Lu sur le site web du bimensuel français « L’Homme Nouveau » :
"Sous le titre « Morale et politique », le professeur Marcel de Corte (1905-1994) avait publié naguère un article décrivant le processus d’hypermoralisation du discours politique cohabitant avec l’abandon de la pratique individuelle de la morale. Loin d’avoir perdu de sa pertinence, cette réflexion du grand philosophe belge semble avoir été écrit pour décrire la situation actuelle de déliquescence les mœurs publiques et privées. Il mérite d'être relu en cette période électorale:
« Le plus curieux phénomène que puisse enregistrer l’observateur des mœurs actuelles est sans doute l’imprégnation de la politique par la morale, par une certaine morale s’entend.
Une abondance de discours et de revendications
Les tribunes politiques sont devenues des chaires d’où se distribuent les préceptes de conduite, les promesses de bonheur et les perspectives de châtiment. Les prédicateurs religieux les imitent servilement, comme d’habitude. À aucune époque de l’histoire la justice n’a été célébrée avec une telle abondance de discours et de revendications. L’esprit et le cœur s’ouvrent à la fraternité et surtout à la haine des « méchants » qui l’entravent. Les hommes politiques battent leur coulpe, sur la poitrine de leurs voisins, mais souvent, aussi devant les tribunaux de moralité et d’orthodoxie. Le vocabulaire de l’éthique suffit à peine à la demande et les mots qui le composent, manœuvrés par les spéculateurs, sont emportés dans un mouvement de hausse vertigineuse. Les opinions politiques sont pesées, jugées, louées ou condamnées comme des vertus ou des tares morales imbibant l’âme et le corps. Une telle est un brevet de bonne conduite, digne d’éloge et de récompense, une autre suscite le blâme, la réprobation, et parfois l’emprisonnement et la mort. D’individuelle qu’elle était, la conscience morale a subi une inflation inouïe : elle est devenue, comme on sait, universelle, et elle se débite en assignats, tous les jours de l’année, dans des manifestes, des pétitionnements et des cortèges.
Jamais les concepts de bien et de mal n’ont été politiquement plus répandus.
Cette première constatation s’en double d’une autre. S’il est vrai que la politique et la morale tendent de plus en plus à coïncider, et même à devenir la règle de vie d’un chacun, il est également vrai de dire que les mœurs publiques et privées sont en pleine déliquescence.
Le phénomène est tellement visible qu’il se passe de démonstration ou de description. Il n’est que d’ouvrir les yeux et de contempler le spectacle que nous offre l’humanité d’aujourd’hui. Le moralisme politique ou la politique moralisante est un voile sous le couvert duquel se perpètrent les pires attentats contre la morale élémentaire et particulièrement contre l’amour du prochain. Les conduites personnelles désorbitées n’ont plus d’axe et la simple pratique des devoirs d’état requiert aujourd’hui une sorte d’héroïsme. Les exemples foisonnent.