une rupture d’égalité à partir du 11 mai. Certaines activités seraient autorisées, mais pas les offices religieux qui ne pourraient reprendre que début juin. Au nom du principe d’égalité, en quoi serait-il plus dangereux de se rendre dans une église que de prendre les transports en commun ? Pourquoi autoriserait-on des activités dont les conditions sanitaires seraient comparables à celles des célébrations eucharistiques, et interdirait-on toujours ces célébrations ? Si l’Église présente un plan de bonnes pratiques, maintenir une interdiction générale après le 11 mai sera très difficile à justifier, y compris juridiquement.