De La Porte Latine :
Les Martyrs de Gorcum

Dix neuf religieux furent victimes en Hollande des protestants « Gueux de mer », plus cruels encore que les Turcs infidèles.
Ces saints martyrs sont fêtés le 9 juillet.
Depuis 1566 la révolte des Gueux embrase les Pays-Bas. Menée par Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, celle-ci mêle l’expansion du protestantisme et une opposition politique au roi d’Espagne. Le 1er avril 1572, des protestants partisans du prince d’Orange chassés d’Angleterre débarquent en Hollande dans le port de Brielle. Ce fut le début du soulèvement des provinces calvinistes du Nord au cours de laquelle les Gueux s’illustrèrent par d’innombrables horreurs et cruautés. Dès le 26 juin 1572, Les Gueux de mer encerclent la ville de Gorcum[1]. Les assiégés répondent de leur mieux ; mais la disproportion des forces est trop évidente, la citadelle n’est guère en état d’opposer une longue résistance. Le gouverneur propose de rendre la ville ; le chef des Gueux accepte les conditions de la capitulation : Marin s’engage à ne faire aucun mal à ceux qui sont réfugiés dans la citadelle, soit laïques, soit ecclésiastiques, et à les renvoyer tous libres. Seuls les biens qui s’y trouvent deviendraient la propriété des vainqueurs. Pendant ce temps, les ecclésiastiques et les religieux, qui s’attendent à tout, se confessent les uns aux autres ou entendent les confessions des laïques. Le curé Nicolas Poppel a apporté avec lui les saintes hosties afin de les dérober aux insultes habituelles des hérétiques. Presque tous les réfugiés viennent pieusement recevoir la communion de sa main, semblables à ces premiers chrétiens qui, dans la nuit des prisons, se nourrissaient une dernière fois du pain des forts avant de comparaître dans les amphithéâtres.
Torturés à Gorcum pour l’unique vraie foi
Une fois entré avec toute sa troupe, Marin fait réunir dans une salle supérieure toutes les personnes qu’il trouve dans la forteresse et les calvinistes fanatiques se jetent sur les captifs comme des bêtes féroces. Dix-sept prêtres, séculiers et réguliers, ainsi que deux frères lais,[2] sont injuriés, menacés et atrocement torturés. Ils demeurèrent ainsi dix jours et dix nuits à la merci de la soldatesque de la citadelle. C’était surtout le soir qu’ils avaient à souffrir ; l’habitude était si bien prise de venir les injurier et les torturer après le dîner, qu’il semble que la digestion eût été impossible sans cet aimable passe-temps. Quand une partie de ces bourreaux était rassasiée ou plutôt fatiguée, une autre bande prenait la place et recommençait de plus belle.
Ils appuyèrent également le pistolet sur la poitrine de Nicolas Poppel : « Ton trésor ou la vie ! » lui criaient-ils. Ensuite, leur avarice cédant pour un instant à leur passion de sectaires. « Livre-nous au moins les dieux que tu as fabriqués à la messe : on dit que tu en portes une provision sur toi. Est-ce vrai ? Toi qui as si souvent déblatéré contre nous dans la chaire de ton église, que penses-tu maintenant, en face de ce pistolet, de toutes les sottises que tu débitais aux imbéciles ? » — « Je crois », répondit Nicolas Poppel, « à tout ce que croit et enseigne l’Eglise catholique, apostolique et romaine, et en particulier à la présence réelle de mon Dieu sous les espèces sacramentelles. Si vous voyez là une raison de me tuer, tuez-moi : je serai heureux de mourir à la suite de la confession de foi que vous venez d’exiger ». Mais son sacrifice n’était pas encore consommé ; Dieu, qui voulait ajouter à ses mérites, retint le coup prêt à partir, et le soldat n’osa pas tirer.
Amenés dans la féroce ville de Brielle
Au milieu de la nuit du 5 au 6 juillet, les saints confesseurs de la foi se voient éveillés en sursaut, dépouillés de tous leurs vêtements qui ont quelque valeur et jetés dans une grande barque. La nuit est fraîche. En entrant dans la barque, le curé Léonard Wichel reconnait au gouvernail un de ses paroissiens nommé Roch, auquel il avait donné jadis des témoignages particuliers de sa sollicitude : « Eh quoi ! » lui dit-il, « Roch, c’est donc toi qui nous mènes à la mort ? » Le marin baissa la tête et répondit : « Hélas ! » monsieur le curé, « je ne suis pas le maître ! » Le curé n’ajouta aucune observation. Les saints Martyrs, en quittant Gorcum, étaient au nombre de dix-neuf. Il y eut des défections parmi eux, mais les lâches furent exactement remplacés et, par une permission spéciale de la Providence, ce nombre de dix-neuf se maintint complet jusqu’à la consommation du sacrifice.