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Idées - Page 41

  • "Damnatio Memoriae"

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    D’un lynchage symbolique à un autre, le directeur du Figaro Histoire, Michel de Jaeghere,  met en garde contre l’autolâtrie de l’époque, qui conduit à jeter l’opprobre sur notre propre histoire :

    Léopold II chahuté à Bruxelles

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    Leopold II Ngaliema DSC09198.jpg

    ...mais paisiblement demeuré à Kinshasa

    «Quelle joie de jeter à terre ces visages superbes, de courir dessus le fer à la main, de les briser avec la hache, comme si ces visages eussent été sensibles et que chaque coup eût fait jaillir le sang.» Ainsi parle Pline le Jeune, évoquant dans son Panégyrique de Trajan l’enthousiasme et la fièvre avec lesquels le Sénat et le peuple romain avaient, au lendemain de son assassinat, détruit les effigies de marbre de l’empereur Domitien.

    La damnatio memoriae était apparue au début du Ier siècle: elle visait à bannir du souvenir des hommes, post mortem, ceux qui s’étaient rendus coupables de haute trahison. Soupçonné d’avoir comploté contre Tibère, Marcus Scribonius Libo Drusus avait cru se tirer d’affaire en se plongeant lui-même une épée dans le ventre. On avait interdit à sa famille d’utiliser à l’avenir le surnom de Drusus, de même que de porter ses images lors des funérailles gentilices. À la mort de Caligula, ses actes furent cassés par le Sénat tandis qu’on enlevait, de nuit, ses statues des rues de la Ville. Déclaré ennemi public, Néron eut droit, après son suicide, à un enterrement grandiose. Mais on changea le visage du colosse qui ornait le vestibule de la Domus aurea pour remplacer les traits de l’empereur par ceux du Soleil. Son palais lui-même fut abandonné et devint, pour partie, une décharge.

    Avec Domitien, qui avait humilié l’aristocratie sénatoriale par ses pratiques de prince hellénistique, et dont elle avait organisé elle-même l’élimination, la damnatio memoriae allait prendre toute son ampleur. Les sénateurs avaient fait apporter à la Curie cordes, haches et échelles pour marteler les inscriptions et fracasser les statues. «Personne ne fut assez maître de ses transports et de sa joie tardive pour ne pas goûter une sorte de vengeance à contempler ces corps mutilés, ces membres mis en pièces ; à voir ces portraits menaçants et horribles jetés dans les flammes et réduits en fusion.»

    La damnatio memoriae est pour tous les autres un avertissement.

    Le procédé se révélerait efficace: le souvenir de Domitien est longtemps resté celui d’un tyran sanguinaire, quand rien ne justifie, dans les actes de son administration, qu’il figure au banc d’infamie parmi les douze Césars. Mais Pline nous fait voir aussi que le débordement de violence avait eu quelque chose d’un exutoire: la damnatio memoriae est un lynchage symbolique. Elle a une dimension cathartique pour ceux qui s’en prennent avec d’autant plus de hargne aux images d’un mort qu’ils n’avaient pas eu le courage de l’affronter vivant. Elle est pour tous les autres un avertissement. Elle les prévient de ce qui les attend s’ils s’inscrivent dans les traces de celui dont on a profané l’image. Après leur mort, ou même dès avant: l’année qui suivit le martelage des statues de Néron, les prétoriens ne se contentèrent pas d’assassiner l’empereur Galba, qui lui avait succédé et qui avait entrepris de rétablir la discipline militaire. Ils s’acharnèrent à lui couper bras et jambes, alors même que sa tête avait déjà roulé dans la poussière. L’empereur Vitellius fut traîné, après lui, les mains liées derrière le dos, sous les insultes, à travers les rues de Rome, tué à petit feu par les coups d’épée et les coups de lance tandis qu’on renversait ses statues sur son passage : «outragé mort, dit Tacite, avec la même bassesse qu’il avait été adoré vivant»

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  • L'Occident condamné à disparaître ?

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    C'est semble-t-il, le sentiment de Michel Onfray dont l'analyse est loin d'être dépourvue d'intérêt :

    de Nicolas Clément sur Valeurs Actuelles via ce blog

    “L’Occident va disparaître” : Michel Onfray.

    29 juillet 2020

    “L’Occident va disparaître” : Onfray livre sa sombre vision du “monde d’après” sur Thinkerview

    – Le 17 juillet, Michel Onfray était l’invité de l’émission web Thinkerview. Pendant près de 2h30, il a longuement disserté sur l’actualité politique et la France de Macron. Parmi les thèmes abordés, celui du déclin de l’Occident. Retour sur les sombres prédictions du philosophe normand.

    Le 17 juillet, à la grande surprise de ses auditeurs, Sky, mystérieux fondateur du think-tank et de la web-tv Thinkerview, accueille Michel Onfray sur son plateau. Ce jour-là, l’auteur de Décadence semble décontracté, chemise blanche sur fond noir, à l’abri des interruptions permanentes et du temps court des plateaux de télévision. Après s’être étrillés publiquement sur les réseaux sociaux en 2019, à la suite des multiples refus du philosophe normand d’apparaître dans l’émission, les deux hommes se sont enfin réconciliés.

    Déchristianisation, la fin d’un cycle civilisationnel

    Pour une fois, Onfray a tout le loisir d’exposer ses thèses en détail. Installé dans la pénombre du plateau, le post-anarchiste fait face au redoutable présentateur anonyme, Sky, réputé pour son ton offensif. Dans les premières minutes de l’émission, une question mène le philosophe à s’interroger sur la décadence de la civilisation européenne, un de ses thèmes favoris.

    Au début son intervention, Onfray commence par rappeler une première évidence : « Il faut mettre l’Europe en relation avec le judéo-christianisme, ce qui rend possible l’Occident. » Fait rare pour un homme de gauche, ce dernier ne décrit pas la Révolution française comme la seule et unique genèse de l’Occident moderne. Pour autant, Michel Onfray ne pousse l’originalité jusqu’à épouser un quelconque discours conservateur. Sans plus tarder, ce dernier renoue avec son nietzschéisme de toujours et énonce ce qui lui semble être une seconde évidence : la mort de Dieu.

    Ce qui fait le fond de notre civilisation est épuisé.

    Sur un ton plus calme que d’habitude, le philosophe s’explique : « Le christianisme ne fonctionne plus chez les chrétiens : ils ne croient plus au purgatoire, à l’enfer, à la parousie, à Satan, à l’eucharistie, à la virginité de Marie… » Il poursuit : « Tout ce qui était dogmatique, tout ce qui supposait une foi a disparu. »

    Pour étayer son propos, le cofondateur de Front populaire, revue souverainiste parue pour la première fois cet été, envoie une pique aux admirateurs du pape François, figure qu’il semble ériger en symbole du désert spirituel européen : « On a un pape qui est un boy-scout, qui nous dit qu’il “faut aimer ceci ou aimer cela“, “sauver la planète”… (…) C’est Greta Thunberg sans la transcendance. » Non content d’avoir lancé cette dernière saillie, l’habitué des polémiques termine sur une note plus grave encore : « Ce qui fait le fond de notre civilisation est épuisé. »

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  • Pire que les nouveaux extrémistes progressistes : les idiots utiles qui leur ouvrent les portes

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    Institut Catholique de Paris

    Lu sur Atlantico :

    Alerte à l’aliénation idéologique : pire que les nouveaux extrémistes progressistes, les idiots utiles qui leur ouvrent les portes

    Le cas d'Alice Coffin, militante et professeur de journalisme à l'Institut Catholique de Paris, est l'un des derniers exemples de l'aliénation idéologique. Le danger ne vient pas des militants radicaux eux-mêmes mais de ceux qui leur ouvrent les portes.

    28 juillet 2020

    Avec Edouard Husson

    Atlantico.fr : Alice Coffin, militante LGBTQ et professeure de journalisme à l'institut catholique de Paris, une association incongrue dont on ne doutait pas l’existence pourtant l'honorable institution lui a ouvert les portes. Comme l'institut peut-il confier des cours à une personne à l'opposé des valeurs qu'il est censé porter ?

    Edouard Husson : Vous êtes sur une pente dangereuse: vous féminisez d’emblée « professeur » alors qu’il s’agit d’un métier qui a été exercé et d’un titre, qui a été porté pendant longtemps par des femmes sans que celles-ci ressentent le besoin de féminiser le mot lui-même. L’habit ne fait pas le moine. Jacqueline de Romilly ou Hannah Arendt n’avaient pas besoin de se faire appeler « professeure ». Le manque de vigilance face au nominalisme et à l’idéologie est omniprésent. Alors, évidemment, vous proposez un exemple énorme: la bonne vieille université catholique de Paris, qui laisse enseigner en son sein une personne dont les opinions sont totalement incompatibles avec le catholicisme, cela va sans dire, mais aussi ce rationalisme intégral, comme l’appelait Tresmontant, que l’Eglise catholique a su défendre pendant vingt siècles. Car la question n’est pas le « choc des valeurs » mais de garder la possibilité d’un espace de libre débat et d’argumentation rationnelle, dans le respect du réel. René Girard a résumé d’une formule la dynamique du christianisme: « C’est à partir du moment où l’on a arrêté de brûler les sorcières qu’on s’est mis à faire de la science » et non le contraire. Le christianisme permet la fin des boucs émissaires et l’avènement de la raison. Les idéologies modernes, depuis les Lumières, nous ramènent les boucs émissaires et se finissent en totalitarismes. Alice Coffin fait des hommes, des pères, les bouc émissaires de tous les maux sociaux, tels qu’elle les ressent. Alors comment une institution telle que « la Catho » peut-elle laisser recruter en son sein une militante fanatique de l’idéologie du genre? Il y a certainement une composante « catho »  sur le mode « vouloir se déniaiser à tout prix », il y a la mode, la peur de ne pas être de son temps, la peur, tout court; il y a une conception dévoyée de la liberté, la volonté de prouver que, comme chrétien, on est les plus inclusifs; il y a une façon de singer le Christ, qui mangeait à la table des pécheurs - pardon, des marginaux porteurs d’une expérience de vie atypique -, mais en dévoyant son enseignement puisque lui voulait la conversion, le changement de vie, le retour au réel, la fin des chasses aux sorcières. Cela dit, l’institut catholique n’est pas seul et ce qu’il faut reprocher aux catholiques, c’est de ne pas se distinguer dans cette époque de crise - René Girard aurait été frappé par l’accélération des emballements mimétiques et la multiplication des boucs émissaires. 

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  • Covid19 : le retour de la fatalité ?

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    De Jérôme Poignon sur le site « Boulevard Voltaire » : 

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    Tremblements de terre, raz-de-marée, ouragans : catastrophes naturelles normales parce que naturelles. Elles possèdent à chaque fois un périmètre et l’on sait leur durée. Mais aujourd’hui, un danger mortel investit durablement toute la Terre.

    De même qu’il y a cent ans, nous sommes impuissants devant un mal souverain – opportunément « couronné » – qui nous plonge dans la sidération, l’hystérie et le dénuement. Pourtant, c’est une catastrophe naturelle, elle aussi. Car il est inutile de savoir qui a vendu au marché un pangolin suspect ou qui a laissé une fenêtre ouverte dans un mystérieux laboratoire P4 : le marchand chinois ignore sa bévue et le laborantin négligent est couvert par le secret défense… L’ignorant et l’apprenti sorcier ploient ensemble maintenant sous un virus létal disséminé et invaincu depuis des mois.

    L’ubiquité du danger souligne douloureusement l’adversité essentielle de notre environnement. Tout notre labeur ne vise qu’à lutter, au moins pour survivre et au mieux pour aspirer à un éden mythique. Mais la nature n’est toujours que partiellement comprise et maîtrisée : on ne peut saisir intégralement que sa propre création et, en fait, nous ne créons rien de matériel. Notre génie scientifique est limité à l’observation et l’assemblage des éléments qui nous entourent et de ceux qui nous composent. Les savants poussent des frontières mais ne peuvent les traverser ; l’art seul permet d’entrevoir l’autre côté du miroir.

    Puisque être dans la nature, c’est être aussi de la nature, l’instabilité de cette dernière est consubstantielle à notre condition et le destin du puissant n’est pas plus assuré que celui du manant. De même que la tuile qui tombe du toit ne choisit pas sa cible, de même nul ne peut savoir « ni le jour ni l’heure ». 

    C’est bien un appel à l’humilité qu’inspire la tragédie : humilité à l’égard de la nature et compassion des uns envers les autres pour les vies arrachées. Mais après les bacchanales médiatiques, sportives et politiques célébrant une mobilité retrouvée, l’égoïsme, l’arrogance et la rancœur surgiront d’autant plus violemment que les suites du grand bond en arrière seront dures à supporter.

    Pour traverser les épreuves, les poètes et les artistes sont des soutiens lumineux : leurs chefs-d’œuvre renvoient parfois du monde une image décalée. Or, voir différemment, c’est sans doute voir autre chose »…

    Ref. Covid19 : le retour de la fatalité ?

    La vie en ce monde passe comme le songe d’une nuit d’été ou plutôt, selon le mot abrupt de sainte Thérèse d’Avila, comme une mauvaise nuit dans un mauvais lieu où la fatalité finit toujours par l’emporter sur la liberté. L’espérance n’est pas pour ce monde mais en l’autre. Un virus minuscule nous le rappelle. En exergue de l'avis mortuaire d'une personne proche décédée ce mois-ci, je trouve cette citation de Newmann qui exprime plus élégamment la même chose: " Ex umbris et imaginibus in veritatem", "loin des interrogations et des discussions stériles, enfin dans la vérité". 

    JPSC

  • Voyage dans la France éternelle : et, soudain, c’est la révélation…

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    Lu sur le site web « Boulevard Voltaire » :

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    "Cette période estivale et la Providence se sont unies pour me faire voyager en curieux tout autant qu’en pèlerin dans une quarantaine de petits villages de divers départements du Massif central. Cette expérience banale fut une véritable révélation.

    Car au cœur de tous ces villages, on retrouve les mêmes signes de notre civilisation moribonde : la mairie en sursis à l’heure des communautés de communes, l’école en général abandonnée, le souvenir du café dont on peine à lire l’enseigne sur la façade décrépite, le monument aux morts de la Grande Guerre, un grand crucifix plus ou moins bien entretenu, une statue de la Vierge aux pieds de laquelle une âme pieuse vient parfois encore planter quelques roses et une modeste mais élégante église, romane ou néogothique.

    Souvent, cette église est fermée, mais parfois, un fidèle ancien qui en détient les clés prend la peine de l’ouvrir chaque jour, de l’entretenir et de la fermer chaque soir. À l’intérieur, c’est toujours la même litanie : deux ou trois crucifix supplémentaires, une ou deux statues de Marie accompagnées d’un qualificatif : Notre-Dame de Bonsecours, Notre-Dame de Tout Pouvoir, Notre-Dame de la Miséricorde, etc., une statue de Jeanne d’Arc, une du curé d’Ars, une de sainte Thérèse, une de saint Michel et, selon la tradition locale, de l’un ou l’autre de leurs acolytes.

    Eh bien, tout cela résume à merveille ce qu’est la France. La France est catholique au plus profond de ses entrailles, héroïque parfois, conviviale presque toujours et révolutionnaire autant par amour de la liberté que par naïveté.

    En général, je me trouvais seul dans ces sanctuaires témoins, mais une fois, dans une de ces églises où l’on expose encore le Saint-Sacrement, nous fûmes trois : une vieille femme, moi et une jeune Black ; la France d’hier, la France d’aujourd’hui et, peut-être, la France de demain.

    Et quoique je sois fort admiratif de l’engagement et du courage des jeunes identitaires, j’ai acquis là la conviction que les catholiques africains sont plus légitimes à recevoir l’héritage de la France éternelle que les Gaulois sans foi.

     F. Falcon "

    Ref. Voyage dans la France éternelle : et, soudain, c’est la révélation…

    Le qualificatif « identitaire » est mal perçu dans le milieu clérical conciliaire issu de Vatican II : une profession de foi axée sur un système idéologique en assèche les racines. Mais une tentation de ce type n’est pas l’apanage des catholiques maurassiens d’autrefois. Dans ce type de démarche intellectuelle, un certain « esprit du concile » n’a rien à leur envier.

    La chrétienté occidentale, ou ce qu’il en reste, est aujourd’hui victime d’une asphyxie généralisée alors que, pour un Africain demeuré indemne du virus de la crise de la conscience européenne, il fait encore tout simplement Dieu comme il fait soleil : un soleil qui éclaire l’éveil naturel de la raison et du coeur à la parole divine.

    S’il n’est pas étouffé entretemps par les manipulations, les ronces et les épines de la post-modernité ambiante, cet enracinement charnel de la foi des immigrés venus de l’Afrique sub-saharienne peut devenir un apport vivifiant pour le christianisme, en Europe et ailleurs : un thème pour Vatican III ?  

    JPSC  

  • La canonisation de Charles de Foucauld serait-elle un déni d’histoire ?

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    Le journal « Le Monde » offre une tribune complaisante à la contestation  de « l’ermite du Hoggar » :

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    " Déclaré vénérable en avril 2001, puis béatifié en 2005, Charles de Foucauld (1858-1916) sera prochainement canonisé après l’autorisation donnée le 26 mai par le pape à la publication de huit décrets de la Congrégation pour les causes des saints. L’un d’eux attribue un miracle à Charles de Foucauld : l’opération réussie, en novembre 2016, d’un jeune charpentier qui avait fait une chute de quinze mètres sur le chantier de restauration de la chapelle de l’établissement scolaire Saint-Louis, à Saumur.

    Un premier miracle imputé à l’intercession de Charles de Foucauld, celui d’une Italienne de Milan guérie en 1984 d’un cancer des os, avait été versé au dossier de sa béatification de 2005. La reconnaissance du second à Saumur ouvre la voie à sa canonisation.

    Lire aussi  Le Père Charles de Foucauld béatifié à Rome

    Celle-ci va inévitablement relancer le débat sur la complexité de l’œuvre politique et religieuse du prêtre. Etabli en 1905 à Tamanrasset, Foucauld installe son ermitage dans le Sahara algérien où il partage le mode de vie des Touareg, jusqu’à son assassinat en 1916. Depuis lors, il est magnifié par certains comme un « martyr » qui a dévoué sa vie à l’Absolu et à la paix entre les hommes (Jean-François Six, 2000), certains le qualifiant même d’« extraordinaire explorateur pénitent » (Bénédicte Durant, 2012).

    Les traumatismes de la colonisation

    Cependant, cette image d’exemplarité évangélique apparaît contestable pour d’autres, qui rappellent les profondes convictions nationalistes et colonialistes de cet ermite saharien, défenseur d’une guerre totale contre l’Allemagne lors de la Grande Guerre (Jean-Marie Muller, 2002). De plus, certains universitaires dénoncent son implication directe dans les opérations militaires coloniales contre les tribus rebelles (Hèlène Claudot-Hawad, 2002) et pour ses idées en faveur d’une désorganisation des structures sociopolitiques touareg (André Bourgeot, 2014).

    Qui est réellement Charles de Foucauld ? Comment sa future canonisation est vue depuis l’Afrique alors que les traumatismes de la colonisation affectent encore les sociétés touareg ? En quoi cette sanctification apparaît dissonante dans un contexte de remise en cause des figures colonialistes, cinq ans après la canonisation controversée de Junipero Serra (1713-1784) aux Etats-Unis d’Amérique ?

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  • Chantal Delsol : le crépuscule de l’universel

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    Lu sur le site web du mensuel « La Nef » :

    Le-crepuscule-de-l-universel.jpg« Chantal Delsol, bien connue de nos lecteurs, a publié Le crépuscule de l’universel, essai remarquable dont elle nous parle ici. Entretien :

    La Nef – Comment expliquez-vous que la culture occidentale soit la seule à avoir eu une prétention universelle ?

    Chantal Delsol – Cela vient du monothéisme juif et chrétien, et plus fondamentalement de l’apparition de l’idée de vérité. Les autres cultures étaient fondées sur des mythes, qui sont idiosyncrasiques, c’est-à-dire valables seulement pour la culture qui les abrite. Les cultures précédentes avaient des dieux multiples, attachés à des villes ou à des régions précises. La croyance en un Dieu unique et réel – considéré comme une vérité et non comme un récit ou mythe – engage l’idée d’universel. Une vérité est pour tout le monde, ou n’existe pas. Plus tard, l’universalisme s’est étendu aux droits de l’homme, considérés comme une vérité morale valable pour tous les humains. Depuis l’avènement du monothéisme, l’universalisme est notre mode de pensée. C’est ce qui explique que la science se soit développée en Occident.

    Vous montrez comment cette prétention est aujourd’hui combattue, notamment par la Chine, la Russie, les pays musulmans, et en même temps vous reconnaissez qu’il existe un « effet cliquet » qui fait qu’en matière d’émancipation on revient rarement en arrière : comment alors espérer revenir sur les dérives de la postmodernité, notamment en matière anthropologique ?

    Il y a deux questions dans votre question.

    Cette prétention universaliste est en effet vivement combattue aujourd’hui par plusieurs cultures, ce qui ne signifie pas que nous allons revenir en arrière, mais que le monde se trouve dès lors séparé entre ceux qui acceptent la modernité occidentale, et les autres. Il me semble, plutôt que de parler comme l’avait fait Huntington de conflit de civilisations, de voir là un débat entre l’individualisme et le holisme. D’autant que ce débat existe aussi au sein même de l’Occident (Trump versus Clinton, Orban versus Macron).

    Oui je crois qu’il y a un effet cliquet. Je ne crois pas du tout que nous pourrons en France revenir à l’interdiction des études supérieures aux femmes. Ou bien recommencer à penser que pour les hommes toute femme est une forme de gibier. Personnellement je n’y crois pas, à moins évidemment que nous soyons occupés par une autre culture, différente. Je crois que les véritables dérives anthropologiques sont rares : par exemple, le mariage entre deux personnes du même sexe en est une (ne serait-ce qu’en raison du nom qui a été donné : « mariage » qui est une violation voulue des significations). Dans ces cas-là, oui je crois que nous reviendrons dessus, et même qu’il pourra y avoir des « repentances ».

    Vous expliquez très clairement les paradigmes qui s’opposent entre, d’un côté, l’universalisme occidental qui joue sur l’émancipation en s’appuyant sur l’individualisme et le cosmopolitisme, et, d’un autre côté, les cultures plus holistes qui pensent que la liberté a besoin de limites (responsabilité) et l’homme besoin d’enracinement ; l’Union européenne est l’archétype du premier paradigme et ne semble pas prête de vouloir en changer : une évolution vous semble-t-elle cependant possible, et comment ?

    C’est la raison de mon intérêt de vieille date pour les sociétés d’Europe centrale. Elles sont plus raisonnables que nous sur bien des points, parce qu’elles ont souffert, parce qu’elles n’ont pas vu passer les Trente Glorieuses qui nous ont gâtés, parce qu’elles sont souvent plus spirituelles que nous. J’espère beaucoup qu’elles contribueront à modérer les bacchanales individualistes de l’Europe institutionnelle…

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  • Une idolâtrie de la préservation de la vie ?

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    De Bosco d'Otreppe sur le site de la Libre :

    Pourquoi le coronavirus suscite-t-il notre effroi ?

    Olivier Rey consacre à cette question "L’Idolâtrie de la vie", son dernier essai aux réflexions vertigineuses.

    Qu’est-ce qui a changé ? Durant des siècles en France, de graves famines ne suscitèrent tout au plus que quelques émeutes locales. Personne, jusqu’au XVIIe, ne songeait à vilipender le roi, bien impuissant face aux grêles, aux gels ou aux sécheresses. Dès le XVIIIe pourtant, des périodes de disettes, moins importantes que les précédentes, participèrent à enflammer une Révolution et à renverser le pouvoir. Pourquoi ?

    La différence, explique le philosophe français Olivier Rey, tient à la politique des rois qui, dès Louis XIV, envoyèrent leurs administrations sillonner le pays pour établir des "états d’apparence", estimer les récoltes et organiser les importations nécessaires pour atténuer les famines. Or, un des résultats de cette politique "fut le développement d’une nouvelle tendance dans l’opinion : une propension à considérer qu’un défaut de subsistance était imputable au gouvernement."

    Il en va ainsi, observe Olivier Rey : "Plus le pouvoir central porte secours aux citoyens, plus ceux-ci sont enclins à lui reprocher les maux dont ils souffrent." Sans blanchir les gouvernements, le philosophe constate que les réactions suscitées par l’épidémie de coronavirus ont donné de cette tendance dans l’opinion "une illustration spectaculaire". Sans doute n’est-ce pas un hasard, à une époque qui nous a habitués à dépendre de systèmes qui nous dépassent, et sur lesquels nous n’avons aucune emprise, pour subvenir à chaque aspect de nos vies (se nourrir, se soigner, se vêtir, se déplacer…).

    Que devient la mort ?

    Est-ce pour cela que cette pandémie, qui en des temps précédents n’aurait sans doute engendré qu’une "vaguelette" dans l’opinion (qui se souvient de la grippe de Hong Kong en 1969 ?), y a pris des dimensions de "tsunami planétaire" ? C’est la première hypothèse du philosophe. Mais l’auteur va plus loin.

    Jusqu’il y a peu, "en tant qu’il commande un respect absolu, le sacré se trouvait placé au-dessus de la vie - ce pourquoi il pouvait, le cas échéant, réclamer le sacrifice de la vie." Mais avec la sécularisation de la société, la vie ne s’est plus inscrite dans des perspectives, religieuses ou non, qui la dépassent ou lui donnent sens : elle a pris elle-même la place du sacré. Et pas n’importe quelle "vie". La vie telle que considérée aujourd’hui n’est plus "l’union de l’âme et du corps" (comme la définissaient les dictionnaires du XVIIIe), mais la "vie-nue", c’est-à-dire la vie organique, matérielle, biologique, "réduite au simple fait d’être en vie".

    Or, si les gouvernants doivent sauver des vies (car la lutte contre la mort est au fondement de leur légitimité), c’est cette vie biologique qu’ils doivent assurer. Ce qui vient en surcroît de cette "vie-nue" a donc été mis entre parenthèses durant l’épidémie. Pensons simplement aux cérémonies funéraires - signes pourtant de notre humanité - qui furent jugées "non essentielles", souligne Olivier Rey.

    Cette forme "d’idolâtrie" qui s’est développée autour de la préservation de la vie organique se marque dans tous les enjeux de notre temps, insiste l’auteur. Il suffit de penser aux avancées technologiques. Quand il s’agit de s’opposer au développement de la 5G ou de l’intelligence artificielle par exemple, les seuls arguments qui valent sont d’ordre sanitaire : ces dispositifs sont-ils dangereux pour la santé ? Au cœur du débat on ne retrouve plus la question de savoir si le bien commun et le tissu communautaire nécessitent ces avancées, ni si elles permettront de faire fructifier les vies humaines.

    Mais le fil que tire Olivier Rey est plus long encore. Car s’il n’y a plus que le fait d’être en bonne santé qui compte, que vaut encore la vie ? Et que devient la mort ? La fin de tout, avance l’auteur, "avec laquelle aucun rite ne permet [plus] de composer". La mort devient une épouvante qu’il faut refouler, effacer, retarder, quitte à abdiquer pour ce faire nos libertés fondamentales. "Nous voilà reconduits à la situation décrite par Hobbes, où l’individu accepte de se soumettre au pouvoir absolu du Léviathan en échange de la protection que celui-ci est censé lui assurer contre la mort. La façon dont l’épidémie de coronavirus [est] devenue le sujet à peu près unique de préoccupation […], et la facilité avec laquelle les citoyens ont abdiqué leur liberté d’aller et venir au nom d’arguments sanitaires, sont à cet égard éloquentes."

    Comment sortir de cette sujétion, abandonner notre condition "de dépendants à prétention d’indépendance" ? Le chemin sera long, laisse entendre Olivier Rey qui ne remet pas en cause la nécessité d’un confinement, mais interroge à sa lumière la conception que nous avons de la vie. Il nous faudra réapprendre "à compter sur nous-mêmes", "accepter de laisser certains maux sans remède" et cultiver, à nouveau, "un certain art de souffrir et de mourir". Là serait le prix d’une vie pleinement humaine.

    Lire également : http://www.genethique.org/fr/bibliographie

  • Le chanoine Lemaître, le Big Bang, le rapport entre la science et la foi... : le Professeur Dominique Lambert répond à nos questions

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    Pour Belgicatho, le Professeur Dominique Lambert a répondu aux questions relatives au chanoine Lemaître et à la thématique des relations entre la science et la foi que lui a posées notre ami Ludovic Werpin : 

    Jeudi 16 juillet 2020

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    Professeur Dominique Lambert, Université de Namur

    Professeur, pour commencer, pourriez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours académique et nous dire ce qui vous passionne encore aujourd’hui dans la physique et en philosophie ?

    J’ai suivi un parcours d’études en physique avec une spécialité en physique mathématique qui a débouché sur un doctorat en physique. En parallèle j’ai commencé des études en philosophies et j’ai rédigé une thèse en philosophie. Ce qui me passionne ce sont les ponts entre les disciplines, les transferts de concepts et d’intuitions d’un domaine à l’autre. Je me suis beaucoup intéressé à la question de l’origine de l’efficacité des mathématiques en physique mais aussi en biologie, mais aussi aux raisons pour lesquelles, dans certains domaines (sciences humaines par exemple) les mathématiques n’ont pas les mêmes performances qu’en physique ! Un autre domaine qui m’intéresse en philosophie est l’éthique. J’ai été amené à travailler sur les questions éthiques suscitées par l’utilisation de robots autonomes et d’algorithmes censés remplacer l’humain dans des prises de décisions cruciales. Mon travail sur la portée et les limites des algorithmes dans le domaine de la décision éthique et juridique rejoint d’ailleurs la question de l’efficacité ou de l’inefficacité des mathématiques dans les domaines spécifiquement humains. 

    En 1927 étaient réunis à Bruxelles, entre autres, Auguste Picard, Théophile de Donder, Schrödinger, Pauli, Heisenberg, Dirac, Louis de Broglie, Niels Bohr, Max Planck, Marie Curie, Langevin et bien sûr Einstein. Est-ce que la physique reste aussi stimulante en 2020 qu’elle a pu l’être dans les trente premières années du XXème siècle, à l’époque des congrès Solvay ?

    Bien entendu ! La recherche reste passionnante non seulement dans les domaines très fondamentaux comme la recherche d’une théorie quantique de la gravitation (qui unifierait les descriptions cosmologiques et microscopiques de la nature) mais aussi dans des domaines comme les ordinateurs quantiques, la biophysique, la physique du solide, etc.

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    Photo Congrès Solvay 1927

    Jadis quasi tous les savants étaient croyants. Newton disait : « L’incomparable disposition et harmonie de l’univers, tout cela n’a pu se faire que selon les plans d’un Être éternel doué de sagesse et de puissance ». Kepler, Copernic, Linné, Mendel, Volta, Ampère, Marconi, Pasteur et tant d’autres étaient chrétiens… Cela a bien changé au XXème siècle.  Dirac, Schrödinger ou Niels Bohr, entre autres, étaient athées. Est-ce que cela a, selon vous, un rapport avec la nouvelle physique (physique quantique et relativité générale) ou cela s’inscrit-il plutôt dans le cadre plus large de l’évolution des mentalités et des croyances en Occident ?

    Non, cela n’a rien à voir avec la physique contemporaine. On peut trouver aujourd’hui des scientifiques de pointe qui sont croyants.

    Comme vous le dites la situation de la foi dans la communauté scientifique est plutôt liée à la sécularisation croissante de nos sociétés. Elle reflète un état d’esprit présent dans nos sociétés occidentales. Peut-être faut-il aussi distinguer les scientifiques qui se disent ouvertement athées et ceux qui sont agnostiques : je connais un certain nombre de scientifiques qui se disent agnostiques et qui revendiquent explicitement de ne pas être athées.

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  • Les paras belges en RDC : quand les révisionnistes réécrivent l’histoire au Musée de Tervueren

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    Lu sur le site web de « La Libre Afrique » :

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    Sept associations représentant d’anciens para-commandos et officiers ayant servi en Afrique se sont déclarées jeudi « particulièrement choquées » par la nouvelle présentation d’une des seize sculptures ornant la grande rotonde du Musée royal d’Afrique centrale (MRAC, alias AfricaMuseum) à Tervueren. Il s’agit de la sculpture « La Belgique apportant la sécurité au Congo » d’Arsène Matton représentant la Belgique protégeant dans les plis de son drapeau un homme et un enfant endormi. A cette statue, comme aux quinze autres, est maintenant superposé un voile semi-transparent sur lequel est imprimée une image post-coloniale censée créer « un choc visuel et sémantique, permettant une lecture nouvelle d’un lourd patrimoine ».

    L’image superposée à la statue représente un militaire en arme et est explicitée par le texte « Un para-commando belge à Stanleyville en 1964, lors de l’écrasement des rebelles Simba. L’indépendance formelle du Congo en 1960 est loin d’avoir sonné le glas des interventions étrangères ».

    C’est cette première phrase qui parait « particulièrement tendancieuse et offusquante », affirment sept associations dans une lettre ouverte adressée mercredi au directeur général du MRAC, Guido Gryseels, avec copie à la Première ministre Sophie Wilmès.

    Selon les signataires, cette phrase porte « atteinte à l’honneur des para-commandos belges de l’époque, pour la plupart de jeunes miliciens, soit l’émanation de la Nation ».

    La lettre ouverte rappelle que l’intervention des para-commandos belges au Congo – les opérations américano-belges « Dragon rouge » et « Dragon noir » qui ont permis de libérer des centaines d’otages aux mains de rebelles dans une large zone du Congo ex-belge, dont Stanleyville (aujourd’hui Kisangani) et Paulis (désormais Isiro) – s’est faite en plein accord entre les gouvernements belge et congolais. « Il s’agissait d’une opération humanitaire visant à sauver les otages aux mains des rebelles et dépourvue de tout objectif militaire. »

    Cette intervention humanitaire a permis de libérer 2.375 otages, alors que certains venaient d’être exécutés, et que malheureusement d’autres le seront encore par la suite.

    « C’est pour ces raisons, dont la vérité historique ne peut être mise en doute, que nous vous demandons de supprimer texte et image actuels de la statue +la Belgique apportant la sécurité au Congo+ », soulignent les associations, dont l’Amicale nationale para-commando.

    « Nous ne pouvons en aucun cas admettre que l’honneur de nos soldats dont beaucoup sont encore en vie et à qui feu le Roi Baudouin avait tenu à rendre un vibrant hommage, puisse être bafoué par un établissement scientifique fédéral », conclut la lettre.

    Ref.Les ex-para-commandos mécontents de changements à une statue du Musée de Tervueren 

    Alexandre Dumas violait allégrement l’histoire, sûr de lui faire de beaux enfants. Quand la politique se mêle à la science ce l’est moins :  de quels monstres va donc accoucher la commission parlementaire et ses commis scientifiques chargés de « réécrire » celle du Congo pour satisfaire l'idéologie anticoloniale ?

    Selon « La Libre Belgique » du vendredi 17 juillet, cette Commission, à peine instituée, a connu des premiers pas difficiles : « après un début marqué par un consensus général, la réalité a vite repris le dessus au moment de trancher certaines questions. Ainsi, l’épineuse question des experts chargés de réaliser un premier rapport n’a pas tardé à prendre une tournure politique, chacun accusant l’autre de mettre en avant des spécialistes de son bord ».

    Le député CDH Georges Dallemagne (membre de la commission sans voix délibérative) a exprimé sa crainte que le débat ne réduise le Congo aux membres de la diaspora émigrée et prenne finalement une tournure belgo-belge « alors que l’objectif initial est de tendre la main et de parvenir à une mémoire partagée ».

    Ces clivages ont surpris l’écolo Simon Moutquin dont le groupe politique assure (au titre de son expérience coloniale?) la présidence de cette commission. Mais sûrement pas Georges Dallemagne, qui, sauf erreur, est né au Congo. Sur la liste des membres de cette curieuse commission  il est vrai qu’on trouve aussi le député CD&V Jan Briers (jr), ancien directeur du Festival des Flandres, sans doute choisi pour son expérience du monde musical: il est bien connu qu’un peu de musique adoucit les mœurs.

    La palabre devrait s'échelonner tout au long de l'année à venir: pour reconnaître les responsabilités des uns et des autres et partager une mémoire belgo-congolaise réconciliée, vraiment ? 

    JPSC

  • Démontrer l'existence de Dieu ?

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    De Frédéric Guillaud sur le site de la Nef (archive février 2018) :

    La Creazione di Adamo di Michelangelo. Tra linguaggio artistico e ...

    Peut-on démontrer l’existence de Dieu ?

    Même si la question de l’existence de Dieu est peu abordée dans notre France laïque, elle reste une question centrale, lancinante, personne n’y échappe vraiment.

    Démontrer l’existence de Dieu ? Nous avons tous appris au Lycée que c’est impossible ! Pourquoi ? On ne nous l’a pas vraiment expliqué. Cela nous a plutôt été présenté comme un « acquis de la pensée moderne ». La simple évocation de la « Science » et du « Progrès » suffisait à nous impressionner… Mais alors, que faire de tous les grands métaphysiciens qui ont passé leur temps à prouver rationnellement l’existence d’une cause première ? Platon, Aristote, Plotin, Anselme, Thomas d’Aquin, Duns Scot, Descartes, Leibniz se seraient-ils tous trompés ? Nos professeurs auraient été bien en peine de le démontrer. L’essentiel était que la question soit écartée.

    Mais alors pourquoi ? Soyons clairs : il s’agissait moins d’une impossibilité logique que d’un interdit idéologique. En Europe, et particulièrement en France, la Modernité a eu besoin, pour émerger, de s’opposer à la religion, et de la chasser hors de l’espace public. Elle l’a fait manu militari, mais elle l’a aussi fait sur le plan intellectuel. Dans ce contexte, il convenait de considérer que la croyance en l’existence de Dieu (qui constitue le préambule de la foi religieuse proprement dite) ne relève pas du constat rationnel, mais du sentiment subjectif. Des goûts et des couleurs, en d’autres termes. L’enseignement philosophique, comme appareil idéologique d’État, s’est donc beaucoup consacré à accréditer l’impuissance de la raison dans les matières métaphysiques, en tenant pour acquis que les philosophes des « Lumières » (Hume-Kant) puis, plus tard, les philosophes du « Soupçon » (Nietzsche-Marx-Freud) avaient définitivement évacué la question.

    À partir des années 60, l’Église elle-même, dans sa pastorale, a semblé rallier le mouvement général, en abandonnant l’apologétique, c’est-à-dire la défense rationnellement argumentée de la crédibilité de la vraie religion. Saint Thomas d’Aquin a disparu des séminaires ; les vieux manuels ont été vendus au marché aux puces. Le fidéisme, c’est-à-dire l’attitude consistant à séparer complètement la foi de la raison, qui était jusqu’ici un trait typique du protestantisme, a fini par gagner le clergé – sans parler des fidèles. En contradiction formelle avec la doctrine la mieux établie.

    Mais, par un de ces détours dont la Providence est coutumière, la situation est en train de se retourner.

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  • La crise du coronavirus : rien ne sera plus comme avant ?

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    De Bernard Dumont in Revue « Catholica », n° 148 (juin 2020) :

    Couverture_148.jpg« La crise du coronavirus et, surtout, les réactions qu’elle a suscitées ont une grande valeur révélatrice. Il est incontestable que cette période aura constitué un moment important dans ce XXIe siècle déjà ouvert par le choc du 11 septembre 2001. Événement majeur annonçant l’accès à un gouvernement mondial, ou basculement dans le chaos achevant la décomposition postmoderne des sociétés ? Ou peut-être les deux à la fois ? Il est trop tôt pour trancher. Encore peut-on émettre quelques remarques et entrevoir la confirmation de certaines tendances qui ne manqueront pas de peser dans l’avenir. On ne nous en voudra pas de prendre pour appui principal le cas de la France, même si des faits comparables affectent la plus grande partie de la planète.

    L’urgence et l’exception

    L’expression « régime d’exception » se réfère immédiatement aux mesures de crise sortant de la légalité du temps ordinaire. Il serait plus approprié de parler de régime d’urgence, que les systèmes constitutionnels actuels prévoient tous sensiblement de la même manière, et pour lequel ils se sont d’ailleurs pour la plupart engagés à respecter des limites définies par un Pacte international[1]. Le pouvoir est alors concentré dans la direction de l’État (le pouvoir exécutif) et peut jouir de prérogatives spéciales, généralement après y avoir été autorisé par les représentants élus du peuple réputé souverain, avant de devoir rendre des comptes sur ses actions au terme d’une période courte mais renouvelable.

    Ainsi le recours à l’exception ne constitue pas en lui-même une forme choquante de violation des règles, encore moins une surprise, puisque la possibilité d’y recourir est prévue dans les textes et supposée connue de tous. Dans le principe, les contraintes sont régulières du point de vue formel, puisque l’urgence peut fonder la limitation des libertés habituellement reconnues en raison des risques, d’ordre sanitaire dans le cas concret. Autre est l’appréciation susceptible d’être portée sur le choix de telle et telle mesure, sur leur extension, leur proportion, leur généralisation abusive et la possibilité entrevue de leur maintien ultérieur lorsqu’il sera estimé que ces conditions d’urgence auront disparu [2]. Cela sans omettre le caractère discutable de certaines dispositions pratiques et de la manière brutale et simplificatrice de les mettre en œuvre. Il s’agit là d’un problème de décision d’opportunité plus que d’une question de non-conformité aux normes du régime constitutionnel, censées connues et consenties de tous.

    Le maintien sans nécessité obvie de certaines dispositions contraignantes au-delà de l’urgence est donc un vrai sujet de préoccupation : on se trouverait alors en présence d’une violation délibérée avec intention d’imposer un fait accompli, un changement de régime ne disant pas son nom, exécuté parallèlement au respect des règles formelles, nécessairement, dans un tel cas, avec la complicité de beaucoup d’acteurs théoriquement indépendants les uns des autres (juges, majorité parlementaire, autorités administratives, médias et instances supranationales). Le cas n’est certes pas inédit[3] et reste possible, même si les gouvernements devront répondre de leurs choix devant les partis de leurs propres majorités, eux-mêmes dépendants d’électeurs fortement perturbés. Cela du moins tant que la formalité « démocratique » demeurera intouchée.

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