Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Débats - Page 173

  • Tirer correctement les leçons de l’invasion de l’Ukraine (Chantal Delsol)

    IMPRIMER

    Du site du Figaro () via artofuss.blog :

    Chantal Delsol: «Les grands mots ronflants sur la paix universelle n’ont jamais rien produit»

    28 février 2022

    CHRONIQUE – Même si les Occidentaux n’ont aucune velléité belliqueuse, ils doivent tirer les leçons de l’invasion de l’Ukraine et s’armer pour préparer les guerres futures, explique la philosophe. «Nous allons devoir comprendre que notre pacifisme ne s’est pas étendu à la terre entière», argumente-t-elle.

    Il est très extraordinaire de constater depuis des années la complaisance, voire le soutien, d’une partie de la droite française à l’égard de Poutine. La raison en est d’abord l’antiaméricanisme de ce courant, capable de valoriser n’importe quel adversaire de l’Amérique. Et puis la droite a parfois tendance à croire que Poutine est un conservateur, parce qu’il pourchasse les Pussy Riot et révère les patriarches orthodoxes – ce qui est une profonde méprise, Poutine est juste un gangster et un autocrate pragmatique. Son discours contre «la décadence de l’Occident» peut plaire à ceux qui, ici, déplorent le crépuscule de nos croyances – et pourtant il n’y a guère plus décadent que Poutine et ses oligarques, nés dans le chaudron communiste où il n’y eut jamais ni principes, ni valeurs, ni conscience morale.

    Pourtant, les menées de ce personnage inquiétant peuvent nous inciter à un certain retour au réel.

    Nous sommes les héritiers des utopies multiples. Le marxisme et aussi le nazisme étaient des utopies. Nous ne nous sommes pas encore débarrassés de cette forme de pensée. Aussitôt après la chute du communisme ont émergé les théories de la «fin de l’histoire», qui reprenaient l’une des croyances chères au marxisme: celle du paradis sur terre, à gagner bientôt par quelques sacrifices présents. Depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, l’Occident se trouve encore ancré dans l’illusion de l’anéantissement des guerres, du commerce qui remplace la force (vieille idée qui n’est pas fausse mais ne peut pas être aussi radicale), du gouvernement mondial, de la morale qui remplace la politique.

    C’était à nous d’apporter la démocratie au monde, ce que nous avons tenté de faire en soutenant partout les révolutions de couleurs et en aidant à faire tomber les dictateurs. Les révolutions de couleurs, qui se sont avérées surtout le fait d’une élite occidentalisée, ont été partout réprimées, et quand la chute d’un dictateur nous permettait d’aider à établir la démocratie, le vote conférait souvent le pouvoir à d’autres dictatures. Nous sommes néanmoins encore volontiers convaincus que nous allons abolir la force et la violence, la guerre, la conquête et les frontières, grâce à la modernité, à la consommation et au «doux commerce». Il suffit de regarder les documents européens pour apercevoir cette utopie en toutes lettres. Pendant que Poutine (comme d’ailleurs l’ensemble des peuples non occidentaux) se trouve «encore» dans la mentalité de la force et de l’identité nationale et culturelle, ce qui nous paraît d’un esprit obsolète.

    Lire la suite

  • Des sermons à périr d'ennui...

    IMPRIMER

    De Camille Lecuit sur le site de Famille chrétienne via le Forum catholique :

    « Pourquoi les sermons sont-ils si ennuyeux ? » Les dessous de l'enquête choc sur la perception des homélies

    Ayant recueilli l’avis de 10 000 fidèles sur les homélies avec une enquête en ligne en mars 2021, Luc Desroche revient dans une vidéo sur l’analyse des résultats, mais aussi sur la manière dont elle a été reçue par les principaux intéressés : les prêtres, séminaristes et évêques français…

    « Suis-je le seul à m’ennuyer souvent pendant les sermons ? » Cette question turlupinait Luc Desroche, professeur d’éloquence et de théâtre et catholique convaincu, au fil des messes auxquelles il assistait. Son problème venait-il seulement d’une déformation professionnelle ou était-il vraiment partagé par d’autres catholiques ? Pour en avoir le cœur net il a lancé une enquête en ligne en mars 2021, à laquelle plus de 10 000 fidèles ont répondu. Les résultats ont confirmé l’intuition de ce trentenaire, co-fondateur avec Alban Hachard d’une entreprise dédiée à la formation à la prise de parole baptisée Eloquence à la française : il reste des progrès à faire pour les prédicateurs.

    Luc Desroche est revenu dans une vidéo Youtube le 26 janvier pour donner quelques clés d’analyse des résultats diffusés ces derniers mois, mais aussi pour donner des pistes et expliquer comment les prêtres eux-mêmes ont reçu l’enquête.

    Un « gros problème » de message et de longueur

    Certes 72% des participants affirment que l’homélie les « aide à approfondir leur foi ». Mais Luc Desroche invite à « considérer les non pratiquants », pour lesquels l’homélie peut s’avérer un enjeu important : hélas, 62% d’entre eux considèrent que « l’homélie ne leur sert jamais à approfondir leur foi » (même s’ils représentent une minorité des répondants, à peine 20%). Par ailleurs pour l’ensemble des participants, 41 % sont impatients de l’homélie, 29 % n’en attendent rien et 21 % ont peur de s’ennuyer. Enfin 79 % des répondants estiment que leur capacité de concentration est inférieure à 8 minutes. « Donc si les prêtres parlent plus de 8 minutes, ils perdent plus de 80 % de l’Assemblée ! » insiste Luc Desroche.

    « Il y a trois principales raisons pour lesquelles les gens décrochent », récapitule le professionnel de l’éloquence en reprenant l’enquête : « la langueur, le message n’est pas clair, c’est trop infantilisant, c’est une paraphrase de l’Evangile. » Autrement dit : « Il y a un gros problème sur le langage verbal, poursuit-il en le distinguant du langage vocal – « l’intonation, les silences, le rythme » - et du langage visuel – « le regard, la posture, les gestes ». « Il n’y a pas de structure, il y a des phrases parfois très longues, on s’y perd… Donc le principal axe d’amélioration c’est en amont une préparation beaucoup plus importante qui devrait être consacrée à l’homélie sur la structure, et surtout sur le message. »

    Lire la suite

  • Etats-Unis : vers l'adoption de la loi sur l'avortement la plus extrême jamais votée par le Sénat américain ?

    IMPRIMER

    De Michael Warsaw, président du conseil d'administration et le directeur général du réseau catholique mondial EWTN, et l'éditeur du National Catholic Register :

    Pire que Roe !
    Le Congrès doit rejeter la loi orwellienne sur la protection de la santé des femmes.

    25 février 2022

    Avec la disparition de Roe v. Wade - la décision de la Cour suprême des États-Unis qui a légalisé l'avortement pendant les neuf mois de la grossesse il y a près de 50 ans - apparemment à portée de main, des efforts sont en cours tant par la communauté pro-vie que par le lobby radical de l'avortement pour se préparer à un monde post-Roe.  

    Alors que la plupart des actions entreprises jusqu'à présent se situent au niveau des États, le Sénat américain est sur le point de voter sur la loi trompeuse intitulée "Women's Health Protection Act". Si la vérité dans la publicité était une exigence pour nommer les projets de loi, elle s'appellerait "Loi sur l'avortement à la demande jusqu'à la naissance". 

    Les partisans de cette législation l'ont décrite comme une tentative d'inscrire Roe dans la loi fédérale. Aussi tragique que cela puisse être, la dure réalité est que ce projet de loi irait bien au-delà, en supprimant même les protections les plus élémentaires pour les femmes et leurs bébés à naître.  

    Franchement, c'est bien pire que Roe.  

    Il s'agit de la loi sur l'avortement la plus extrême jamais votée par le Sénat américain.  

    Que ferait-elle ? Ce projet de loi annulerait toutes les lois étatiques réglementant l'avortement. Cela inclut les lois des États qui limitent les avortements tardifs douloureux et les lois qui interdisent de pratiquer des avortements en raison de la race, du sexe ou de la condition de l'enfant. Elle mettrait même fin aux lois de base sur le consentement éclairé qui garantissent que les mères disposent de toutes les informations pertinentes avant de choisir un avortement.  

    Malgré les sondages qui montrent régulièrement un fort soutien - 71% des Américains et près de la moitié des Démocrates - pour des limites à l'avortement, en particulier au cours des deuxième et troisième trimestres, le Sénat avance à toute vapeur.  

    Pourtant, la vérité sur la gravité de l'avortement et ses conséquences pour l'enfant et la mère est indéniable. Chaque avortement met fin à au moins une vie et en blesse une autre.  

    Les politiciens catholiques qui défendent volontairement et avec enthousiasme la disponibilité et la pratique de l'avortement vivent à l'encontre de l'enseignement de l'Église.  

    Le Catéchisme de l'Église catholique est clair sur la nécessité de préserver la dignité de la vie (2270) : "La vie humaine doit être respectée et protégée de manière absolue dès le moment de la conception. Dès le premier instant de son existence, l'être humain doit être reconnu comme ayant les droits d'une personne - parmi lesquels figure le droit inviolable de tout être innocent à la vie." 

    Le Catéchisme décrit ensuite que ce n'est pas seulement le fait d'obtenir l'avortement qui constitue un délit grave, mais, en effet, comme expliqué en 2273, " [l]e droit inaliénable à la vie de tout individu humain innocent est un élément constitutif d'une société civile et de sa législation. ... Les droits inaliénables de la personne doivent être reconnus et respectés par la société civile et l'autorité politique. Ces droits de l'homme ne dépendent ni d'individus isolés ni de parents ; ils ne représentent pas non plus une concession faite par la société et l'État ; ils appartiennent à la nature humaine et sont inhérents à la personne en vertu de l'acte créateur dont elle est issue. Parmi ces droits fondamentaux, il convient de mentionner à cet égard le droit de tout être humain à la vie et à l'intégrité physique, depuis sa conception jusqu'à sa mort."  

    Pourrait-on être plus clair ? Notre Saint-Père, le pape François, a été sans équivoque sur le mal de l'avortement, le comparant à l'équivalent "à mains blanches" des programmes eugéniques nazis et aux personnes qui engagent un tueur à gages "pour résoudre un problème". On ne peut pas être plus clair. 

    Pourtant, malgré les vifs reproches adressés à la "culture du jetable" par le pape François lui-même, beaucoup trop de politiciens catholiques - et d'autres - continuent de poursuivre des politiques et des programmes politiques qui portent atteinte à la dignité fondamentale de la personne humaine.  

    Dans un message émouvant adressé aux Nations Unies il y a moins de deux ans, le pape François a déclaré que "[a]u cœur de cette "culture du jetable" se trouve un manque flagrant de respect pour la dignité humaine, la promotion d'idéologies ayant une compréhension réductrice de la personne humaine, un déni de l'universalité des droits humains fondamentaux, et une soif de pouvoir et de contrôle absolus qui est répandue dans la société d'aujourd'hui. Appelons cela pour ce que c'est : une attaque contre l'humanité elle-même". Amen.  

    Le cœur du programme du lobby de l'avortement n'est pas seulement une dévalorisation totale de la dignité de toute vie humaine, c'est aussi l'opposition entre les mères et leurs enfants, ce qui renverse la compréhension de la relation humaine la plus fondamentale. Il est tout à fait faux de prétendre que les enfants sont un obstacle à l'épanouissement des femmes, que la seule solution à une grossesse inattendue est l'avortement et que les bébés "non désirés" sont mieux morts. Les catholiques et les personnes pro-vie doivent s'unir pour dissiper avec force ces mythes.   

    Que devons-nous faire à partir de là ? Pour commencer, nous devons résister à ce projet de loi spécifique et à toutes ses itérations ultérieures, et nous devons demander des comptes aux politiciens qui prétendent être catholiques mais qui soutiennent une législation aussi horrible.  

    Mais construire une culture de la vie ne consiste pas seulement à s'opposer à des politiques mortelles. Il s'agit de montrer comment l'Église soutient les femmes et leurs bébés dès la conception, avec les ressources et les outils nécessaires pour aider les mères à prendre soin de leurs bébés - et à prospérer.  

    Le cardinal Timothy Dolan de New York, président du Comité pour la liberté religieuse de l'USCCB, et l'archevêque William Lori de Baltimore, président du Comité pour les activités en faveur de la vie de l'USCCB, ont envoyé une lettre aux sénateurs cette semaine, avant le vote, qui, je crois, fournit une feuille de route aux catholiques américains à la recherche d'un leadership audacieux. 

    Dans une section particulièrement mémorable, ils écrivent : "Répondre aux besoins des femmes en promouvant l'avortement électif financé par les contribuables, comme le ferait ce projet de loi, est un manquement à l'amour et au service des femmes. Offrir des avortements gratuits ou à faible coût, au lieu des ressources nécessaires pour prendre soin de son enfant, n'est pas un 'choix' mais une coercition. Cela signifie à une mère dans le besoin qu'il n'y a aucun espoir pour elle ou son enfant et perpétue les injustices qui poussent les mères à mettre fin à la vie de leurs enfants. En tant que nation construite sur la reconnaissance que chaque être humain est doté par son Créateur des droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur, nous devons rejeter ce projet de loi et adopter une politique publique qui respecte pleinement et facilite ces droits et les besoins de la mère et de l'enfant." Encore une fois, je dis amen.  

    Nous sommes à un tournant critique dans notre lutte pour protéger la vie. Nous ne pouvons pas faiblir. Nous ne pouvons pas permettre que tous nos progrès soient anéantis. Cette législation doit être rejetée - pour le bien de l'humanité.

    Que Dieu vous bénisse.

  • Crise ukrainienne, quelques repères :

    IMPRIMER

    De Riccardo Cascioli sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    Crise ukrainienne, quelques repères :

    25-02-2022

    Avec le début de l'invasion russe de l'Ukraine, l'affrontement entre "supporters" a commencé ponctuellement : pro- ou anti-Poutine, pro-russe ou pro-ukrainien. Il s'agit là d'une manière réductrice et déformée d'appréhender la réalité. Nous proposons donc un certain nombre de lignes directrices pour juger ce qui se passe, en partant de l'inquiétude pour les personnes impliquées malgré elles et qui paient cher la guerre par la mort et la souffrance.

    Avec le début de l'invasion russe en Ukraine, l'affrontement entre les "supporters" a ponctuellement commencé : pour ou contre Poutine, pro-russe ou pro-ukrainien, il n'y a pas de place pour des positions plus articulées, pour des raisonnements qui vont au-delà de "Poutine est le nouvel Hitler" ou "Poutine, envahit l'Europe". Et évidemment, la Nuova Bussola Quotidiana est aussi mesurée par beaucoup à cette aune, anti-Poutine ou pro-Poutine selon les articles. Mais, comme dans le cas de la pandémie, nous ne sommes pas intéressés à nous rallier à une faction quelconque ; nous essayons plutôt d'aller au fond des événements en utilisant les critères que l'Église nous enseigne, combinés à la connaissance de ce qui se passe sur le terrain.

    Essayons donc d'expliquer une fois de plus quelques points clés qui nous guident dans notre jugement et qui, dans une large mesure, dépassent également la crise ukrainienne.

    1. La guerre est un mal. Il peut parfois être nécessaire de se défendre, mais le recours à la guerre pour résoudre des différends les aggrave toujours. Il suffit de regarder ce qui s'est passé dans le monde au cours des dernières décennies pour s'en faire une idée. Il y a deux jours, nous avons rappelé l'affirmation du Pape Pie XII "rien n'est perdu avec la paix, tout peut être perdu avec la guerre", ainsi que la belle lettre du Métropolite Antonij qui décrit bien la profondeur avec laquelle un chrétien est appelé à juger la guerre, ou l'injustice, et comment donc l'arme que nous sommes tous appelés à utiliser est cette "prière qui ne nous permet plus de vivre sur le néant et la futilité". C'est dire que la paix dépend avant tout de notre conversion. Il est bon de relire la lettre du métropolite Antonij dans son intégralité ; elle nous aide certainement à comprendre ce que signifie regarder la réalité avec les yeux de Dieu.

    Parfois, en lisant de nombreux commentaires, on a l'impression que nous regardons la crise ukrainienne, l'affrontement entre la Russie et l'Occident, comme si nous jouions à un jeu de Risk, et que cela ne concerne pas les personnes de chair et de sang, qui meurent et souffrent dans la guerre, comme dans toute guerre. Nous devrions écouter davantage les cris de ces personnes avant de faire des déclarations irréfléchies. Et les chefs des nations portent toute la responsabilité de déclencher les guerres, de les provoquer par des choix politiques hasardeux, de ne pas déployer toutes les armes diplomatiques pour les éviter.

    Lire la suite

  • Peut-on vivre comme si Dieu n'existait pas ?

    IMPRIMER

    De RCF :

    Vivre "comme si Dieu n’existait pas"

    PEUT-ON VIVRE SANS DIEU ? UNE LECTURE DU PSAUME 13 Durée: 29 min

    Peut-on vivre sans Dieu ? En 1988, Jean Paul II observait que beaucoup de nos contemporains vivent "comme s'il n'existait pas" et passent à côté de l'idée de Dieu. Pourtant, rien n’a remplacé la question de Dieu, note le philosophe et théologien, Alphonse Vanderheyde : "Il a été chassé de nos vies, mais qu’est-ce qui le remplace aujourd’hui ?"

    Le paradoxe de notre société sans Dieu mais obsédée par les religions

    La pratique religieuse baisse dans notre société déchristianisée. Pourtant, il ne se passe pas un jour sans qu’on parle des religions. Comment expliquer ce paradoxe ? "Il est normal de parler des religions, notamment de la religion chrétienne, estime le philosophe et théologien Alphonse Vanderheyde, parce que l’Europe a été façonnée par le christianisme pendant 20 siècles donc ça laisse des traces."

    Pour autant, si "dans la vie de tous les jours, les gens n’éprouvent pas le besoin de célébrer la foi : c’est une question de pratique religieuse mais ce n’est pas une question de refuser Dieu", relève le philosophe. Délaisser la pratique religieuse ce n’est donc pas abandonner une quête de sens. Si l’on "s’est éloignés de la religion chrétienne", il peut rester l’idée d’un "Dieu invisible et caché, qu’on ne voit pas mais dont on parle sans cesse", comme disait Pascal.

    Est-ce une folie de croire en Dieu ou de passer à côté de l'idée de Dieu ?

    La question de Dieu a toujours été "problématique", rappelle le théologien. Aujourd'hui comme il y a plus de 2.000, l'homme a tendance à oublier Dieu. C'est ce que montre le Psaume 13, qui nous invite précisément à ne pas nous couper de lui. 

    « Dans son cœur le fou déclare : "Pas de Dieu !" Tout est corrompu, abominable, pas un homme de bien ! Des cieux, le Seigneur se penche vers les fils d'Adam pour voir s'il en est un de sensé, un qui cherche Dieu. Tous, ils sont dévoyés ; tous ensemble, pervertis : pas un homme de bien, pas même un seul ! » (Ps 13, 1-3)*

    Est-ce une folie de croire en Dieu ? A l'époque des Psaumes, c'était une folie de ne pas y croire ! "Aujourd’hui on est coupés de Dieu mais on ne le sait pas, c’est peut-être ça la folie, on n’a pas conscience de cela", selon Alphonse Vanderheyde. Déjà, en 1988, Jean Paul II observait qu’il y a "beaucoup de personnes qui vivent comme si Dieu n’existait pas et qui se situent en dehors de la problématique foi - non-croyance, Dieu ayant comme disparu de leur horizon existentiel" (Discours à l'assemblée plénière du secrétariat pour les non-croyants, le 5 mars 1988). Ce qu’il voulait nous dire c’est que beaucoup de nos contemporains "passent à côté de la question de Dieu", explique le philosophe. 

    Rien n’a remplacé la question de Dieu, de ce Dieu chrétien, il a été chassé de nos vies, mais qu’est-ce qui le remplace aujourd’hui ?

    L’homme, qui a pris la place de Dieu

    "On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas tout d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure", écrit Bernanos ("La France contre les robots", 1944) Pour Alphonse Vanderheyde, ce qui "manque dans ce monde" c’est la vie intérieure. "Où est le silence, le recul, la retraite ?" 

    Dans nos sociétés matérialistes ultra connectées, on a l’impression de "tout savoir, de tout contrôler", on a "l’illusion d’un grand pouvoir". Pour Alphonse Vanderheyde, "rien n’a remplacé la question de Dieu, de ce Dieu chrétien". "Il a été chassé de nos vies mais qu’est-ce qui le remplace aujourd’hui ?"


    Spécialiste de Nietzsche et de saint Augustin,  Alphonse Vanderheyde est l'auteur du livre "Les acquis de la mort de l'homme", tomes I et II (éd. Connaissances et savoirs, 2017 et 2020).

    * Source : AELF

  • La croisade idéologique de Poutine : ce qu'en disait Mathieu Slama en 2016

    IMPRIMER

    De Pascal Boniface (Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques) sur Le Club de Mediapart :

    Reflexions sur la croisade idéologique de Poutine

    J'interroge Mathieu Slama a propos de son livre"La Guerre des Mondes" Editions de Fallois

    1er août 2016

    La guerre des mondes – 3 questions à Mathieu Slama

    Mathieu Slama intervient de façon régulière dans les médias sur les questions de politique internationale. Il a publié plusieurs articles sur la stratégie de Poutine vis-à-vis de l'Europe et de l'Occident. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage : « La guerre des mondes : réflexions sur la croisade idéologique de Poutine contre l'Occident », paru aux Éditions de Fallois.

    1.Vous évoquez une incompréhension entre l’Europe et la Russie sur le terrain des valeurs et de la religion qui expliquerait en partie nos différends géopolitiques. Pouvez-vous développer ?

    Mon intuition est la suivante : ce qui se joue entre la Russie de Poutine et les pays occidentaux est beaucoup plus fondamental qu’un simple conflit d’intérêts autour des questions syrienne et ukrainienne. Selon moi, il y a en arrière-plan de ce conflit une opposition entre deux grandes visions du monde concurrentes.

    La vision occidentale, pour résumer, est libérale au sens où elle définit avant tout la communauté politique comme une organisation permettant de garantir les libertés individuelles. La patrie, la communauté, les traditions particulières sont dans cette vision des vestiges appartenant au passé. La vision de Poutine est traditionnaliste : la communauté politique est pour lui le produit d’une histoire et d’une culture particulières qui priment sur les libertés individuelles. Il y a là, donc, deux langages très différents qui se font face.  

    La question religieuse, que vous évoquez, me semble assez bien illustrer cette opposition idéologique. Quand le groupe ultra-féministe Pussy Riots fait irruption dans la cathédrale de Moscou en proférant des injures, elles sont condamnées aussi bien du point de vue pénal que du point de vue de l’opinion publique. Pour expliquer cette condamnation, Hélène Carrère d’Encausse avait assez bien résumé les choses : pour les Russes et pour Poutine, il y a des choses qui ne se font pas, tout simplement. En France, l’action des Femen dans la cathédrale Notre-Dame n’avait guère choqué ni l’opinion publique ni les autorités. Nous avons perdu tout sens du sacré : au nom de la liberté, tout peut être profané, en particulier les symboles religieux (cf. les caricatures de Mahomet…). Evoquer nos racines chrétiennes ? vous n’y pensez pas ! De son côté, Poutine n’a de cesse d’exalter la tradition orthodoxe de son pays. Il s’est récemment rendu à une cérémonie célébrant le millième anniversaire de la présence russe au Mont Athos en Grèce, la « Sainte Montagne » orthodoxe où des moines vivent et prient depuis le Xème siècle. Le symbole est immense.

    Il me semble que Poutine a compris une chose essentielle (quoi qu’on pense de l’homme) : la politique, ce n’est pas seulement une affaire de règles de droits garantissant les libertés individuelles. La politique, c’est autre chose : l’habitation d’un espace particulier, l’héritage de mythes fondateurs, de traditions et de symboles qui inscrivent un pays dans une trajectoire historique qui lui est propre. Si tout n’est que droits, alors il n’y a plus de communautés particulières. Et donc plus de politique. La force de Poutine est de nous confronter à ce terrible renoncement.

    2.Poutine reproche-t-il aux Occidentaux de confondre « communauté occidentale » et « communauté internationale » ?

    C’est la deuxième grande critique qu’adresse Poutine aux pays occidentaux, et qui me paraît essentielle : le monde occidental a cette fâcheuse tendance à vouloir construire un monde à son image. Il est devenu incapable de penser la différence culturelle, d’imaginer qu’il n’y a pas un monde mais des mondes, avec leurs traditions et leur histoire distinctes. Prenons un exemple d’actualité : l’Iran. On ne compte plus les unes et les reportages sur les évolutions de ce pays. Et que célèbre-t-on ? Son occidentalisation  Mais dès qu’il s’agit de ses composantes traditionnelles, on crie à l’obscurantisme, à la barbarie ! Il y a là un mélange d’incompréhension et de mépris, ainsi qu’un immense paradoxe : l’Occident libéral sacralise l’Autre, mais c’est en réalité pour lui nier son altérité fondamentale. Il faut relire Claude Lévi-Strauss à ce sujet, lui qui fut un des premiers à s’inquiéter de l’uniformisation du monde sous l’influence occidentale.

    Le cœur du problème est l’universalisme : cette idée qu’il existe un modèle libéral qui est le devenir inéluctable de l’humanité toute entière. Les néo-conservateurs américains, influencés par une mauvaise lecture de Leo Strauss et de sa réflexion sur le relativisme, ont fait de cet universalisme le centre de leur idéologie (mais au service, évidemment, des intérêts politiques et économiques de leurs pays). L’immense mérite de Poutine est de mettre à nu cet universalisme et ses dérives. Les conséquences sont très concrètes : nul besoin de s’épancher sur les situations catastrophiques de l’Afghanistan, de l’Irak ou encore de la Libye… A ce sujet, Poutine a posé cette question aux Occidentaux devant l’ONU l’année dernière : « Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? »

    3. Vous écrivez que, pour le président russe, l’enjeu est de préserver la diversité du monde face aux velléités universalistes occidentales. Il est pourtant plutôt vu chez nous comme celui qui veut soumettre les autres à ses volontés…

    Dans une tribune fameuse écrite en 2013 dans le New York Times en pleine crise syrienne, Poutine a mis en garde l’Amérique contre la tentation de se croire exceptionnelle, car cette tentation contredit l’égalité entre les nations et « la diversité du monde donnée par Dieu ». Et en effet, « diversité du monde » est un des termes les plus utilisés par Poutine dans ses discours. Ce n’est pas un hasard. Il se présente comme le champion du multilatéralisme et de la souveraineté nationale car il vise avant tout la prétention hégémonique américaine (et la soumission des Européens à cette hégémonie). Car ne soyons pas naïfs : Poutine est avant tout un dirigeant réaliste qui défend les intérêts de son pays et de son peuple. Son discours correspond à des intérêts très précis.

    Là où on peut en effet voir des contradictions entre son discours et ses actes, c’est que sa décision vis-à-vis de la Crimée a pu faire penser à un retour d’une volonté impériale de sa part. Cette inquiétude était légitime mais il me semble qu’il montre aujourd’hui qu’il n’a pas l’intention, malgré les exhortations agressives d’intellectuels comme Alexandre Douguine, d’aller plus loin vis-à-vis de l’Ukraine. Le grand écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, dont j’ai fait le fil rouge de mon ouvrage, avait cette réflexion très actuelle à propos de la Russie : « Il faut choisir clair et net : entre l’Empire, qui est avant tout notre propre perte, et le salut spirituel et corporel de notre peuple. Nous ne devons pas chercher à nous étendre large, mais à conserver clair notre esprit national dans le territoire qui nous restera ». Cet avertissement, me semble-t-il, vaut tout aussi bien pour Poutine que pour l’Occident. 

  • Ukraine : relire Soljénitsyne

    IMPRIMER

    La question de l’Ukraine vue par Soljénitsyne en 1990

    Immédiatement après la chute du mur de Berlin en 1989 Soljénitsyne publia un livre intitulé : Comment réaménager notre Russie, réflexions dans la mesure de mes forces. Nous reproduisons ici deux passages de ce livre paru en français chez Fayard en 1990.

    Dans le premier passage intitulé Adresse aux Grands-Russiens, Soljenitsyne prend énergiquement position contre ce retour à l’empire qui semble bien être la politique de Vladimir Poutine en ce moment.

    Dans le second passage, intitulé Adresse aux Ukrainiens et aux Biélorusses, il soutient que les liens de la Russie avec ces deux régions sont si profondément enracinés dans l’histoire, qu’il serait regrettable qu’ils se brisent. Tout en reconnaissant que la Russie a beaucoup de choses à se faire pardonner par l’Ukraine, en particulier la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et tout en admettant que la Russie devrait respecter la volonté populaire des Ukrainiens, Soljénitsyne fait une mise en garde qui jette une lumière singulière sur les événements actuels : «Bien entendu, si le peuple ukrainien désirait effectivement se détacher de nous, nul n'aurait le droit de le retenir de force. Mais divers sont ces vastes espaces et seule la population locale peut déterminer le destin de son petit pays, le sort de sa région, — et chaque minorité nationale qui se constituerait, à cette occasion, à l'intérieur d'une unité territoriale donnée, devrait à son tour être traitée sans aucune violence.»

    Adresse aux Grands-Russiens

    Au début de ce siècle, notre grand esprit politique S. Kryjanovski voyait déjà que « la Russie de souche ne dispose pas d'une réserve de forces culturelles et morales suffisante pour assimiler toutes ses marches. Cela épuise le noyau national russe ».

    Or cette affirmation était lancée dans un pays riche, florissant, avant que des millions de Russes soient fauchés par des massacres qui, loin de frapper aveuglément, visaient à anéantir le meilleur de notre peuple.

    Elle résonne aujourd'hui encore mille fois plus juste: nous n'avons pas de forces à consacrer aux marches, ni forces économiques ni forces spirituelles. Nous n'avons pas de forces à consacrer à l'Empire ! Et nous n'avons pas besoin de lui : que ce fardeau glisse donc de nos épaules ! Il use notre moelle, il nous suce et précipite notre perte.

    Je vois avec angoisse que la conscience nationale russe en train de s'éveiller est, pour une large part, tout à fait incapable de se libérer du mode de pensée d'une puissance de grande étendue, d'échapper aux fumées enivrantes qui montent d'un empire : empruntant aux communistes la baudruche d'un « patriotisme soviétique » qui n'a jamais existé, ils sont fiers de la« grande puissance soviétique » — cette puissance qui, sous le porcin Ilitch* Deux (Brejnev), n'a su qu'engloutir les restes de notre productivité dans des armements sans fin et totalement inutiles (que nous sommes en train de détruire purement et simplement), et nous déconsidérer en nous présentant à la planète entière comme de féroces prédateurs à l'appétit sans limites, alors que nos genoux tremblent et que nous sommes prêts à tomber de faiblesse. C'est là un gauchissement extrêmement pernicieux de notre conscience nationale. « Malgré tout, nous sommes un grand pays, partout on tient compte de nous » : alors que nous sommes à l'agonie, c'est avec cet argument-là qu'on soutient encore, envers et contre tout, le communisme. Le Japon a su, lui, se faire une raison, renoncer à toute mission internationale et aux aventures politiques alléchantes : aussitôt, il a repris son essor.

    Il faut choisir clair et net: entre l'Empire, qui est avant tout notre propre perte, et le salut spirituel et corporel de notre peuple. Tout le monde sait que notre mortalité augmente et excède les naissances : à ce train-là, nous allons disparaître de la surface de la Terre ! Conserver un grand empire signifie conduire notre propre peuple à la mort. A quoi sert cet alliage hétéroclite ? A faire perdre aux Russes leur identité irremplaçable ? Nous ne devons pas chercher à nous étendre large, mais à conserver clair notre esprit national dans le territoire qui nous restera.

    Adresse aux Ukrainiens et aux Biélorusses

    Je suis moi-même presque à moitié ukrainien et c'est entouré des sons de la langue ukrainienne que j'ai commencé à grandir. Quant à la douloureuse Russie Blanche, j'y ai passé une grande partie de mes années de front et j'ai conçu un amour poignant pour la pauvreté mélancolique de sa terre et la douceur de son peuple.

    Lire la suite

  • En quoi la religion contribue-t-elle au conflit entre la Russie et l’Ukraine ?

    IMPRIMER

    D'Anne-Sylvie Sprenger sur le Journal Chrétien :

    Depuis 2019, l’Église orthodoxe ukrainienne et l’Église orthodoxe russe se livrent une véritable guerre d’influence aux enjeux résolument politiques. Kiev étant le berceau du christianisme orthodoxe, Moscou ne peut se permettre de perdre pied dans ce pays.

    Explications avec Nicolas Kazarian, historien et spécialiste du monde orthodoxe.

    Alors que les blindés russes continuent de s’amasser aux frontières de l’Ukraine, les Églises de la région n’ont lancé aucun véritable message de paix. Le métropolite Épiphane, primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine, a certes appelé à l’unité, mais dans un souci de conservation de l’identité nationale. Quant au patriarche de Moscou, il s’illustre par son silence. C’est que les tensions actuelles ont une forte composante religieuse comme l’explique Nicolas Kazarian, historien et spécialiste du monde orthodoxe.

    En quoi la religion contribue-t-elle au conflit entre la Russie et l’Ukraine?

    La création en 2019 de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui réunit des entités dissidentes du patriarcat de Moscou, a suscité une opposition frontale de la part de l’Église orthodoxe russe. Elle ne lui reconnaît pas de légitimité canonique et voit les Ukrainiens se détourner de son autorité au profit de cette nouvelle Église autocéphale.

    Que craint l’Église orthodoxe russe?

    D’abord la fin de son hégémonie sur les symboles identitaires et spirituels de l’orthodoxie slave. Kiev est le berceau du christianisme orthodoxe, sa Jérusalem en quelque sorte. Cet ancrage symbolique et historique est déterminant dans la capacité de la Russie à se projeter dans son histoire et sa maîtrise des outils symboliques définissant la narration de son identité nationale. Il est inconcevable pour Moscou d’être séparé du territoire sur lequel le christianisme a donné naissance au monde orthodoxe.

    Le deuxième enjeu est d’ordre matériel: c’est celui de la gestion des lieux de culte. Le patriarcat russe redoute d’être dépossédé de ses biens immobiliers et de ses propriétés, notamment des plus grands monastères dont il est en charge aujourd’hui encore, soit la Laure des grottes de Kiev et Saint-Job de Potchaïev, les deux grands centres spirituels de l’Ukraine.

    Comment l’Église orthodoxe évolue-t-elle en Ukraine?

    Elle pèse toujours plus lourd. La part de ses fidèles est passée de 13 à 24% de la population totale du pays entre 2019 et 2021, selon le rapport 2021 du think tank Razumkov. Or il faut voir l’image dans son ensemble: l’Ukraine représente un tiers des fidèles du patriarcat de Moscou. Sa capacité à peser sur la scène internationale dépend de ces fidèles, car c’est en avançant son poids démographique qu’elle peut prétendre être la première des Églises orthodoxes dans le monde. L’amputation de l’Ukraine lui ferait perdre sa position de leadership au sein de l’orthodoxie, leadership sur lequel elle se base volontiers lorsqu’elle se projette sur la scène mondiale.

    Que signifierait cette perte d’influence sur le plan politique?

    Les liens entre le patriarcat de Moscou et le Kremlin sont très étroits. Disons que le patriarcat de Moscou fait de la diplomatie parallèle… Si la capacité d’influence du patriarcat de Moscou diminue, cela réduit par voie de conséquence celle du Kremlin. Les effets de cette rivalité ukrainienne dépasse d’ailleurs largement les frontières, et ce jusque sur le continent africain.

    Comment cela?

    Le patriarcat de Moscou a jugé comme acté la rupture de communion avec les quatre Églises orthodoxes qui ont reconnu l’Église ukrainienne (le patriarcat œcuménique de Constantinople, le patriarcat d’Alexandrie, l’Église de Chypre et l’Église de Grèce). Il se donne donc désormais le droit de pouvoir agir directement sur leurs territoires canoniques. Moscou a ainsi envoyé des prêtres de Russie pour convaincre des prêtres orthodoxes africains de se rallier à l’Église orthodoxe russe. Ils ont fait la Une des journaux, il y a quelques semaines, en annonçant que le patriarcat de Moscou avait été capable de débaucher une centaine de prêtres orthodoxes africains sur le continent. On assiste là à une guerre de chapelles, un véritable conflit de substitution qui a déplacé la question ukrainienne sur le territoire et le continent africain.

    Une action de représailles en somme.

    C’est surtout une manière de faire pression sur les Églises orthodoxes pour ne pas que l’Église ukrainienne soit reconnue comme légitime. Si elle n’est pas reconnue comme légitime, le patriarcat de Moscou peut continuer d’exister comme la seule entité ecclésiale canonique du territoire ukrainien.

    Mais pourquoi précisément en Afrique?

    Cette action de représailles est en même temps liée à un agenda diplomatique où la Russie est aujourd’hui en train de monter en puissance sa présence et son action sur le continent africain. On parle souvent aussi de l’action des paramilitaires russes au Mali. Tout cela fait partie d’une seule et même stratégie. Une stratégie où l’action militaire et l’action économique participent à un faisceau d’actions, où la dimension spirituelle n’est pas totalement absente.

    Concernant l’Ukraine, comment comprenez-vous l’absence d’appel à la paix claire de la part des représentants des Églises orthodoxes russe et ukrainienne?

    Le fait qu’il n’y ait eu aucun véritable appel à la paix tant des autorités ecclésiales russes qu’ukrainienne m’a en effet interpellé. Le métropolite Épiphane, primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine, a certes appelé à l’unité, mais dans un souci de conservation de l’identité nationale. Quant au patriarche de Moscou, il se fait remarquer par son silence.

    Faut-il y voir une connivence entre le religieux et le politique?

    Je ne voudrais pas trop m’avancer… Mais je pense que, souvent, le silence en dit beaucoup plus que des mots.

  • Ukraine : quand le piège se referme sur Poutine

    IMPRIMER

    Nous reproduisons ici un article de François Martin paru sur Smart Reading Press qui offre une lecture intéressante des évènements en cours :

    UKRAINE : LE PIÈGE S’EST REFERMÉ… SUR POUTINE

    Le 21 novembre 2013, la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie déclenche la révolution ukrainienne. Cette décision entraîne en effet des troubles importants à Kiev, d’abord entre le 30 novembre et le 8 décembre 2013, puis à nouveau du 18 au 21 février 2014. Ces affrontements, qui impliquent entre 250 000 et 500 000 personnes, font plus de 80 morts. Depuis le début, on sait que les forces politiques américaines, et aussi les forces spéciales, ont été très impliquées dans cette révolution, comme l’a reconnu Barack Obama lui-même dans une interview à CNN en février 2015. On sait par ailleurs le rôle joué par la diplomate américaine Victoria Nuland dans cette affaire1.

    Sous l’égide en particulier de la France, ces affrontements aboutiront, le 21 février 2014, à un accord entre le gouvernement et les chefs du mouvement. Ces accords dits «accords du Maïdan» seront dénoncés dès le lendemain, le 22 février, par les mêmes émeutiers, avec l’appui des partis ultranationalistes néonazis Secteur Droit et Svoboda, ce qui leur permettra de participer ensuite au gouvernement. L’intimidation du Parlement par la rue aboutira alors au vote de destitution du Président Ianoukovytch.

    Les forces spéciales américaines ne s’arrêteront pas là, puisqu’elles s’impliqueront dans la répression des populations russophones outrées, entre autres choses, par la suppression du russe comme deuxième langue officielle, une décision qui mettra le feu aux poudres et précipitera les régions du Donbass et de la Crimée dans la sécession.

    Il n’est donc pas vrai de dire que le début du «problème» entre les pays occidentaux et la Russie est le fait que «Poutine annexe la Crimée», comme on le répète inlassablement. Avant cela, il y a eu une période très litigieuse, où l’intervention de l’Occident est manifeste et tout sauf pacifique2. De plus, la Crimée rejoint la Russie à la suite d’un processus que l’on peut considérer comme légitime, puisque ce pays est déjà, depuis 1991, la «République autonome de Crimée», une république qui proclame son indépendance le 5 mai 1992, mais accepte ensuite d’être rattachée à l’Ukraine après un accord entre les Parlements et en échange d’une large autonomie. On comprend que les liens entre la Crimée et l’Ukraine proprement dite sont ténus. Suite aux événements du Maïdan, la Crimée proclamera à nouveau son indépendance le 14 mars, puis entérinera son rattachement à la Russie le 16 mars, par un référendum approuvé à 96,7 %. On a connu en politique des manières de faire moins défendables… Pourtant, les Occidentaux ne cesseront de considérer cet événement comme fondateur du litige qui les oppose aux Russes et de justifier par ce biais leurs sanctions3.

    Carte de l'Europe

    Les accords de Minsk, signés le 5 septembre 2014 entre l’Ukraine, la Russie et les deux républiques sécessionnistes de Donetsk (DNR) et de Lougansk (LNR), confirmés le 11 février 2015 par ceux de Minsk II4 feront naître un espoir, celui d’une désescalade et d’une possible reconstruction.

    Lire la suite

  • "Un acte immoral et une pratique violente contraire à la vie"

    IMPRIMER

    Une dépêche de l'Agence Fides :

    AMÉRIQUE/COLOMBIE - Les Évêques : "L'avortement direct est un acte immoral et une pratique violente contraire à la vie"

    23 février 2022

    Bogota (Agence Fides) - " Perplexité et profonde tristesse " ont été exprimées par la Conférence épiscopale de Colombie après la publication de la note de la Cour constitutionnelle selon laquelle " la conduite de l'avortement ne sera punissable que lorsqu'elle sera effectuée après la vingt-quatrième (24) semaine de gestation et, de toute façon, ce terme ne sera pas applicable aux trois cas visés par l'arrêt C-355 de 2006 ".

    Les Évêques reconnaissent que "dans de nombreuses occasions, la réalité de l'avortement répond à des drames qui causent de multiples difficultés et angoisses à la mère et à son entourage", et que "lorsque la femme est une victime, il est raisonnable que la société civile et le système juridique cherchent à la défendre et à la protéger". Cependant, ils estiment que "l'affirmation d'un droit cesse d'être légitime si elle implique la négation ou le piétinement des droits d'autrui. On ne peut pas cacher ou minimiser le fait que toute grossesse implique l'existence d'un autre être humain, différent de la mère, sans défense et vulnérable, qui à son tour a le droit de faire partie de la famille humaine". Ils réitèrent donc : "Considérer que le droit à la vie et à recevoir la protection de l'État, protégé par la Constitution, ne le couvre pas dès la conception, est une atteinte à la dignité humaine".

    Protéger le prétendu droit de supprimer une vie humaine innocente, poursuit la déclaration des Évêques, "met en péril le fondement même de notre ordre social et de l'État de droit. L'avortement direct est un acte immoral et une pratique violente contraire à la vie".

    Face à la voie ouverte par la Cour constitutionnelle, les Évêques se demandent s'il n'en existe pas d'autres qui permettraient de sauvegarder la vie des mères et celle de leurs enfants à naître, et ils réaffirment que "le problème de l'avortement ne peut se limiter aux seules femmes enceintes, mais exige la solidarité de toute la société". Selon la Constitution, chaque Colombien a le devoir d'agir selon le principe de la solidarité sociale, en répondant par des actions humanitaires aux situations qui mettent en danger la vie ou la santé des personnes. "Puisque cette vertu nous permet de créer des alternatives de bien, là où le mal est considéré comme la seule option, nous voulons être les premiers à aider à trouver la bonne option lorsque l'avortement semble être la solution".

    Le communiqué, signé par la Présidence de la Conférence épiscopale, conclut en rappelant " Celui qui est venu apporter la vie en abondance ", espérant que l'État et tous les compatriotes de bonne volonté " ne ménageront aucun effort pour protéger et promouvoir la vie humaine, même dans les circonstances les plus complexes ".

    (SL) (Agence Fides 23/02/2022)

  • Pourquoi Poutine veut conquérir l'Ukraine. Et la religion n'est qu'un prétexte

    IMPRIMER

    De Stefano Magni sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    Pourquoi Poutine veut conquérir l'Ukraine. Et la religion n'est qu'un prétexte

    24-02-2022

    Le président russe Vladimir Poutine a reconnu l'indépendance des républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk dans un discours prononcé le 21 février. Mais ce n'est pas tout. Il a également remis en question l'existence même de l'Ukraine en tant qu'État indépendant et souverain. Que vise-t-il alors ? Étant donné la récente reconnaissance du patriarcat de Kiev par le patriarche œcuménique Bartholomée Ier, Poutine veut-il également agir pour une cause religieuse, au nom du patriarcat de Moscou ? Nous avons posé la question à Marta Carletti Dell'Asta, chercheuse à la Fondation Russia Cristiana et rédactrice en chef de la revue La Nuova Europa.

    Dans un discours prononcé le 21 février, le président russe Vladimir Poutine a reconnu l'indépendance des républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk. Mais pas seulement. Il a également remis en question l'existence même de l'Ukraine en tant qu'État indépendant et souverain. 

    "Je tiens à souligner une fois de plus que l'Ukraine n'est pas seulement un pays voisin pour nous. Elle est une partie inaliénable de notre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel. Depuis des temps immémoriaux, les personnes vivant dans le sud-ouest de ce qui était historiquement une terre russe se sont appelées elles-mêmes Russes et Chrétiens orthodoxes. C'était le cas avant le XVIIe siècle, lorsqu'une partie de ce territoire a rejoint l'État russe, et après", a déclaré le président russe. Que vise-t-il, alors ? Le Donbass ou Kiev directement ? Étant donné la récente reconnaissance du patriarcat de Kiev par le patriarche œcuménique Bartholomée Ier, Poutine veut-il également agir pour une cause religieuse, au nom du patriarcat de Moscou ? Nous avons posé la question à Marta Carletti Dell'Asta, chercheuse à la Fondation Russia Cristiana, spécialisée dans les thèmes de la dissidence et de la politique religieuse de l'État soviétique et rédactrice en chef de la revue La Nuova Europa.

    Dottoressa Dell'Asta, Poutine estime que l'Ukraine n'est pas seulement un voisin, mais une "partie inaliénable de notre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel". Par cette dernière définition, il entend le christianisme orthodoxe. Y a-t-il donc une cause religieuse au conflit en Ukraine ?

    Je ne dirais pas cela. Poutine a toujours beaucoup parlé de la religion comme d'un élément fondamental de sa conception, mais dernièrement, la manière dont le président russe comprend la religion apparaît de plus en plus : une manière instrumentale et même un peu paganisante. Ce n'est qu'un des éléments qu'il utilise pour renforcer son pouvoir.

    Qu'entendez-vous par une conception "paganisante" de la religion ?

    Prenons un exemple récent : le 4 février, un décret présidentiel sur les "valeurs traditionnelles sur lesquelles se fonde l'État russe" a été conclu et attend toujours la signature finale. Ce document est très indicatif. Il énumère un certain nombre de valeurs sur lesquelles la Russie serait fondée, telles que le "patriotisme", le "travail constructif", donnant l'image d'un État éthique, où il est prescrit par la loi que le citoyen doit être honnête, généreux et patriote. Cette liste inclut les "hautes valeurs spirituelles" mais ne mentionne jamais Dieu ou une quelconque dénomination religieuse. Il s'agit donc d'une utilisation instrumentale de ces valeurs, qui sont définies comme "traditionnelles" mais qui n'ont plus de lien spécifique avec le christianisme. De cette manière, la religion est utilisée lorsque cela est nécessaire, comme un simple bras spirituel du pouvoir politique.

    Poutine accuse le gouvernement ukrainien d'utiliser l'Église orthodoxe autocéphale du Patriarcat de Kiev (reconnue seulement en 2018 par le patriarche œcuménique Bartholomée Ier) pour inciter à la haine contre les Russes et dénonce un plan, également du gouvernement de Kiev, pour détruire les églises du Patriarcat de Moscou. Dans quelle mesure ces accusations sont-elles fondées ?

    Ces propos excessifs sont typiques d'un État d'avant-guerre, d'une volonté délibérée de créer une forte opposition. Pour l'Église orthodoxe, il est en fait assez courant d'avoir tendance à s'identifier à sa propre communauté ethnique. Nous avons donc une Église orthodoxe russe, une Église orthodoxe roumaine, et ainsi de suite. Lorsque l'Ukraine s'est engagée sur la voie de l'indépendance, le désir de faire reconnaître sa propre Église nationale a également grandi. À tort ou à raison, cela correspond à la logique interne de l'orthodoxie. En ce qui concerne les persécutions, il n'y en a pas eu jusqu'à présent. Il y a eu des cas sporadiques de conflits d'églises entre les deux communautés. Il ne s'agit pas d'un phénomène massif et il n'y a pas eu d'incidents graves. Ces Églises vivent ensemble pacifiquement. Le 22 février, un jour après l'entrée des troupes russes dans le Donbass, Epifanij, le primat de l'Église orthodoxe d'Ukraine, a appelé les fidèles à respecter absolument les Églises appartenant au Patriarcat de Moscou.

    Poutine dirige-t-il donc son accusation contre l'identité ukrainienne, plutôt que contre son Église ?

    Oui, aussi parce que le président russe n'a même pas la compétence d'entrer dans un débat ecclésial intra-orthodoxe. Il l'utilise, même de manière quelque peu inappropriée, pour des raisons nationalistes. Ensuite, si nous voulons remonter dans le temps, l'origine même de l'Église en Ukraine est antérieure à celle de la Russie : l'Église est née à Kiev, ce n'est qu'après l'invasion mongole qu'elle s'est déplacée vers le Nord et vers Moscou. Elle s'est d'abord appelée la Métropolie de Kiev, puis a changé de nom pour devenir le Patriarcat de Moscou. L'histoire n'est pas aussi simple que le président le souhaiterait.

    Poutine accuse le régime communiste soviétique, à commencer par Lénine, d'avoir "créé" l'Ukraine. Mais c'est toujours la Russie qui réagit vivement contre toute forme de "révisionnisme" du passé soviétique, protégeant une historiographie qui exalte les succès de l'URSS. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

    L'accusation contre Lénine dans le discours de Poutine est purement formelle. De plus, l'autonomie des entités nationales en Union soviétique n'était que sur le papier, elle n'a jamais été appliquée. Le droit de sécession n'a jamais été appliqué. Il n'était qu'une fiction. Donc, la substance du discours de Poutine ne concerne pas le communisme, c'est juste la négation du droit ukrainien à être une entité étatique séparée de la Russie. Et cette hypothèse repose sur une fausseté historique, car l'Ukraine était une nation bien avant que Lénine et au moment de la révolution russe et de la guerre civile qui a suivi (1917-1921) ne déclarent leur indépendance. Si Lénine a pu penser à la création d'une République socialiste soviétique d'Ukraine, c'est uniquement parce que l'Ukraine existait déjà. Le véritable problème de Poutine est ce qu'il a lui-même déclaré en 2005 : "La plus grande tragédie géopolitique du XXe siècle a été la dissolution de l'Union soviétique". Et cela explique tout. C'est l'idée que l'empire ne doit pas être défait et doit être reconstitué, en commençant par la Russie, le Belarus et l'Ukraine.

    Il y a deux mois, le pouvoir judiciaire russe a également dissous deux des principales branches de l'association Memorial, la principale source d'étude des crimes du communisme. Le gouvernement russe actuel est-il donc un descendant direct de l'URSS ?

    Oui et non. Je pense que la ligne d'interprétation doit toujours être celle de la reconstruction de l'empire, au nom de laquelle il faut éliminer tout ce qui constitue un obstacle. La préférence va non seulement au passé soviétique, mais aussi à tout ce qui exalte la grandeur de la Russie, comme la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. Les figures idéologiquement non homogènes sont revalorisées et célébrées, d'Ivan le Terrible à Staline, en passant par la famille Romanov. Il existe un nouveau critère idéologique : l'histoire est réécrite pour glorifier le pays. Si Memorial écrit l'histoire réelle, non mythifiée, de l'Union soviétique, il doit être réduit au silence, tout comme la fermeture des archives et des journaux indépendants a été ordonnée.

  • "On ne peut régler la question tradi simplement par la loi" (abbé Amar)

    IMPRIMER

    Une tribune de l'abbé Amar publiée sur le site du journal La Croix via "le Forum catholique":

    Père Amar : « On ne peut régler la question tradi simplement par la loi »

    Pour le père Pierre Amar, l’un des fondateurs du Padreblog, la question des communautés traditionalistes est trop complexe et multiforme pour être traitée par des décrets. Il plaide pour un dialogue qui puisse favoriser de vraies rencontres.

    22/02/2022

    On a un peu de mal à suivre… C’est ce que pensent beaucoup de catholiques à propos du « feuilleton tradi », singulièrement relancé par le pape François depuis presque un an. Après Jean-Paul II et Benoît XVI, Rome semblait vouloir changer de paradigme avec le motu proprio Traditionis custodes(juillet 2021). Puis, dans une forme de jusqu’au-boutisme, survinrent les Responsa de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements (décembre 2021).

    Les choses semblaient assez claires : après les tentatives de ses deux prédécesseurs, le pape François réglait la question tradi. « Il faut mettre une limite et basta », avait-il dit aux évêques français reçus par la suite en visite dans la Ville éternelle. Et à ceux d’entre eux qui affirmaient qu’en France, à part quelques points de tension, la situation était assez apaisée, le pape et ses collaborateurs soulignaient que ces mesures concernaient surtout les États-Unis. Cependant, beaucoup conservaient l’impression que, pour punir quelques éléments turbulents, on avait décidé de punir toute la classe.

    Le sentiment de cette punition collective est resté, générant des réactions très différentes : de l’amertume des traditionalistes restés fidèles à Rome– « Qu’il est dur de s’entendre dire par son père : j’aurais préféré que tu n’existes pas ! », commentait l’été dernier un prêtre de la Fraternité Saint Pierre – jusqu’à l’autosatisfaction du « On vous l’avait bien dit ! » chanté en chœur par les lefebvristes et des ecclésiastiques de tout poil qui rêvaient d’en découdre avec la galaxie tradi, en passant par la perplexité assez générale de beaucoup de nos évêques. Dans leurs diocèses, et sans toujours être familiers avec cette sensibilité, ils prenaient soin de tous, et la volonté de paix de Benoît XVI, certes largement perfectible, leur convenait finalement plutôt bien.

    Le cas particulier de la Fraternité Saint-Pierre

    Mais cette perplexité est désormais plus grande encore : dans un décret en date du 11 février et adressé aux membres de la Fraternité Saint-Pierre, le pape affirme que le motu proprio Traditionis custodes ne les concerne pas. On imagine que cette mesure s’étendra aussi aux autres communautés traditionnelles ; ce qui laisse désormais très peu d’espace aux évêques. Et si ce décret règle une question précise et assez urgente, celle des ordinations sacerdotales, la situation pastorale semble hélas encore moins réglée à moyen et long termes.

    En à peine une année, la situation aboutit finalement au constat d’une grande violence. Violence vis-à-vis de Benoît XVI d’abord, dont ce projet de réconciliation, mûrement réfléchi, était l’œuvre de sa vie. Violence vis-à-vis du « Tradiland », qui se voit ballotté d’une mesure à l’autre, alors qu’il est composé de fidèles qui, somme toute, ne font que prier et célébrer comme le faisaient leurs (et nos) grands-parents. N’a-t-on pas simplement réussi jusque-là à semer de la perplexité à tous les étages et à humilier ces fidèles qui, depuis 1988, ont fait le choix audacieux de l’Église ?

    Cette violence se ressent à tous les niveaux : dans le juridisme d’un autre âge de la Congrégation, les leçons de morale des professionnels de l’obéissance, le rejet de l’ancien motu proprio et le zèle pour le nouveau, et, par-dessus tout, cette tendance à vouloir nous affronter les uns les autres. Dans ce contexte, le décret paternel et bienveillant de François pour les communautés traditionnelles surprend le village gaulois en pleine querelle et dans une situation bien humiliante pour nous tous.

    La réalité du terrain

    Une conviction semble se dessiner : on ne peut régler la question tradi simplement par la loi. Elle a montré son insuffisance pour gérer ce dossier complexe et multiforme. Quand, en plus, cette loi donne lieu à tant d’aménagements, de responsa, de décret, de communiqués explicatifs, de tribunes… n’est-ce pas finalement la preuve que la loi est mal faite ? Qu’elle fait plus partie du problème que de la solution ?

    Et si avec un peu de sagesse et de recul nous repartions du terrain pour sortir ensemble de cette dialectique délétère ? Nos divisions ne sont-elles pas anachroniques à l’heure où les catholiques pratiquants représentent moins de 2 % des habitants de ce pays ? L’heure du pragmatisme bienveillant n’a-t-elle pas sonné ? Ne faut-il pas tout simplement favoriser les rencontres, les échanges, nous fréquenter un peu plus pour trouver ensemble comment l’Église peut aider les tradis et comment les tradis peuvent servir l’Église ? De poser avec grandeur d’âme, de part et d’autre, les gestes concrets qui apaiseront les tensions et favoriseront l’union des cœurs ? D’approfondir nos richesses respectives, celles de saint Paul VI et celles de saint Pie V, de comprendre qu’elles sont comme deux écrins qui mettent en valeur un même joyau : le mystère de l’eucharistie ?

    L’Église n’appartient pas à ses membres : elle est celle du Christ. Le jour où était publié le décret du pape, nous entendions ces mots de l’apôtre saint Jacques : « La jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante » (Lettre de saint Jacques 3, 16-17). Voilà tout un programme !

    (1) En ministère dans les Yvelines, le père Amar est l’un des fondateurs du Padreblog, aujourd’hui animé par une autre équipe. Dernier ouvrage publié : Prières de chaque instant (Artège, 2021).