De George Weigel sur First Things :
Surfait, sur-géré, décevant – et providentiellement encourageant
Dans un article de 1989, le futur cardinal Avery Dulles, SJ, partageait l’avis de l’historien protestant Otto Dibelius selon lequel le XXe siècle était le siècle de l’ecclésiologie – le siècle de la théologie de l’Église. Pour les catholiques, le pivot de cette ère théologique fut l’encyclique Mystici Corporis Christi (Le Corps mystique du Christ) du pape Pie XII en 1943 et son apogée magistérielle fut la Constitution dogmatique sur l’Église du Concile Vatican II, Lumen Gentium , qui présentait l’Église en termes bibliques et théologiques riches, plutôt que dans le langage juridico-politique statique de la « société parfaite » qui avait dominé la pensée ecclésiologique catholique après la Réforme. Lumen Gentium recentrait également l’Église sur le Christ ; ainsi la constitution dogmatique ne commençait pas par « L’Église catholique est… » mais plutôt par « Lumen gentium cum sit Christus… » (Puisque le Christ est la lumière des nations...) Toute ecclésiologie véritablement catholique est donc christocentrique et non ecclésiocentrique.
Si cet enseignement fondamental de Vatican II n’a pas été totalement absent du synode de 2024, il a du moins été atténué. Comme l’ont fait remarquer plus d’un participant au synode, si l’homme de Mars avait examiné l’ Instrumentum Laboris (document de travail) du synode et suivi ses discussions le mois dernier, il aurait pu penser que les deux seuls « acteurs » de l’Église catholique étaient les évêques et les femmes, enfermés dans une lutte constante pour le pouvoir (le « pouvoir » étant entendu comme celui qui dit aux autres ce qu’ils doivent faire). Le christocentrisme de Lumen Gentium et la théologie de l’Église comme communion de Vatican II auraient été difficiles à trouver pour notre visiteur interplanétaire.
Ainsi, avant de décortiquer le Synode 2024 dans ses erreurs et ses réalisations, il serait bon de se purifier le palais spirituel et intellectuel en revenant à Lumen Gentium — soixante ans après sa promulgation par le pape Paul VI le 21 novembre 1964 — et de s’abreuver profondément de sa sagesse biblique centrée sur le Christ quant à ce qu’est l’Église et à qui nous sommes en tant que ses membres :
1. Le Christ est la lumière des nations. C'est pourquoi le saint Concile, réuni dans l'Esprit Saint, désire ardemment, en annonçant l'Évangile à toute créature (cf. Mc 16, 15), apporter à tous les hommes la lumière du Christ, une lumière qui brille sur le visage de l'Église. Puisque l'Église est dans le Christ comme un sacrement, c'est-à-dire comme un signe et un instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain, elle désire maintenant révéler plus pleinement aux fidèles de l'Église et au monde entier sa nature intérieure et sa mission universelle.
6. Dans l'Ancien Testament, la révélation du Royaume est souvent transmise au moyen de métaphores. De même, la nature intérieure de l'Église nous est aujourd'hui révélée par diverses images, empruntées soit au berger, soit au laboureur, soit à la construction, soit encore à la vie de famille et aux fiançailles, telles qu'elles sont préparées dans les livres des Prophètes.
L’Église est une bergerie dont l’unique et indispensable porte est le Christ (Jn 10, 1-10). C’est un troupeau dont Dieu lui-même a annoncé qu’il serait le pasteur (cf. Is 40, 11 ; Ex 34, 11 et suivantes), et dont les brebis, bien que gouvernées par des bergers humains, sont néanmoins continuellement conduites et nourries par le Christ lui-même, le Bon Pasteur et le prince des bergers (cf. Jn 10, 11 ; 1 P 5, 4), qui a donné sa vie pour les brebis (cf. Jn 10, 11-15).
L’Église est une terre à cultiver, le champ de Dieu (1 Co 3, 9). Sur cette terre pousse l’olivier millénaire dont les racines saintes furent les prophètes et dans lequel s’est réalisée et s’accomplira la réconciliation des Juifs et des Gentils (Rm 11, 13-26). Cette terre, telle une vigne de choix, a été plantée par le vigneron céleste (Mt 21, 33-43 ; cf. Is 5, 1 et suivantes). La vraie vigne, c'est le Christ, qui donne la vie et la force de porter des fruits abondants aux sarments, c'est-à-dire à nous qui demeurons dans le Christ par l'Église, sans laquelle nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 1-5).
L’Église a souvent été appelée aussi « l’édifice de Dieu » (1 Co 3, 9). Le Seigneur lui-même s’est comparé à la pierre que les bâtisseurs ont rejetée, mais qui a été érigée en pierre angulaire (Mt 21, 42 ; Ac 4, 11 ; 1 P 2, 7 ; Ps 117, 22). Sur ce fondement, l’Église est construite par les apôtres (cf. 1 Co 3, 11), et c’est de là qu’elle tire durabilité et consolidation. Cet édifice a plusieurs noms pour le décrire : la maison de Dieu (1 Tm 3, 15) dans laquelle habite sa famille ; la maison de Dieu dans l’Esprit (Ep 2, 19-22) ; la demeure de Dieu parmi les hommes (Ap 21, 3) ; et, surtout, le saint temple. Ce temple, symbolisé par des lieux de culte construits en pierre, est loué par les saints Pères et, non sans raison, est comparé dans la liturgie à la ville sainte, la Nouvelle Jérusalem (Ap 21, 2). Pierres vivantes, nous y sommes intégrés ici-bas (1 P 2, 5). Jean contemple cette ville sainte qui descend du ciel au renouvellement du monde comme une épouse préparée et parée pour son époux (Ap 21, 16).
L’Église, « la Jérusalem d’en haut », est aussi appelée « notre mère » (Gal 4, 26 ; cf. Ap 12, 17). Elle est décrite comme l’épouse immaculée de l’Agneau immaculé (Ap 19, 7 ; 21, 2 et 9 ; 22, 17), que le Christ « a aimée et pour laquelle il s’est livré lui-même afin de la sanctifier » (Ep 5, 26), qu’il unit à lui par une alliance indissoluble, et qu’il « nourrit et chérit » sans cesse (Ep 5, 29), et qu’une fois purifiée il a voulu être purifiée et unie à lui, soumise à lui dans l’amour et la fidélité (cf. Ep 5, 24), et qu’il a enfin comblée de dons célestes pour toute l’éternité, afin que nous connaissions l’amour de Dieu et du Christ pour nous, amour qui surpasse toute connaissance (cf. Ep 3, 19). Sur la terre, l’Église, qui chemine dans une terre étrangère loin du Seigneur (cf. 2 Co 5, 6), est comme en exil. Elle cherche et expérimente les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu, où la vie de l’Église est cachée avec le Christ en Dieu jusqu’à ce qu’elle apparaisse dans la gloire avec son Époux (cf. Col 3, 1-4).
Si seulement nous en avions entendu davantage au cours de ce dernier mois de synode et des trois années de « processus synodal » qui l’ont précédé.