D'Edouard Husson sur Atlantico.fr :
Ce qui nous manque le plus chez le pape François : la capacité à incarner une figure paternelle
Le pape François a adressé son message "urbi et orbi" à Rome le mercredi 25 décembre. Mardi, il a célébré la messe de Noël en la basilique Saint-Pierre.
Tous les 22 décembre, le retour du Père Fouettard
Au Saint-Siège, il est un moment que l’on redoute désormais, quand l’on travaille à la Curie: celui du discours de Noël du pape François. Personne n’a oublié le 22 décembre 2014, lorsque le pape Bergoglio avait humilié le gouvernement de l’Eglise devant le monde entier en dénonçant ce qu’il appelait « les quinze maladies » de la Curie, énumérant, pêle-mêle: « le fantasme de l’immortalité »; le « marthalisme » ou « activité excessive » (en référence au passage de l’Evangile où le Christ loue l’esprit de contemplation de Marie-Madeleine, aux dépens de sa soeur Marthe); la « pétrification mentale et spirituelle »; la « planification excessive »; la « mauvaise coordination »; « l’Alzheimer spirituelle »; la « rivalité et la vanité »; la « schizophrénie existentielle »; la rumeur, la médisance et le commérage; la maladie de diviniser les chefs; l’indifférence aux autres; le « visage lugubre »; l’accumulation; les « cercles fermés »; la maladie du profit mondain et des exhibitionnismes. Relue à froid, cette liste provoque un effet comique, tant elle est fourre-tout, mélangeant des notions psychiatriques, des termes de l’analyse des moralistes classiques, des mots de la vie quotidienne et des inventions verbales du pape. Mais les collaborateurs du Saint-Siège étaient repartis consternés quand ils n’étaient pas terrifiés. Deux ans plus tard, le pape avait été apparemment plus sobre dans les propos mais non moins inquiétant pour ses auditeurs, lorsqu’il avait dénoncé trois types de résistances à la réforme de la Curie: résistances ouvertes, « naissant souvent de la bonne volonté »; résistances cachées, naissant de « coeurs effrayés ou pétrifiés »; résistances malveillantes, se réfugiant « dans les traditions, dans les apparences, dans les formalités ». En 2017, le pape avait dénoncé les « traitres » au sein de la Curie et comparé son effort de réforme à la tentative de «nettoyer le sphinx d’Egypte avec une brosse à dents ».
Si le pape actuel n’avait pas, selon un postulat a priori, aussi bonne presse dans les milieux intellectuels occidentaux ou dans les médias, cela fait longtemps que des psychanalystes auraient dû s’interroger sur la fascination du Saint-Père pour le personnage du Père Fouettard. Noël, plus grand fête chrétienne après Pâques, est traditionnellement un temps de paix et de réconciliation. C’est le moment des retrouvailles familiales - or, loin de se comporter en bon papa des fidèles et en protecteur bienveillant de la Curie, François aime morigéner. L’édition 2019 n’a pas manqué à ce qu’on ose pas appeler sans risquer d’être ironique concernant Bergoglio, la tradition. Peut-être certains auront-ils trouvé le contenu plus modéré que les années précédentes. Disons que la critique s’adresse cette fois-ci à l’Eglise dans son ensemble: citant la dernière entrevue médiatique, accordée en août 2012, par le Cardinal Martini (au Corriere della Sera) peu avant sa mort, François a reproché à l’institution qu’il dirige, d’avoir « deux-cents ans de retard ».
Conflit de générations
Quand on s’interroge sur le fil directeur du discours, on voit bien certains des thèmes habituels du pontificat: comme si ses prédécesseurs n’en avaient pas pris acte, le souverain pontife martèle, que l’Eglise doit comprendre que la « chrétienté », c’est-à-dire une société imprégnée de christianisme, appartient au passé: non seulement le christianisme n’est plus la référence centrale de la plupart des sociétés mais les chrétiens sont désormais souvent marginalisés. D’autres ont l’initiative des débats culturels, des définitions de valeur etc....Or, selon François, l’Eglise n’arrive pas à s’adapter, elle n’accepte pas le changement. Elle est paralysée: « Il faut mettre ici en garde », a-t-il expliqué le 22 décembre 2019, « contre la tentation de prendre une attitude de rigidité. La rigidité qui nait de la peur du changement et qui finit par disséminer des piquets et des obstacles sur le terrain du bien commun, en le transformant en champ miné d’incommunicabilité et de haine. Rappelons-nous toujours que derrière toute rigidité se trouve un certain déséquilibre. La rigidité et le déséquilibre s’alimentent mutuellement dans un cercle vicieux. Et aujourd’hui, cette tentation de rigidité est devenue trop actuelle ».
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