De Loup Besmond de Senneville sur le site du journal La Croix :
Suicide assisté, le tournant stratégique du Vatican sur la bioéthique
L’Académie pontificale pour la vie s’est montrée récemment favorable à ce que l’Église italienne ne s’oppose plus à la législation sur le suicide assisté. Un tournant dans la stratégie adoptée par Rome sur les questions de bioéthique : l’Église espère ainsi continuer à pouvoir faire entendre sa voix, quitte à participer à des « lois imparfaites ».
7/02/2022
Tout a commencé par un article publié, le 15 janvier, dans La Civiltà Cattolica. La revue jésuite dirigée par Antonio Spadaro, un proche du pape, publie ce jour-là un article intitulé « La discussion parlementaire sur le suicide assisté ». Le propos, signé par le père Carlo Casalone, est simple mais pour le moins surprenant : alors que l’Italie s’apprête à légiférer sur la fin de vie, l’Église catholique aurait intérêt à y soutenir le suicide assisté plutôt que l’euthanasie. En contradiction avec la doctrine de l’Église.
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Il faut dire que l’Italie fait face à un cas bien particulier : depuis une décision de la Cour constitutionnelle en 2019 dépénalisant l’aide au suicide sous certaines conditions, les parlementaires italiens sont contraints de légiférer sur la question. Deux voies s’ouvrent à eux. Première option, autoriser, sous conditions, une personne à aider un proche en fin de vie à mettre fin à ses jours. Seconde possibilité : supprimer, par référendum, dans le droit pénal italien, l’interdiction du « meurtre de la personne consentante », et ouvrir ainsi très largement la voie à l’euthanasie. Deux choix que l’Église catholique a toujours réprouvés.
Le Vatican est-il donc en train de changer de stratégie ?
À toute première vue, tout laissait donc à penser que ce texte du père Casalone s’inscrivait avant tout dans un contexte italien. Jusqu’à ce que soit publiée dans Le Monde, le 31 janvier, une tribune de la moraliste française Marie-Jo Thiel, soulignant qu’il fallait y voir le signe d’un changement plus large de positionnement de l’Église.
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Et en effet, tout indique aujourd’hui qu’il ne concerne pas que l’Italie. D’abord, tous les textes de La Civiltà Cattolica sont, comme le rappelle régulièrement son directeur, approuvés au Vatican par la Secrétairerie d’État. Ensuite, parce que son auteur, le jésuite Carlo Casalone, est l’un des collaborateurs de l’Académie pontificale pour la vie, instance en charge, auprès du pape, de la réflexion sur les délicats sujets de la bioéthique. Et que le texte de Marie-Jo Thiel a été publié dans Le Monde avec son approbation.
Le Vatican est-il donc en train de changer de stratégie ? « Nous sommes dans un contexte précis, avec un choix à opérer entre deux options, dont aucune – suicide assisté ou euthanasie – ne représente la position catholique », répond Mgr Renzo Pegoraro, médecin et chancelier (« numéro deux ») de l’Académie pontificale pour la vie.
« Quoi qu’il en soit, il y aura une loi, poursuit-il. Et parmi ces deux possibilités, c’est le suicide assisté qui restreint le plus les dérives car il serait accompagné de quatre conditions strictes : la personne demandant de l’aide doit être consciente et pouvoir l’exprimer librement, être atteinte d’une maladie irréversible, ressentir des souffrances insupportables et dépendre d’un traitement de maintien en vie comme un respirateur. » En somme, l’Église fait le choix du moindre mal ? « Plutôt du bien le meilleur. Il s’agit de voir quelle loi peut limiter le mal », corrige Mgr Pegoraro. Qui admet : « C’est un terrain difficile, délicat. »