Du site "Pour une école libre au Québec" :
Médias: la nouvelle Inquisition ?
Docteur de la Sorbonne en langue et littérature françaises, Ingrid Riocreux étudie dans son nouvel ouvrage le désamour généralisé envers les médias.
Enclins à orienter l’information au gré des vents qui leur conviennent, les médias colportent et imposent une vision du monde qui leur est propre, souligne Ingrid Riocreux.
À l’heure des infox et des médias alternatifs, des polémiques à deux sous et des « buzz » pilotés, « médiatiquement nous sommes entrés dans l’ère du soupçon », indique Ingrid Riocreux. Après un premier ouvrage consacré au langage propre aux médias, l’agrégée de lettres modernes et docteur de la Sorbonne en langue et littérature françaises analyse dans son nouvel opus comment les médias et journalistes qui colportent la suspicion sont devenus indignes de confiance.
Mêlant témoignages et décryptages, l’ouvrage dévoile une parole dominante qui cherche à s’imposer dans le discours médiatique au détriment de la recherche de la vérité et du pluralisme.
— Pourquoi, après un premier livre qui étudiait le langage des médias, consacrer à nouveau un ouvrage à ceux que vous appelez, citant Maupassant, les « marchands de nouvelles » ?
— Le point de départ de la Langue des médias était la démonstration de l’existence d’un sociolecte journalistique : une manière de parler propre aux journalistes. Je m’attachais à la diction, au repérage de formules récurrentes, pas toujours marquées idéologiquement, que ce soient les anglicismes ou les métaphores clichés.
Je voulais surtout insister sur le glissement qui conduit de l’absence de réflexion sur le langage à l’imprégnation idéologique. Dans ce second volume, c’est cette imprégnation idéologique qui est au cœur de mon analyse, de deux manières, puisque je montre que le discours médiatique est porté par une vision du monde qui préexiste à l’observation du réel et la modèle, et parallèlement, que cette manière de dire le monde oriente totalement notre compréhension des choses, en profondeur.
Méthodologiquement, Les Marchands de nouvelles diffère beaucoup de La Langue des médias sur trois points : j’y ai mis beaucoup de moi, alors même que je m’étais effacée le plus possible de mon premier livre.
J’ai voulu montrer l’impact de l’idéologie portée par les médias sur la vie, sur le quotidien, au travers d’anecdotes personnelles. J’ai suivi en cela l’exemple de Klemperer, précisément parce que, entre-temps, j’ai lu LTI [la langue du IIIe Reich de Victor Klemperer] et d’autres ouvrages que je cite abondamment. C’est la deuxième différence avec mon autre livre : le second est beaucoup plus nourri que le premier parce que, grâce aux conseils de lecteurs qui m’ont écrit, j’ai découvert Sternberger, Klemperer, Armand Robin, etc. Et le travail fascinant de Michel Legris (Le Monde tel qu’il est, Pion, 1976). Enfin, je reviens, dans ce nouveau livre, sur la réception du précédent : comment la Langue des médias a été accueilli et ce que cela dit de notre temps. J’ai traqué le off des journalistes, leurs confidences hors plateau, notamment sur la dégradation de leurs conditions de travail, directement en lien avec la pression idéologique qu’ils subissent et dont beaucoup se plaignent.