Du Figaro Vox via artofuss.blog :
Bruno Tertrais: «Non, Henri Guaino, face à la Russie, nous avons les yeux grands ouverts»
17 mai 2022
– Le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (think-tank) Bruno Tertrais répond à la tribune d’Henri Guaino intitulée «Nous marchons vers la guerre comme des somnambules», publiée dans nos colonnes le 13 mai.
Le texte d’Henri Guaino nous invite à prendre du recul sur les événements d’Ukraine. Il a le mérite de convoquer l’histoire tragique du XXe siècle pour nous inciter à réfléchir aux conséquences de nos actions et de nos choix stratégiques.
Ce faisant, toutefois, il se trompe d’analogie historique, tire des enseignements erronés de la guerre froide, méconnaît la stratégie américaine, prend peu de distance vis-à-vis du récit russe et établit une fausse symétrie entre deux camps.
En avertissant que nous risquons de nous comporter comme les «somnambules» de 1914, il se trompe d’analogie. Ce n’est pas ici que nous trancherons le débat interminable- au sens propre du terme – sur les origines et les causes de la Première Guerre mondiale. Tout au plus soulignera-t-on que l’idée d’un engrenage qui aurait dépassé la volonté humaine est loin d’être consensuelle. Et les différences sont tellement nombreuses qu’elles rendent l’analogie inopérante. L’enthousiasme pour la guerre n’existe plus guère en Occident, où les leçons du siècle passé ont été apprises. Du côté russe, tout indique que M. Poutine comprend très bien ce qu’est la «ligne rouge» à ne pas franchir, celle de l’article 5 du traité de Washington. Le système d’alliances n’est plus le même. La Chine, deuxième puissance mondiale, poussera Moscou davantage à la retenue qu’à l’escalade. Enfin, la dynamique des schémas rigides de mobilisation des années 1910 n’a aucune pertinence aujourd’hui.
S’il fallait à tout prix trouver une analogie utile dans la première moitié du siècle précédent, ce serait hélas plutôt la fin des années 1930. Se font bel et bien face en Ukraine un agresseur et un agressé, une puissance expansionniste voulant rassembler les «Russes» comme hier une autre les «Allemands», et un État aux frontières reconnues – y compris par Moscou – brutalement envahi. Et le premier avertissement avait été donné en 2014 avec la Crimée, dont les modalités d’annexion ne pouvaient manquer de faire penser à l’Anschluss. Mais avec une différence majeure: il n’y a guère de risque immédiat, aujourd’hui, d’attaque des pays alliés.
Un analyse sévère d’Andrea Gagliarducci parue ici
Alors, pourquoi revenir sur un tel sujet qui divise d’ailleurs nos lecteurs ? Tout simplement parce que le 4 mai dernier s’est achevé à Rome un pèlerinage hors du commun, né justement du traumatisme apparu dans le sillage de ce texte. Regroupées sous l’appellation de « Voie romaine », des mères de prêtres ont voulu faire connaître à la fois leur inquiétude et leur espérance en se rendant à pied de Paris à Rome pour déposer aux pieds de François plus de 2 500 lettres lui demandant respectueusement de revenir sur les dispositions de son motu proprio.