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Idées - Page 47

  • Quand on assiste au "crépuscule de l'universel"

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    Des propos recueillis par Aliénor Barrière sur Atlantico.fr :

    Chantal Delsol : "L’Occident est passé de l’humanisme à l’humanitaire"

     

    Atlantico.fr : Vous expliquez que "l'individualisme occidental, libéral et mondialiste, se trouve en face de plusieurs cultures distinctes qui le combattent au nom chaque fois d'une forme d'holisme et d'enracinement". Quelle est donc l'origine de la remise en cause de notre universalisme ?

    Chantal Delsol : Cette mise en cause est récente, elle date du tournant du siècle. Je crois, et c’est la thèse que je développe, qu’elle provient largement d’un excès de l’individualisme occidental. Celui-ci est devenu si extrême, si idéologique, que nombre de groupes culturels, à l’extérieur et à l’intérieur de l’Occident, en sont venus à penser que ce n’était plus là un modèle possible ni souhaitable. Le processus le plus emblématique : l’institutionnalisation de la solitude individuelle et la dissolution des liens, est considéré par beaucoup comme inacceptable.

    Vous abordez la politique chinoise en expliquant qu'en Chine "la liberté personnelle, qui donne lieu à la libre parole et à la contestation, à l'Etat de droit et à la démocratie, est décrite comme la porte ouverte aux désordres de toutes sortes, voire à l'anarchie et au nihilisme - impropre, donc, au développement harmonieux d'un peuple". Peut-on rapprocher cette conception à la légende du Grand Inquisiteur développée par Dostoïevski dans Les Frères Karamazov ?

    Oui, sinon que Dostoïevski en tire une critique théologique : Dieu a eu tort de nous laisser la liberté, ce faisant il nous a rendus malheureux… Mais il est vrai que l’on peut trouver la critique de la liberté excessive, aussi bien chez les Russes que chez les Chinois. J’ai tenté de montrer que les arguments affichés étaient analogues. Et que même, les arguments des traditionnalistes anti-modernes depuis la révolution française, étaient aussi les mêmes. Il s’agit toujours d’affirmer ici que la liberté doit être limitée en fonction du besoin de liens, qui est foncièrement humain, et des responsabilités attenantes.

    La modernisation peut-elle désormais se penser sans l'occidentalisation ?

    On voit plusieurs cultures extra-occidentales espérer, depuis deux siècles, se moderniser sans s’occidentaliser : c’est-à-dire avancer dans la voie de l’émancipation, mais sans être obligées pour autant de mimer l’Occident. Peut-être le Japon y est-il parvenu ? J’ai tenté de montrer, dans la conclusion, qu’il y a aujourd’hui deux courants distincts qui proposent une « autre modernité ». La Chine, une modernité fondée sur l’holisme (l’individu est entièrement ordonné à la famille et à l’Etat). Et l’Europe centrale, qui propose une modernité fondée sur la « personne interindividuelle ». On constate que dans les deux cas, très différents l’un de l’autre, il s’agit toujours de limiter l’individualisme en sauvant les liens inter-humains.

    Quels sont les fondements philosophiques et les conséquences politiques de l'opposition entre l'humanisme classique et l'humanitarisme actuel ?

    L’humanisme classique est fondé sur la centralité de l’homme dans l’univers. L’homme est considéré, depuis la Bible, comme le maitre et le berger du monde. Il a plus de valeur que les autres vivants : il a une dignité spéciale comme « image de Dieu ». Cette croyance est caractéristique de l’Occident : dans certaines cultures asiatiques, par exemple, l’humain n’a pas plus de valeur que l’animal. Le passage à ce que j’appelle l’humanitarisme, signifie que l’homme a perdu sa valeur intrinsèque et sa centralité – la nature en revanche se sacralise. Et en même temps, que se développe une morale de la compassion, laquelle devient une véritable religion. Le monde humaniste est monothéiste – c’est Dieu qui confère à l’homme sa dignité intrinsèque et son statut de roi. Dans le monde humanitaire, il y a deux religions : la religion morale compassionnelle, et la religion de la nature.

    Quant aux conséquences, nous sommes dans la prospective… L’humanitarisme est une forme de panthéisme – c’est d’ailleurs ce que Tocqueville avait prédit, il y a deux siècles, pour la démocratie avancée : le panthéisme. 

    Propos recueillis par Aliénor Barrière 

    Chantal Delsol publie "Le Crépuscule de l'universel" aux éditions du Cerf 

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  • Réflexions d'un lecteur : on ne peut incriminer le pontificat actuel en oubliant les orientations des pontificats précédents

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    "Un lecteur" nous fait part de ses réflexions au sujet de la crise actuelle dont il refuse de faire porter la responsabilité au seul pontife régnant en oubliant que les orientations prises sous les pontificats précédents y ont largement contribué... Nous le remercions de nous les partager et nous les livrons à nos lecteurs dont elles permettront sans nul doute d'approfondir la réflexion.

    I.

    1. Disons en quelques mots que je ne suis pas de ceux qui s'imaginent que, au sortir de deux décennies de décervelage, dans les années 1960-1970, presque tout serait allé de mieux en mieux, dans l'Eglise catholique, de l'automne 1978 à l'hiver 2013, grâce à Jean-Paul II puis grâce à Benoît XVI, jusqu'à ce que l'élection du pape François puis le déroulement du pontificat de François provoquent l'interruption ou la remise en cause de trois décennies d'un recentrage doctrinal, liturgique, pastoral et spirituel, qui aurait été de plus en plus orthodoxe et réaliste, des années 1980 à l'année 2012.

    2. Pourquoi ne suis-je pas de ceux qui s'imaginent cela ? Voici, tout d'abord, la première raison pour laquelle je n'en suis pas : la vérité oblige à dire que Jean-Paul II n'a pas impulsé ni incarné un recentrage orthodoxe et réaliste dans tous les domaines : Jean-Paul II a été beaucoup plus conciliaire, plus libéral ad extra (dans l'acception philosophique et théologique de l'adjectif libéral), que Paul VI, dans le domaine du dialogue interconfessionnel, et, surtout, le même Jean-Paul II a été infiniment plus conciliaire, plus libéral ad extra, que le même Paul VI, dans celui du dialogue interreligieux. (Il s'agit ici, globalement, de l'acception philosophique post-kantienne et de l'acception théologique post-schleiermachienne de l'adjectif libéral.)

    3. En d'autres termes, le moins que l'on puisse dire est que, dans ces domaines, de la fin des années 1970 au début des années 2010, sous Jean-Paul II puis sous Benoît XVI, la poursuite du décentrement, souvent iréniste et parfois utopiste, l'a amplement emporté sur un recentrage orthodoxe et réaliste qui aurait dû être à contre-courant ad extra, mais aussi ad intra, face à la conception dominante, d'inspiration quasiment protestante libérale, du dialogue interconfessionnel, et face à la conception dominante, d'inspiration quasiment panchristique et postmoderne, du dialogue interreligieux.

    4. Si l'on préfère, je ne suis pas de ceux qui portent en eux la nostalgie ou le souvenir d'un pape Jean-Paul II qui aurait pensé puis mené la totalité de son pontificat sur le registre du recentrage conservateur dans tous les domaines (alors que je n'ignore pas que beaucoup de catholiques, notamment parmi ceux qui auront entre 30 et 60 ans, en 2020, portent en eux, encore aujourd'hui, cette nostalgie ou ce souvenir), parce que j'ai bien conscience du fait que ce pape a fonctionné à grande distance, sinon aux antipodes, du recentrage conservateur, dans le cadre de chacun de ces deux dialogues. ( UN document, je dis bien UN document : Dominus Iesus, ne saurait faire oublier les CENTAINES de documents, je dis bien les CENTAINES de documents, que l'on doit au pape Jean-Pape II, et dans lesquels le même pape laisse entendre à peu près le contraire de ce que l'on lit dans Dominus Iesus, ou prend bien soin de ne pas faire entendre à peu près l'équivalent de ce que l'on lit dans Dominus Iesus. Si vous ne me croyez pas, lisez ce livre : https://www.librairie-emmanuel.fr/le-dialogue-interreligieux-dans-lenseignement-officiel-de-leglise-catholique-p-36755 )

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  • François et le schisme d’Allemagne. Chronique d’un cauchemar

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    Lu sur le site de notre confrère « diakonos.be » :

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    « Ce synode sur l’Amazonie est le second d’affilée dans lequel François a déçu les attentes de ceux qui attendaient des innovations qu’il avait lui-même avait laissé entrevoir.

    Au cours du synode de 2018 sur les jeunes, c’était autour de la question de l’homosexualité que s’étaient cristallisées les attentes et les controverses. Le document de travail des débats, au paragraphe 197, admettait explicitement un changement possible de paradigme dans le jugement porté sur les « couples homosexuels ».

    Et en revanche, rien. Au cours du synode, le Pape François a imposé et obtenu le silence sur le sujet. On n’en a parlé ni pendant les débats en séance, ni dans le document final, et encore moins dans l’exhortation pontificale post-synodale « Christus vivit ». Et c’est ainsi que le synode sur les jeunes – une fois vidé de son ingrédient le plus piquant – est devenu le synode le plus inutile et ennuyeux de l’histoire.

    L’année suivante, avec le synode sur l’Amazonie et surtout avec les événements qui ont suivi, la déception des novateurs a été encore plus grande.

    Parce que cette fois, il y avait bien eu débat pendant le synode sur le changement le plus attendu et le plus polémique qu’était l’ordination d’hommes mariés. Dans le document final, la proposition était passée avec plus de deux tiers des voix. Et début janvier encore, beaucoup étaient persuadés que François se la serait appropriée et l’aurait autorisée dans l’exhortation synodale qui devait sortir d’un jour à l’autre.

    C’est alors qu’est arrivé le livre-choc du pape émérite Benoît XVI et du cardinal Sarah en défense du célibat sacerdotal, qui a été accueilli par les novateurs comme un mauvais présage.

    Et de fait, l’exhortation post-synodale « Querida Amazonia » est tombée peu après comme une douche froide, avec un silence total de François sur le sujet. Il ne restait plus aux novateurs qu’à s’agripper – comme l’a fait l’évêque et théologien argentin Victor Manuel Fernández –  à la faible lueur d’espoir des quelques lignes introductives dans lesquelles le pape invite à « lire intégralement » aussi le document final du synode dans lequel « Dieu veuille que toute l’Église se laisse enrichir et interpeller » et où il recommande que « les pasteurs » d’Amazonie « s’engagent pour son application ».

    Mais à part cette dernière planche de salut laissée par François à disposition des novateurs, qu’est-ce qui a bien pu pousser le pape à ces coups de frein à répétition sur des matières pour lesquelles il s’était lui-même montré disposé à innover par le passé ?

    La réponse est à aller chercher en Allemagne.

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  • Quand l'efficacité l'emporte sur la vérité...

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    Des propos recueillis par Laurent de Boissieu sur le site du journal La Croix :

    « Les messages ne doivent plus être justes, mais efficaces », regrette François-Xavier Bellamy

    Verbatim - François-Xavier Bellamy, chef de la délégation LR au Parlement européen. Pour le professeur de philosophie, le risque du déni de réalité guette la société.

    « Où est passée la vérité ? Sa disparition est au cœur de la crise profonde que traversent nos démocraties. Il est devenu habituel de s’indigner des fake news qui prospèrent sur le Net, ou des outrances que suscitent des surenchères démagogiques… Mais reconnaissons-le : notre société avait renoncé à la vérité bien avant le populisme et les réseaux sociaux, par une forme de relativisme confortable et inconséquent.

    Lorsque je demandais à mes élèves une définition de la vérité, la première réponse était toujours : « La vérité dépend de chacun. » Ce qui est rigoureusement impossible : nous avons des opinions différentes, mais elles ne peuvent être toutes vraies en même temps. Sur fond de ce relativisme, notre société a sombré paisiblement dans un immense déni de réalité – et la politique est devenue à elle seule sa propre réalité, comme un spectacle clos sur lui-même, qui se suffit de ses artifices. Les messages ne doivent plus être justes, mais politiquement efficaces. On ne propose plus une mesure parce qu’elle est utile, mais pour se “positionner”. Les fluctuations sondagières imposent des retournements décomplexés, des sincérités successives, des simplismes caricaturaux. Tant pis pour la complexité du réel - à laquelle la structuration du débat public ne laisse de toute façon aucune chance. Dans le rythme des joutes médiatiques, construites pour produire de la polémique, malheur à celui qui croirait encore à la rigueur et à la nuance.

    Renoncer au souci de la vérité ne nous a pas rendus plus libres, au contraire. Toutes les opinions se valent, assure-t-on ; mais qui peut prétendre, élu ou simple citoyen, qu’il ose vraiment dire ce qu’il pense ? On ne parle plus, on répète des “éléments de langage”. L’autocensure est permanente. Il y a des vérités factuellement incontestables qu’il suffirait d’évoquer pour être immédiatement expulsé de la conversation civique. Un maire a été poursuivi pour avoir indiqué la proportion de prénoms d’origine musulmane dans les classes de sa ville. Une philosophe est interdite d’université parce qu’elle pense que l’altérité sexuelle joue un rôle dans la filiation. Le problème n’est même pas que ce serait faux ; c’est simplement démodé, inconvenant – si vous l’affirmez d’ailleurs, on ne vous opposera aucune réfutation : l’indignation suffira.

    Dans la vie politique, comme en sciences ou en philosophie, c’est seulement parce que nous cherchons une même vérité, que nous en venons à partager nos désaccords pour pouvoir nous en approcher. Seule la certitude que le réel existe, et que nous avons le devoir de nous ajuster à lui, peut nous obliger au respect et à l’écoute de l’opinion d’autrui. Ce n’est que par le souci de la vérité que nous retrouverons le sens de nos libertés, et notre vitalité démocratique. »

    D'où l'urgence de lire l'ouvrage de Paul Vaute "Plaidoyer pour le Vrai"
  • Édouard Husson: «La comparaison entre le Brexit et la Réforme anglicane passe à côté de l’essentiel»

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    Brexit et libertés XVM56367d12-4f0d-11ea-8d1f-f6db9695b2f5.jpg

    Libéralisme « athénien » contre « romanité » étatique ? Le cliché date un peu mais il a la vie dure. Lu sur le site « figarovox », sous la plume d’Edouard Husson :

    « Dans un article publié le 10 février dans ces colonnes, Bradford Littlejohn propose une comparaison argumentée entre le Brexit et la Réforme anglicane du XVIe siècle. Il fait l’analogie entre le rejet par le clergé anglais des taxes pontificales et celui, de la contribution britannique à l’UE. Il compare la bureaucratie bruxelloise à celle du Saint-Siège au XVIe siècle. L’article est brillant, donne à réfléchir mais passe un peu vite sur le comportement d’Henri VIII.

    Malgré la rupture avec Rome, l’Angleterre suivit largement la même histoire que le continent européen.

    La rupture avec Rome fut aussi le début d’un comportement de plus en plus despotique du souverain britannique, l’orée d’un siècle et demi d’absolutisme monarchique, de persécutions religieuses, de révolutions, le pays ne retrouvant un équilibre politique qu’à l’occasion de la Glorieuse Révolution de 1688-1689. De fait, durant cette période, l’Angleterre suivit largement, en solitaire, la même histoire que le continent européen. La coupure entre l’Angleterre et le reste de l’Europe ne fut qu’apparente, le continent entrant dans une spirale propre de violence, des guerres de Religion à la Guerre de Trente Ans. Contrairement aux apparences, l’Angleterre, d’Henri VIII à Cromwell, ressembla au continent, en plus brutal. De Shakespeare à Hobbes, on voit les plus grands esprits anglais du temps marqués profondément par la violence de l’histoire insulaire. Aujourd’hui encore le calendrier de l’Église catholique fait une place aussi grande aux martyrs de l’époque élisabéthaine qu’à ceux de la Révolution française ou de la Guerre d’Espagne. Du meurtre de Charles Ier à la dictature de Cromwell, l’Angleterre connut un épisode proto-totalitaire.

    Le Brexit a toutes les caractéristiques d’une nouvelle « Glorieuse Révolution  ».

    Le Brexit est à l’opposé de cette histoire sanglante. Il représente une reconquête par la Grande-Bretagne de libertés fondatrices. Plutôt que de le placer dans la continuité de la monarchie des Tudors, il a toutes les caractéristiques d’une nouvelle «Glorieuse Révolution». Il est un moment éminemment «conservateur» de l’histoire anglaise et britannique, pour laquelle les libertés individuelles et l’équilibre des pouvoirs sont toujours «à l’origine» et risquent, régulièrement, d’être perdus, oubliés, déformés. Ce à quoi nous avons assisté, entre 2016 et 2019, c’est la tentative d’une partie des parlementaires de manigancer avec une partie de la haute fonction publique un échec du Brexit, contre la volonté populaire. Au bout du compte, les diverses protections de la liberté que permettent les institutions britanniques l’ont emporté. Il a été possible aux défenseurs du Brexit de rendre la parole à la souveraineté populaire et de faire aboutir le souhait majoritaire: réenraciner clairement la liberté et la souveraineté dans la nation. Lorsque Boris Johnson est allé conquérir les terres travaillistes du nord de l’Angleterre, il a renoué avec le conservatisme populaire de Benjamin Disraëli, le fondateur du parti conservateur moderne dans les années 1840.

    En quittant le projet fédéraliste européen, les Britanniques ont renoué avec le meilleur de la culture européenne.

    Pour comprendre ce qui se passe avec le Brexit, il faut se défaire de la fascination malsaine de la philosophie politique pour Machiavel, Hobbes et Rousseau, concepteurs des tyrannies modernes. Revenons à la tradition des penseurs de la liberté et de la loi naturelle, d’Aristote à Edmund Burke. En quittant le projet fédéraliste européen, grâce auquel son père fondateur, Jean Monnet, voulait substituer «l’administration des choses au gouvernement des hommes», la Grande-Bretagne a renoué avec l’ambition politique d’une société de liberté, d’une démocratie légitime. Les Britanniques ont renoué avec le meilleur de la culture européenne. Ils sont sortis de l’Union Européenne pour… retrouver le civisme qui animait déjà les Athéniens combattant l’Empire perse ou la République romaine. La Réforme anglicane avait été une séparation du reste de l’Europe pour le pire. Le Brexit sera-t-il, au contraire, l’amorce d’une renaissance politique pour toute l’Europe? Cela dépend de nous: avons-nous encore le goût de la liberté?

    Ref. Édouard Husson: «La comparaison entre le Brexit et la Réforme anglicane passe à côté de l’essentiel»

    Édouard Husson est historien, professeur des universités et directeur de l’Institut Franco-allemand d’Études Européennes à l’Université de Cergy-Pontoise. Il vient de publier Paris-Berlin: la survie de l’Europe(Gallimard, collection Esprit du Monde, 2019).

    JPSC

  • Pour un rite liturgique « amazonien » ?

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    A côté de l’ordination des femmes et des « viri probati », dont le pape a décidé de ne rien faire,  le récent synode amazonien évoquait aussi la création d’un rite liturgique propre à cette vaste région transfrontalière d’Amérique du Sud. Lu sur le site web « Pro Liturgia » :

    Pachamama 2019-10-16_11-15-26-1.png« Au cours du récent synode sur l’Amazonie qui s’est déroulé au Vatican, la possibilité de créer ou d’imaginer un rite liturgique « amazonien » a plusieurs fois été évoquée. C’est l’occasion de rappeler que l’Église, au cours de son histoire, n’a jamais « créé » de rite. Pour la simple raison qu’un rite liturgie ne s’invente pas, ne se crée pas : il se constitue à partir d’éléments déjà existants que l’Église accepte comme étant la juste expression de sa foi ou refuse comme étant une expression contraire à sa doctrine ou imprudente pour l’équilibre spirituel des fidèles. Puis, in fine, l’Église organise ces éléments d’une façon cohérente et stable afin qu’à leur contact auditif et visuel, les fidèles puissent confesser et nourrir leur foi telle que proclamée dans le « Credo ». C’est ce processus qu’exprime parfaitement le concile Vatican II lorsqu’il enseigne qu’en liturgie, « les formes nouvelles ne peuvent naître que de formes déjà existantes selon un développement en quelque sorte organique » (Sacrosanctum Concilium, n. 23).
    Vouloir « créer » un rite, qu’il soit « amazonien », « mohican » ou même « syldave » (pour éventuellement faire plaisir aux « tintinophiles » pratiquants) relève donc d’un non-sens en même temps que d’une ignorance des principes élémentaires qui gouvernent la liturgie en général et les rites en particulier. L’Histoire nous apprend qu’aucun des fondateurs des grands Ordres religieux - bénédictins, cisterciens, dominicains, prémontrés… - n’a élaboré de rite liturgique à l’usage de sa communauté (Cf. 
    Histoire du Missel romain, éd. Téqui, Paris, 1988).

    D’autre part, l’Église enseigne que « dans la liturgie terrestre, nous participons par un avant-goût à cette liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem à laquelle nous tendons comme des voyageurs, où le Christ siège à la droite de Dieu, comme ministre du sanctuaire et du vrai tabernacle (…) » (Sacrosanctum Concilium, n. 8). Il est donc clair qu’une « liturgie amazonienne » - dans l’éventualité où elle serait créée - ne pourrait pas avoir un but différent de celui que poursuit déjà la liturgie romaine, à savoir nous « faire participer par un avant-goût à la liturgie céleste » qui se célèbre de toute éternité. Ce qui implique que tout ce qui, au cours d’une célébration, pourrait faire porter l’attention des fidèles davantage sur des éléments du folklore amazonien que sur l’ « avant-goût de la liturgie céleste » n’a, par essence, pas sa place dans une liturgie qu’on voudrait ou qu’on décrèterait « amazonienne ». Ces quelques explications brèves mais pleinement conformes à ce que l’Église a toujours pratiqué en matière de culte attirent l’attention sur le non-sens des demandes concernant la liturgie en Amazonie, telles qu’elles ont été formulées par les participants au récent synode. »

    Jusqu’à quel point peut-on, en effet, parler de « rites » bénédictin, anglican (pour les communautés high church ralliées à Rome sous le règne de Benoît XVI) ou zaïrois (introduit au Congo dans le contexte de la mode éphémère de l’ « authenticité »  prônée en son temps par Mobutu) ? On devrait plutôt parler de variantes du rite romain, comparables à celles qui ont souvent existé avant la centralisation tridentine. Et, naturellement, aucun de ces « rites » n’a jamais introduit dans la liturgie romaine un culte chtonien semblable à celui de la Pachamama…

    JPSC

  • Bruxelles, 18 février : Philo à BXL avec Stéphane Mercier : La vie et le vivant selon saint Thomas

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    La vie et le vivant selon saint Thomas - Stéphane Mercier

    mardi 18 février de 19:30 à 21:30
    Le Roy d'Espagne, Grand-Place 1, 1000 Bruxelles
  • Une entreprise de formatage idéologique permanent pour rééduquer l'homme occidental

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    Mathieu Bock-Côté : La volonté de rééduquer l'homme occidental

    Chronique de Mathieu Bock-Coté dans le Figaro publiée sur le site "Pour une école libre au Québec" :

    Dans L’Homme surnuméraire, un roman paru en 2018, Patrice Jean a eu l’intuition géniale de mettre en scène un personnage dont le travail consiste à réécrire les classiques de la littérature pour les rendre compatibles avec les valeurs de notre temps. Mais comme c’est trop souvent le cas, le réel vient de dépasser la fiction.

    Dans certaines maisons d’édition américaine, la tendance est à l’embauche des « sensitivity readers ». Leur rôle ? Réviser les manuscrits pour y traquer les préjugés raciaux ou les stéréotypes de genre et s’assurer d’une représentation positive de la diversité dans le texte publié, qu’il faudrait délivrer de l’emprise du « patriarcat blanc ». Parfaits commissaires politiques, ils lisent les œuvres à partir d’une grille idéologique et distribuent les bons et mauvais points. La littérature doit s’y soumettre ou se démettre.

    On peine à ne pas penser à la censure aux temps de l’URSS : là aussi, les textes devaient passer sous les yeux des lecteurs du régime, qui s’assuraient de leur conformité avec l’idéologie officielle. L’art devait contribuer à la célébration du régime, et non en miner les fondements. La mobilisation des intellectuels et des artistes, perçus comme des « ingénieurs des âmes », était jugée nécessaire pour parachever la révolution dans l’imaginaire collectif. De même, aujourd’hui, dans plusieurs pays occidentaux, les subventions publiques dans le domaine de la culture sont attachées à des critères idéologiques explicites – il importe généralement d’assurer la promotion du vivre ensemble et de la diversité, pour le dire avec le jargon autorisé. C’est le retour de la littérature édifiante, au service d’une pédagogie à destination des masses.

    Cette surveillance idéologique des productions culturelles est indissociable de la révolution diversitaire qui oeuvre à la transformation des mentalités occidentales. On aurait tort de croire qu’elle se limite aux élucubrations théoriques d’universitaires. Elle a pénétré depuis longtemps administrations, entreprises et médias, qui intègrent à leurs activités nombre de « conseillers à la diversité », censés sensibiliser les cadres et les employés à la diversité, tout en les poussant à prendre conscience de leur « privilège blanc », pour mieux le déconstruire. Aucune société occidentale n’est épargnée. Il faudrait faire le décompte des séances de formation dans les milieux de travail pour constater l’étendue de son emprise. Voyons-y une forme de formatage idéologique permanent, pour pressuriser les consciences et assurer leur anesthésie ou leur soumission enthousiaste. Le régime diversitaire transforme la société en camp de rééducation à ciel ouvert.

    L’autocritique théâtralisée devient une manière d’afficher sa noblesse morale dans un environnement où la haine du réactionnaire passe pour la forme achevée de l’amour de l’humanité. Mais c’est quand même avec étonnement qu’on a appris dans les pages du Guardian, ces derniers jours, que le marché de la culpabilisation de l’homme blanc, et plus particulièrement, de la femme blanche, était de plus en plus lucratif aux États-Unis. Des activistes « racisées » organisent de coûteux dîners en ville où se rassemblent des femmes blanches de la bonne société qui viennent s’y faire expliquer qu’elles sont racistes et comment ne plus l’être. On marchandise ainsi un sentiment de culpabilité médiatiquement entretenu. Ce désir d’être rééduqué relève de la névrose et témoigne de la destructuration psychique des sociétés occidentales, hantée par la haine de leur expérience historique.

    On ne saurait sous-estimer la portée de cette entreprise de rééducation. À terme, il s’agit de faire basculer l’homme occidental dans un monde parallèle. Orwell disait que le propre du totalitarisme consiste à pousser l’homme à admettre que 2 + 2 = 5. De là une campagne de provocation permanente ayant pour vocation de déstabiliser définitivement les consciences et de détruire les repères anthropologiques les plus élémentaires. Même la classe politique s’y met. Quand Emmanuel Macron, selon Valeurs Actuelles, déclare à la présidente des Associations familiales catholiques, lors d’une conversation informelle à l’Élysée : « Votre problème, c’est que vous croyez qu’un père est forcément un mâle », il y participe, sans doute inconsciemment. Toujours, il s’agit de renverser les structures anthropologiques les plus fondamentales et de faire passer pour sot celui qui doute. C’est le règne de l’indifférenciation absolue et de l’interchangeabilité des êtres.

    Il est tentant d’assimiler ces exemples à des dérives loufoques, devant davantage faire rire qu’inquiéter. À tort. C’est en les pensant ensemble que se révèle l’ambition fondamentale du régime diversitaire : fabriquer un homme nouveau, arraché à sa civilisation, et désirant même la renier de manière ostentatoire, pour se faire enfin pardonner d’exister.

  • Querida Amazonia : vers une Eglise "laïcisée" ?

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    Du Père Pio Pace sur le blog Rorate Caeli en traduction française sur Res Novae (site de l'Homme Nouveau) :

    Querida Amazonia : pour une sorte d’« Église laïque »

    Querida Amazonia : <br>pour une sorte d’« Église laïque »

    Va-t-on ordonner des viri probati mariés ? Cette question, avant pendant et après l’assemblée du Synode sur l’Amazonie, a polarisé toute l’attention, les évêques du Synode allemand se tenant comme en embuscade, prêts à s’emparer du thème pour la transformation institutionnelle de l’Église. Pour toutes sortes de raisons politiques et tactiques, l’exhortation apostolique tant attendue n’en parle pas. Elle ne rejette pas la possibilité, comme on l’a dit trop hâtivement : elle n’en parle pas. En fait, elle va plus loin, vers une Église laïcisée, où le sacerdoce commun des baptisée absorbe largement le ministère sacerdotal en se confondant avec lui.

    Car le texte, sous des allures modestes, est très ambitieux. Il faut lire avec beaucoup d’attention le début de l’Exhortation : elle se présente comme « un cadre de réflexion », qui est une invitation à lire le document final du Synode (qui parle d’ordonner des diacres mariés), mais en s’élevant à des considérations plus fondamentales et assurément plus radicales. Le passage central concerne « l’inculturation de la ministérialité » (nn. 85-90), suivi de considérations sur les communautés (nn. 91-98), puis sur le rôle des femmes (nn. 99-103).

    Le rédacteur principal (parmi les hypothèses, ce pourrait être le subtil P. Spadaro, jésuite, directeur de La Civiltà Cattolica) propose au nom du Pape une vision laïcisée de l’Église, fondamentalement hostile au « cléricalisme », et qui, par le fait, dépasse, et éventuellement inclut, la problématique des prêtres mariés dans une perspective plus large.

    L’inculturation explique-t-il, doit aussi s’exprimer dans « l’organisation ecclésiale et la ministérialité ». Le ministère sacerdotal doit être repensé. Il ne se réduit pas au prêtre-clerc, dont le pouvoir spécifique est de consacrer et de pardonner les péchés, lequel est indispensable pour assurer « une plus grande fréquence de la célébration de l’Eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées ». En revanche, le pouvoir hiérarchique dans l’Église, qui appartient au ministère sacerdotal, n’est pas propre au ministère ordonné : des laïcs, restant laïcs, pourront exercer cette autre face du ministère sacerdotal et « annoncer la Parole, enseigner, organiser leurs communautés, célébrer certains sacrements, chercher différentes voies pour la piété populaire et développer la multitude des dons que l’Esprit répand en eux ».

    Certes, les communautés auront besoin de la célébration de l’eucharistie et du pardon des péchés, car « il est urgent d’éviter que les peuples amazoniens soient privés de cet aliment de vie nouvelle et du sacrement du pardon ». C’est ici, au n. 90, qu’intervient ce qui a été ressenti – à tort – comme une douche froide par toutes les instances progressistes et comme un immense soulagement par les conservateurs : le Pape, au lieu de parler d’ordination de diacres mariés, invite seulement à prier pour les vocations sacerdotales, tout en précisant qu’il convient de « réviser complètement la structure et le contenu tant de la formation initiale que de la formation permanente des prêtres, afin qu’ils acquièrent les attitudes et les capacités que requiert le dialogue avec les cultures amazoniennes »

    Mais, continue-t-il, il faut des diacres permanents plus nombreux, des religieuses et des laïcs qui assument des responsabilités importantes pour la croissance des communautés. Il faut que ces laïcs « arrivent à maturité dans l’exercice de ces fonctions grâce à un accompagnement adéquat ». Au-delà donc de l’« objectif limité » d’une plus grande présence de ministres ordonnés pouvant célébrer l’eucharistie, il s’agit de promouvoir des laïcs « mûrs » qui, eux aussi ministres sacerdotaux mais comme laïcs, prendront en charge la communauté. Ceux qui font une fixation sur l’ordination d’hommes mariés sont en somme accusés de cléricalisme, alors qu’il est beaucoup plus important de promouvoir une sorte d’« Église laïque » : cela demande « une capacité d’ouvrir des chemins à l’audace de l’Esprit, pour faire confiance et pour permettre de façon concrète le développement d’une culture ecclésiale propre, nettement laïque [souligné dans le texte] ».

    Rien n’exclut cependant que, parmi ces laïcs pleinement « mûrs », on puisse juger utile d’en ordonner certains pour les besoins de l’Eucharistie. Mais comme le faisait remarquer Élodie Blogie, dans le quotidien belge Le Soir, du 12 février, le Pape fait « une réponse très jésuite », et sur cette question, « très subtilement », ne dit ni oui, ni non : il ne dit rien, et en fait il dit plus.

    Et de manière un peu semblable, il remarque que les femmes baptisent, annoncent la Parole, sont missionnaires, et qu’elles doivent exercer des pouvoirs. D’abord comme femmes laïques, avec toute leur féminité. Mais, « penser qu’on n’accorderait aux femmes un statut et une plus grande participation dans l’Église seulement [c’est moi qui souligne] si on leur donnait accès à l’Ordre sacré » serait « réductionniste ». Cela « limiterait les perspectives, nous conduirait à cléricaliser les femmes »

    Sur ce point, tout de même, on touche peut-être à la part un peu « réactionnaire » de la pensée du Pape qui, en présentant le projet d’une recomposition (amazonienne, puis allemande, etc.) du visage de l’Église dont serait éradiqué le cléricalisme, fait la leçon aux féministes, qu’il supporte fort mal : il ne faut pas « nous enfermer dans des approches partielles sur le pouvoir dans l’Église » ; les femmes qui doivent prendre en charge l’Église, et sans laquelle l’Église s’effondrerait, doivent le faire de manière féminine. 

  • "Ce texte est une exhortation apostolique au sens propre : un encouragement à être des apôtres"

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    Une interview du Père Thomas Michelet o.p. par Marie-Lucile Kubacki sur le site de La Vie :

    Thomas Michelet : “Pour le pape, l’Amazonie est un laboratoire pour l’évangélisation”

    12/02/2020

     
	Alessia GIULIANI/CPP/CIRIC

    Alessia GIULIANI/CPP/CIRIC

    Avec son exhortation apostolique Querida Amazonia, quel message François envoie-t-il à toute l’Église catholique ? Le dominicain Thomas Michelet, professeur d'ecclésiologie et de théologie sacramentaire à l’Angelicum, à Rome, et auteur de la somme Les Papes et l’écologie (Artège, 2016), en décrypte les enjeux.

    Le pape François a signé son exhortation apostolique post-synodale sur l’Amazonie à… Saint-Jean de Latran. Comment interprétez-vous cela ?

    Jusqu’à présent, les documents étaient effectivement signés « près de saint Pierre de Rome », donc cette signature est assez inhabituelle. Autrefois, beaucoup de documents étaient signés du Latran, car c’est là que le pape habitait, mais depuis plusieurs siècles tout ou presque était signé du Vatican. Cependant, l’exhortation apostolique qui avait suivi le synode sur les jeunes et les vocations, Christus Vivit, déjà, indiquait « à Lorette », insistant sur la dimension de sanctuaire et de religiosité populaire à laquelle il est attachée. Cette fois, en signant « près de Saint-Jean du Latran », peut-être le pape a-t-il voulu se présenter davantage comme évêque de Rome. On pourrait le voir comme un signe de synodalité. Cela ne signifie pas qu’il soit moins pape qu’il ne l’est, car il est successeur de Pierre comme évêque de Rome, et les deux sont toujours liés. Mais il se place comme évêque parmi les autres évêques, avec une place particulière : c’est ce que signifie l’expression « cum Petro et sub Petro » (« avec Pierre et sous l’autorité de Pierre », ndlr.) On pourrait dire que la signature à Saint-Jean du Latran met l’accent sur le « cum Petro », même si le « sub Petro » lui est corrélé.

    Ce qui peut être vu comme un geste œcuménique…

    Il est possible en effet d'y voir la mise en œuvre d'une nouvelle manière d’exercer le ministère du pape qui ne soit plus un obstacle pour les orientaux, ainsi que l’avait déjà formulé Jean Paul II. Plus on insistera sur la synodalité, plus les orientaux seront à l’aise, même si l’unité passera aussi par le fait de se sentir en communion avec le successeur de Pierre.

    Querida Amazonia est publiée le 12 février, anniversaire de la mort de Sœur Dorothy Stang, assassinée en Amazonie il y a 15 ans, en raison de son engagement auprès des opprimés, mais il est signé du 2 février : quel est le sens de cette autre date pour le texte ?

    Le 2 février, c’est la Présentation de Jésus au Temple, la Chandeleur, le Christ comme lumière des nations – d’où le titre au concile Vatican II de la constitution dogmatique Lumen Gentium, l’Église étant lumière de toutes les nations, et pas seulement des catholiques. C’est une manière de dire que l’Amazonie aussi est lumière des nations, car elle reçoit la lumière des nations qu’est le Christ. Ainsi, ce document sur l'Amazonie exprime non pas un mondialisme où tout le monde serait pareil, mais un respect des cultures. Au fond, le pape développe une conception écologique de la culture, il promeut une biodiversité culturelle : si l’on perd une culture, on perd quelque chose de la diversité humaine. Dans la foulée de Laudato si’, on voit se déployer une écologie intégrale qui n’oppose pas crise sociale, crise écologique et crise culturelle.

    Le pape développe une conception écologique de la culture, il promeut une biodiversité culturelle.

    Dans son texte, le pape dit vouloir « présenter » le document final du synode des évêques – où était proposé, notamment d’ordonner prêtres des diacres permanents mariés et de réfléchir au diaconat féminin –, il en recommande la lecture, mais… il ne lui donne pas valeur magistérielle. Qu’est-ce que cela signifie ?

    François ne veut pas répéter ce qui a déjà été dit dans le document du synode, mais il y fait référence. Il « invite » à lire le document du synode. Il en « reprend » les conclusions, dans le double sens du mot : il assume certaines, mais il corrige d’autres, comme la piste de l’ordination d’hommes mariés et celle du diaconat féminin. Car il ne se contente pas de ne pas en parler. Il rentre dans le problème et il distingue ce qui est réservé au prêtre et ce qui peut être assumé par des laïcs, en invitant à une réflexion sur l’articulation des deux sacerdoces, baptismal et sacerdotal. Pas question, par exemple, de « cléricaliser » les femmes en ordonnant des diaconesses alors qu’il faut déjà « décléricaliser » les clercs en ne réduisant pas le ministère à une question de pouvoir. En partageant davantage la gouvernance, on évite l’un comme l’autre.

    Quel est pour vous le fil rouge de sa réflexion sur l’Église ?

    Ce qui préside à sa réflexion c’est avant tout l’évangélisation, la proclamation de l’Évangile à toute la Création, sans quoi, écrit-il, l’Église se transformera en ONG. Il est très intéressant qu’il cite l’évangile selon saint Marc, qui parle de l’annonce de l’Évangile à toute la Création, et non pas Matthieu, qui parle de l’annonce de l’Évangile à toutes les nations. D’une certaine manière, il s’agit d’annoncer aussi aux animaux et aux plantes ! Cela signifie que l’Évangile touche notre rapport à la Création. Il ne s’agit pas seulement du salut de l’homme, mais de l’homme comme grand frère des toutes les créatures. Et ce n’est pas seulement symbolique. Dans la foulée, le pape invite à éviter deux écueils, au fond : réduire l’Église à une œuvre sociale en renonçant à annoncer le Christ ou annoncer le Christ en renonçant à annoncer la justice et la paix. Il rappelle que l’Église se définit d’abord par l’annonce du Christ, mais cette annonce du Christ doit aller jusqu’à transformer la société.

    Ce texte est une exhortation apostolique au sens propre : un encouragement à être des apôtres.

    Cette exhortation apostolique sur l’Amazonie est adressée « au monde entier » : comment le monde entier doit-il se l’approprier ?

    Tout le monde doit se sentir concerné, pas seulement parce que l’Amazonie est un écosystème ou parce que c’est le poumon de la planète, ou encore parce que c’est une culture intéressante, mais parce que dans l’évangélisation de l’Amazonie se joue quelque chose d’universel. On a accès à l’universel par le particulier, explique le pape –voilà pourquoi, aussi, il aime à se présenter comme évêque de Rome, car cette Église locale est à la fois signe de l’universel et du particulier. L’Amazonie est, dans son approche, une sorte de laboratoire pour l’évangélisation, une évangélisation qui, parfois, ne s’est pas faite si bien que cela. Cette idée était déjà à l’origine de la nouvelle évangélisation en Amérique latine il y a quelques années : on considérait que la première évangélisation avait imposé une culture européenne à des peuples qui ne l’étaient pas. Là aussi, François rappelle qu’il s’agit d’éviter deux écueils : imposer aux amazoniens de devenir européens ou considérer que, l’Amazonie n’étant pas chrétienne, pour respecter les amazoniens il faudrait renoncer à annoncer le Christ. Le pape lance même un appel d’offre à des missionnaires ! Ce texte est une exhortation apostolique au sens propre : un encouragement à être des apôtres.

  • Le Pape ne se prononce pas pour l’ordination d’hommes mariés

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    Dans  «Chère Amazonie», il ne fait pas siennes toutes les conclusions du synode des évêques. De Jean-Marie Guénois sur le site web du « Figaro » :

    pape Francois 89485_pape-francois-pardon.jpg"Dans son document de conclusion du synode sur l’Amazonie, publié le 12 février par le Vatican, intitulé «Chère Amazonie» le pape François, à la surprise générale, ne reprend pas la proposition, pourtant votée à l’unanimité lors de ce synode des évêques à Rome en octobre 2019, d’ordonner prêtres des hommes mariés, diacres permanents, en vue de pallier le manque de prêtres. Le texte de 33 pages, très attendu et signé de François, ne fait strictement aucune allusion à cette possibilité.

    Dans cette même exhortation apostolique post-synodale, le Pape ferme, encore plus nettement, la porte à la perspective d’ordonner diacres des femmes, ce serait «cléricaliser les femmes».

    Les questions sociales, écologiques et culturelles

    Cette synthèse du synode sur l’Amazonie aborde aussi les questions sociales et écologiques. Il faut «s’indigner» contre les «intérêts colonisateurs», dit le Pape, qui parle d’un «désastre écologique». Sur le plan culturel, François demande aussi que soient mieux respectées les religions traditionnelles et leurs rituels, mais toujours dans une perspective d’évangélisation.

    Pour répondre dans un premier temps à la carence de prêtres dans les régions très isolées d’Amazonie, le pape demande plutôt que soient rapatriés les prêtres natifs d’Amazonie qui ont fui ces zones pour vivre aux Etats-Unis ou en Europe: «Il y a plus de missionnaires» issus d’Amazonie «pour l’Europe et pour les Etats-Unis» note François que pour «aider leurs propres vicariats», c’est-à-dire, leurs propres diocèses d’origine.

    Un recul du Pape?

    Car le pape insiste sur «l’urgence» de la célébration de l’Eucharistie pour les communautés les plus reculées d’Amazonie» et la nécessité de «trouver un moyen d’assurer ce ministère sacerdotal». Mais il se refuse à revenir sur la piste ouverte par le synode d’octobre d’ordonner prêtres des diacres permanents mariés contenue dans «les propositions» votées en fin de synode et qui lui ont été transmises en vue de la rédaction de ce document final, l’exhortation postsynodal. Même si, en introduction de son texte, le Pape invite à «lire intégralement» ces propositions que son texte «ne remplace pas, ni ne répète».

    Andréa Tornielli, en charge de la ligne éditoriale de tous les médias du Vatican, commente ce qui pourrait être interprété comme un recul du pape François sur cette mesure - ordonner prêtres des hommes mariés - très fortement promue par l’aile progressiste de l’Eglise catholique: «Avec son exhortation, le pape François témoigne d’un regard qui va au-delà des diatribes dialectiques qui ont fini par représenter le Synode presque comme un référendum sur la possibilité d’ordonner prêtres des hommes mariés.» C’est ainsi qu’ «après avoir prié et médité, a décidé de répondre sans prévoir de changements ou de nouvelles possibilités de dérogations par rapport à celles déjà prévues par la discipline ecclésiastique actuelle, mais en demandant de repartir de l’essentiel: d’une foi vécue et incarnée, d’un élan missionnaire renouvelé, fruit de la grâce. Autrement dit, il s’agit de laisser place à l’action de Dieu, et non à des stratégies de marketing ou des techniques de communication des influenceurs religieux.»

    Le cardinal Michael Czerny, en charge de la présentation officielle de cette exhortation à la presse ajoute: «Le Pape déclare dans son Exhortation que la question n’est pas une affaire de nombre, et qu’encourager une plus grande présence des prêtres ne serait pas suffisant. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle vie dans les communautés, un nouvel élan missionnaire, de nouveaux services assumés par des laïcs, une formation continue, de l’audace et de la créativité. Ce qu’il faut, c’est une présence locale de laïcs animés d’un esprit missionnaire, capables de représenter le visage authentique de l’Église amazonienne. Il semble ainsi nous indiquer que ce n’est que de cette manière que les vocations reviendront.»

    Ref. Le Pape ne se prononce pas pour l’ordination d’hommes mariés

    JPSC

     

  • Célibat des prêtres : le pape François a rendu justice au plaidoyer fervent de Benoît XVI et du Cardinal Sarah

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    papi.jpgLu sur le site de notre confrère « diakonos.be » :

    « Ce qui frappe le plus, dans l’exhortation apostolique post-synodale « Querida Amazonia » qui a été rendue publique aujourd’hui 12 février 2002, c’est son silence total sur la question la plus attendue et la plus controversée : celle de l’ordination d’hommes mariés.

    La parole « célibat » n’y figure même pas. Le Pape François souhaite bien que « la ministérialité se configure de telle manière qu’elle soit au service d’une plus grande fréquence de la célébration de l’Eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées » (n°86) ». Mais il répète (au n°88) que seul le prêtre ordonné peut célébrer l’eucharistie, absoudre les péchés et administrer l’onction des malades (parce qu’elle aussi est « intimement liée au pardon des péchés », note 129). Et il ne dit rien sur l’extension de l’ordination aux « viri probati ».

    Aucune nouveauté non plus pour les ministères féminins. « Si on leur donnait accès à l’Ordre sacré », écrit François au n°100, « cette vision nous conduirait à cléricaliser les femmes » et à « réduire notre compréhension de l’Église à des structures fonctionnelles ».

    La question qu’on se pose d’emblée à la lecture de « Querida Amazonia », c’est donc de savoir dans quelle mesure le livre-bombe du Pape émérite Benoît XVI et du cardinal Robert Sarah en défense du célibat des prêtres sorti mi-janvier a pu influencer l’exhortation, en particulier sur son silence concernant l’ordination d’hommes mariés.

    Dans ce but, il nous faut donner quelques informations supplémentaires par rapport aux articles que nous avions publiés à l’époque pour retracer ce qui s’était passé au cours des journées tumultueuses qui ont suivi la publication du livre.

    La séquence déjà connue des faits a été reconstituée par Settimo Cielo dans les trois « post scriptum » en bas de cet article datant du 13 janvier :

    > Encore dans le livre choc de Ratzinger et Sarah. Avec un compte rendu d’une nouvelle rencontre entre les deux

    Mais selon plusieurs sources indépendantes entre elles, Settimo Cielo a été successivement informé d’au moins quatre événements supplémentaires, d’une importance majeure.

    *

    Le premier s’est déroulé le matin du mercredi 15 janvier

    Pendant toute la journée du mardi 14, l’attaque menée par les courants radicaux contre le pape Ratzinger et le cardinal Sarah est allée crescendo de manière dévastatrice, alimentée dans les faits par les démentis à répétition du Préfet de la maison pontificale Georg Gänswein concernant la coresponsabilité du pape émérite dans la rédaction et dans la publication du livre, allant jusqu’à demander le retrait de sa signature. Et ce malgré la réplique du cardinal Sarah qui publié en vain la reconstruction précise et détaillée de la genèse du livre par ses deux auteurs.

    Donc, la matinée du mercredi 15 janvier, pendant que le pape François tenait son audience générale hebdomadaire et que Mgr Gänswein était assis à ses côtés dans la salle Paul VI, comme c’est l’usage, c’est-à-dire loin du monastère Mater Ecclesiae où réside le pape émérite dont il est le secrétaire, Benoît XVI a pris personnellement son téléphone pour appeler le cardinal Sarah d’abord chez lui, sans succès, et ensuite à son bureau, où le cardinal a répondu.

    Affligé, Benoît XVI a fait part au cardinal Sarah de toute sa solidarité. Il lui a confié qu’il ne parvenait pas à comprendre les raisons d’une agression à ce point violente et injuste. Et il a pleuré. Et le cardinal Sarah a pleuré également. Leur conversation téléphonique s’est terminée alors qu’ils étaient tous les deux en larmes.

    *

    Le second événement dont nous donnons l’information en primeur ici s’est passé pendant la rencontre entre le cardinal Sarah et le pape Ratzinger, dans la résidence de ce dernier, le soir du vendredi 17 janvier.

    Ce soir-là, le cardinal a fait référence à cette entrevue dans trois tweets dans lesquels il a confirmé que le pape émérite et lui-même étaient totalement sur la même ligne en ce qui concernait la publication du livre.

    Mais ce qu’il n’a pas dit, c’est qu’au cours de ce même entretien – qui s’est en réalité déroulé à deux moments distincts, d’abord à 17h et ensuite à 19h – Benoît XVI avait rédigé avec lui un communiqué concis qu’il avait l’intention de publier avec la signature du seul pape émérite, afin d’attester de la pleine harmonie entre les deux co-auteurs du livre et de demander que cessent toutes les polémiques.

    Afin que cette déclaration soit publiée, Mgr Gänswein a donc transmis le texte – dont Settimo Cielo est en possession et dans lequel on reconnaît clairement le style personnel, quasi autobiographique du pape Ratzinger – au substitut du secrétaire d’État, Mgr Edgar Peña Parra. Et il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que ce dernier en ait informé son supérieur direct, le cardinal Pietro Parolin, ainsi que le Pape François en personne.

    *

    Quoi qu’il en soit – et c’est la troisième information jusqu’ici inédite -, cette déclaration du pape émérite n’a jamais vu le jour. Mais elle a vraisemblablement été à l’origine de la décision de François de se passer, dès ce moment, de la présence visible du Préfet de la maison pontificale Gänswein à ses côtés.

    Sa dernière apparition publique remonte au matin de ce même vendredi 17 janvier, à l’occasion de la visite au Vatican du président de la République Démocratique du Congo. Après quoi, Mgr Gänswein n’est plus apparu aux côtés du pape, ni aux audiences générales du mercredi, ni aux visites officielles du vice-président américain Mike Pence, du président irakien Barham Salih et du président argentin Alberto Fernández.

    Aux yeux de François, la déclaration de Benoît XVI avait effectivement confirmé le manque de crédibilité des dénégations répétées de Mgr Gänswein à propos de la coresponsabilité du pape émérite dans la rédaction du livre.

    Pour le dire autrement, l’opposition du pape émérite à ce que son successeur cède aux courants radicaux sur le front du célibat ecclésiastique apparaissait purement et simplement, sans plus aucune atténuation.

    Et tout cela à quelques jours de la publication d’une exhortation post-synodale dans laquelle de nombreuses personnes à travers le monde s’attendaient à lire une ouverture de François à l’ordination d’hommes mariés.

    *

    En corollaire de tout cela, il faut également révéler le rôle joué par le cardinal Parolin dans cette affaire.

    En effet, le mercredi 22 janvier, quand l’éditeur Cantagalli a publié un communiqué concernant la sortie imminente du livre en Italie, avec des modifications mineures et marginales par rapport à l’original en français, on n’a pas dit que ce communiqué avait été au préalable relu et corrigé dans les moindres détails par le cardinal secrétaire d’État, qui en avait finalement vivement encouragé la publication.

    Un communiqué qui définit le livre du pape Ratzinger et du cardinal Sarah comme étant « un ouvrage d’une grande valeur théologique, biblique, spirituelle et humaine, assurée par l’envergure de ses auteurs et de leur volonté de mettre à la disposition de tous le fruit de leurs réflexions respectives, manifestant ainsi leur amour pour l’Église, pour Sa Sainteté le pape François et pour toute l’humanité ».

    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

    Ref. Le silence de François, les larmes de Ratzinger et sa déclaration jamais publiée

    JPSC