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Gérard-François Dumont : « Un hiver démographique »
Économiste, géographe et démographe, Gérard-François Dumont croise diverses disciplines pour penser au plus près les mutations contemporaines. Il est notamment l’inventeur d’une nouvelle matière, qu’il appelle la « démographie politique », dont l’une des composantes est la géopolitique des populations.
Peut-on faire l’historique des grandes migrations dans le temps ?
Ce serait beaucoup trop long car la question des migrations parcourt toute l’histoire de l’humanité. Par exemple, elle enrichit certaines villes des autres pays d’Europe après la révocation de l’édit de Nantes par la France ; autre exemple, elle fonde l’important peuplement actuel des Amériques et explique a contrario que l’Irlande ait encore aujourd’hui moins d’habitants qu’en 1840…
Quels sont les facteurs de ces mouvements de population ?
Ils sont au nombre de quatre : les facteurs politico-religieux, les facteurs économiques, les facteurs démographiques et les facteurs composés – qui résultent d’une combinaison de deux ou trois des facteurs précédents. S’ajoutent à ces facteurs classiques, qui continueront d’exercer leurs effets dans le futur, ceux que je rassemble sous le terme de « nouvelles logiques migratoires ». Les migrations se singularisent en effet aujourd’hui par un contexte spécifique qui tient à la globalisation (qui vise à abaisser les frontières politiques), l’internationalisation (qui se traduit par la réduction de l’espace-temps des échanges entre les territoires de la planète) et la mondialisation (qui résulte de la mise en œuvre de stratégies mondialisées de la part des entreprises). La combinaison de ces nouvelles logiques migratoires et des facteurs migratoires classiques multiplie les types de migrations. Elle rend aussi possibles des cheminements de plus en plus complexes, à l’instar des migrations de l’Afrique centrale vers l’Europe après la traversée de plusieurs pays africains et l’utilisation, comme espace de transit, du Maroc ou de la Libye.
Quels sont les rapports de forces actuels de la démographie mondiale ?
Parmi les bouleversements en cours, nous constatons qu’au niveau des pays milliardaires en habitants, la Chine et l’Inde, les rapports pourraient s’inverser. Sous l’effet de la politique démographique coercitive, dite « politique de l’enfant unique », la fécondité de la Chine a accentué sa baisse. Du fait de la préférence accordée aux garçons, cette politique a surtout engendré un déficit de femmes qui minore la capacité de reproduction du pays. à l’inverse, l’Inde est en croissance démographique, certes en ralentissement, mais continue. Cette évolution entre une Inde dont la population croît et une Chine qui atteindrait un maximum de 1,462 milliard d’habitants vers 2033 avant de voir ce chiffre baisser, donnerait à l’Inde la première population au monde. Cette dernière a d’ailleurs commencé de valoriser son importance démographique en déposant, en 2003, une demande officielle pour devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.