De l'abbé Laurent Jestin sur le site de la revue Catholica :
Le motu proprio Traditionis custodes et ses suites. Occasion providentielle ou victoire à la Pyrrhus ?
Le motu proprio Traditionis custodes (16 juillet 2021) a eu pour objet d’annuler celui de Benoît XVI, Summorum Pontificum, publié quatorze années auparavant. Le propos de ce dernier était d’arriver à une pacification des tensions entre partisans des liturgies postconciliaires et fidèles à la liturgie héritée des siècles passés, dite de saint Pie V mais assurément bien antérieure, posant pour cela que chacune de ces deux « formes » exprimaient la même conception de la liturgie. L’acte du 16 juillet dernier a été suivi de plusieurs autres, formant un ensemble répressif brutal, incompris, estimé abusif par beaucoup, dont divers évêques et cardinaux. À l’inverse, divers autres se sont bruyamment réjouis de la disparition de ce qu’ils considéraient comme une anomalie affectant non seulement la discipline liturgique, et surtout une contradiction inacceptable. Selon eux, la différence va au-delà des formes, elle traduit plutôt une rupture de fond : non une différence cérémonielle, mais une opposition radicale entre une théologie de la messe antérieure à 1969, révoquée, et une autre théologie, incompatible avec la précédente. Benoît XVI, dans un discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005, avait récusé ce qu’il appelait l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture, renvoyant dos-à-dos traditionalistes et novateurs, lui opposant la troisième voie qu’il qualifiait de réforme dans la continuité. La distinction avait une portée générale, et elle prétendait dépasser le débat de fond. Or c’est précisément cette troisième voie que Traditionis custodes a voulu abolir, comme l’ont clairement indiqué ceux qui ont milité pour obtenir cette abolition, entre autres le désormais fameux professeur Andrea Grillo.
Par un étrange effet de douche écossaise, les récentes audiences accordées successivement par François, d’abord au supérieur du district de France de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, l’abbé Benoît Paul-Joseph, accompagné de l’abbé Vincent Ribeton, recteur du séminaire de Witgrazbad, le 4 février, puis le 8 février au supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint Pie-X, l’abbé Davide Pagliarini. Ces deux rencontres significativement rapprochées et cordiales ont débouché quelques jours plus tard sur des dispositions pratiques bien plus libérales, sous la forme d’un décret daté du 11 février dernier[1], semblant illogiques en comparaison, non seulement des dispositions aggravantes les plus récentes, mais même de l’esprit et de la lettre du motu proprio de l’été précédent.
Ceux qui avaient soutenu haut et fort Traditionis custodes ont alors ressenti la désagréable impression d’être pris à revers. Andrea Grillo y a vu une remise en cause pure et simple. Citons-en quelques formules : « Ceux qui croient profondément au tournant du Concile Vatican II et à la réforme liturgique qui en a découlé, ne peuvent en aucun cas admettre, structurellement et sine die, que l’on puisse célébrer avec le rite préconciliaire, sans participer à la responsabilité de construire des réserves indiennes d’anti-concile qui puissent se targuer de la protection papale. » « Le décret autorisant la Fraternité Saint-Pierre à faire usage de la “lex orandi” en vigueur avant la réforme – non seulement pour le missel, mais pour toute action liturgique – est un passage qui montre les limites intrinsèques de la solution apportée par TC, dont la valeur ne fait aucun doute, mais dont l’application peut dégénérer lorsqu’on permet à une fraternité entière de célébrer comme si le Concile Vatican II n’avait pas eu lieu[2]. »