Les mesures prises par les autorités publiques respectent-elles les droits et libertés fondamentales relatives aux cultes et à l’égalité devant la loi ?
Une note des professeurs Louis-Léon Christians (Université catholique de Louvain) et Adriaan Overbeeke (Université d’Anvers et Université libre d’Amsterdam) publiée par l’observatoire juridique du fait religieux en Belgique (U.C.L.) :
- Introduction – les Etats européens et les religions face à la pandémie du Covid-19
-1- Comme face à toute crise, lutter contre la contagion au Covid-19 et limiter le nombre de victimes appellent des mesures exceptionnelles dans tous les domaines de la vie sociale. Si l’urgence sanitaire est certaine, les mesures à prendre demeurent frappées d’une double incertitude en cascade : d’une part, une incertitude scientifique concernant leur efficacité et leur pertinence réelle, et d’autre part une incertitude quant à la proportionnalité qu’il s’agit de maintenir entre ces mesures et la protection des droits et libertés fondamentales[i]. Il en va de la sorte à l’égard des différents droits de l’homme, dont la liberté de religion et de conviction. Dans certains pays, aux Etats-Unis par exemple, des mouvements religieux, rejetant la légitimité des résultats de la recherche scientifique virologique, en appellent à des pratiques ne respectant aucune règle de confinement ni de prudence[ii]. Mais en général, on voit des acteurs religieux appeler au respect des consignes sanitaires, et engager leur vie pour assurer l’accompagnement spirituel des malades, des soignants et des familles[iii]. La liberté de culte, comme les autres, ouvre au pire comme au meilleur. Conformément au droit international, elle ne peut être limitée que selon ce qui est, entre autres, nécessaire (et pas simplement utile) et ce dans le cadre d’une démocratie.
-2- Au-delà de la tragédie des morts et de la dureté de la crise pour les malades et leurs familles, les soignants, et l’ensemble de la population, la crise du Covid-19 apparaît comme révélateur de bien des implicites paradoxaux de nos pratiques sociales. Ainsi, parmi d’autres, et sans vouloir faire de raccourcis trop faciles, les polémiques qui faisaient rage il y a quelques temps encore à propos du port du foulard islamique, ou du fait de se couvrir le visage ou encore à propos du refus de serrer une main par respect des convictions, prennent rétrospectivement des allures presque pathétiques [°]. Plus largement, au moment de soutenir les personnels soignants, on ne peut oublier non plus, surtout dans les régions fortement sécularisées, la question de l’accompagnement spirituel des désarrois et des souffrances.
-3- Les Etats, dont on a souligné le rôle essentiel et la responsabilité spécifique face aux incertitudes collectives, ont en main les mesures de politique sanitaire et leur proportionnalité. La variété des mesures nationales en Europe reste forte, à tout point de vue, y compris au regard des limitations relatives à la pratique religieuse. Une étude récente[iv] montre en tout cas qu’on ne décèle pas de lien entre le taux de sécularisation des pays et l’intensité des restrictions imposées aux cultes. L’aléa et la diversité des mesures permettront autant de bilans a posteriori. Enfin, l’Europe[v] est lente à trouver sa place de coordination. Face à ce cadre encore très incertain et très mouvant, on livre ici de premières réflexions sur les limitations des pratiques religieuses en droit belge anti-pandémique.