D'Arnaud Bouthéon sur le site du Figaro (Figaro Vox) :
Suspension des messes: «Le christianisme n’est pas une religion de la conviction privée»
FIGAROVOX/TRIBUNE - L’essayiste chrétien Arnaud Bouthéon espère que la liberté d’assister au culte sera rendue au plus vite aux fidèles, arguant de l’importance du lien communautaire et des sacrements dans la vie chrétienne.
Arnaud Bouthéon est l’auteur de Comme un athlète de Dieu, manifeste sportif et chrétien, aux éditions Salvator, et cofondateur du Congrès Mission.
L’état d’urgence sécuritaire et sanitaire éprouve nos concitoyens, mais aussi nos dirigeants. Alors que le Conseil d’État vient de confirmer l’interdiction de la célébration publique du culte dans les édifices religieux, le premier ministre a récemment offert, par la grâce d’un tweet, quelques mots pour présenter sa définition de la religion. Il évoque ainsi «l’expression d’une conviction intime qu’une République laïque respecte comme l’exercice d’une liberté fondamentale».
Cette conviction intime tolérée par la République laïque, n’est-il pas ce christianisme loué par René Rémond, qui «a imprimé sa marque sur le continent qui s’est couvert d’un grand manteau blanc d’églises» et dont l’anthropologie fonde l’universalité de la déclaration des droits de l’homme?
Les chrétiens ne sont pas là pour convaincre ou se convaincre intimement mais pour être, pour annoncer et pour faire.Dans la préface d’un récent et très utile ouvrage consacré au millier d’ «incroyables chrétiens» qui ont façonné l’histoire de France, Patrick Poivre d’Arvor paraphrasait le poète René Char, affirmant qu’un religieux est comme un poète: il doit laisser «des traces de son passages, non des preuves». Puis, il évoquait le souvenir de ses rencontres avec Jean-Paul II, Mère Teresa, Sœur Emmanuelle, le Père Pedro. Ces témoins du geste et de la grâce n’ont rien prouvé ; mais ils ont agi, parce qu’ils puisaient.
Oui, ils sont inspirants parce qu’ils puisaient la force de leur passage à l’acte mais aussi le pardon, la consolation et la charité dans cette pratique des sacrements, en ces écrins que sont les églises. Ils ont consolé, ils ont touché, parce qu’ils étaient eux-mêmes touchés et consolés.
Les chrétiens ne sont pas là pour convaincre ou se convaincre intimement mais pour être, pour annoncer et pour faire.
Le christianisme n’est pas une gnose intimiste ; il est une affaire de lien, de relation, de corps et même de chair. De tout temps, il est la religion de l’incarnation, du lien et du risque ; il n’a jamais été la religion de la conviction privée, ni une philosophie du «care» hygiéniste. À la communication de crise par écrans interposés, les chrétiens préfèreront toujours la communion du geste humain offert et exposé.
Pour cimenter l’unité d’un pays tétanisé par le confinement et la barbarie islamiste, dans ces moments de crise, en particulier face au surgissement de la mort, le besoin de consolation humaine et spirituelle semble immense. Ce besoin convoque des ressources que la République laïque ne peut offrir. Peut-elle humblement le reconnaître? Peut-elle admettre qu’en ces temps difficiles, des corps intermédiaires comme les paroisses peuvent offrir en leurs murs, ce supplément d’âme et d’espérance, qu’une société aseptisée lui refuse?