Une "petite feuille verte" publiée par Annie Laurent sur le site de l'association Clarifier :
PFV n°95 : les hérésies chrétiennes dans le Coran (1/3)
Les études savantes montrent cependant la nouveauté et l’originalité de l’islam naissant à cette époque – dit aussi « proto-islam » –, comme un des premiers mouvements millénaristes de l’Histoire. Inscrit dans le contexte biblique juif et chrétien de son époque, il y empruntait certes diverses interprétations marquées par les hérésies, notamment gnostiques, mais il s’est d’abord développé comme un mouvement apocalyptique. Le texte coranique, en particulier, en est toujours témoin.
UNE MULTITUDE D’HÉRÉSIES GNOSTIQUES ET MESSIANISTES
Dès le Ier siècle de l’histoire de l’Église, des hérésies sont apparues au sein des peuples christianisés du Levant.
Certaines se référaient à la gnose (du grec gnosis = connaissance). Face à la nouveauté du salut personnel en Jésus-Christ (la « vie » que Jésus dit donner à ceux qui suivent sa « voie ») annoncé par l’Église, les mouvements gnostiques (gnosticisme) émergèrent en prétendant proposer une autre forme de salut personnel, sans le Christ mais par l’accession à un ensemble de connaissances, de sciences relatives aux mystères divins. Ils contestaient donc l’enseignement chrétien sur la personne de Jésus, son lien avec Dieu, sa mission salvifique et la destinée de l’homme.
L’apôtre saint Jean y fait allusion dans sa deuxième épître : « C’est que beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus-Christ venu dans la chair ; voilà bien le Séducteur, l’Antichrist » (2 Jn 7).
« Pour les gnostiques, l’incarnation du Fils de Dieu était impossible étant donné que la matière est destinée à être détruite ; la chair ne peut donc pas être susceptible de salut », écrivait saint Irénée (né à Smyrne en 140, il mourut en 202 à Lyon, dont il était l’évêque), le premier à donner l’alerte dans son œuvre Adversus haereses (Contre les hérésies). Ce passage est cité dans le Dictionnaire d’histoire de l’Église, réalisé sous la direction de Mgr Bernard Ardura (Cerf, 2022, p. 439).
Du gnosticisme ont émergé certains textes apocryphes (écrits cachés ou ésotériques) apparus dans l’Orient méditerranéen dès le second siècle du christianisme, tels ceux qui ont été retrouvés à Nag Hamadi (Égypte) : « évangile de Thomas », « évangile de la vérité » de Valentin, etc. Il s’agit d’écrits qui ne proviennent pas de la première communauté chrétienne, malgré leur crédibilité apparente ou les noms chrétiens de leurs auteurs présumés, et contre lesquels le Nouveau Testament met en garde (cf. Matthieu 7, 15 ; Actes 20, 29 ; Hébreux 13, 9 ; Galates 1, 6-8). Saint Irénée appelle aussi à la vigilance envers ces pseudos récits : « La vraie tradition a été manifestée dans le monde entier. Elle peut être connue en toute Église par tous ceux qui veulent voir la vérité » (cité par France Quéré, Évangiles apocryphes, Seuil, 1983, p. 10). Il revint cependant à saint Athanase d’Alexandrie (v. 296-373) de confirmer en 367 la liste des écrits orthodoxes (authentiques) qui constituaient le Canon définitif reconnu par l’Église.
Or, comme le montre Rémi Gounelle, historien du christianisme antique, certains contenus de ces documents se retrouvent dans le Coran (cf. « Les écrits apocryphes chrétiens et le Coran », dans Histoire du Coran, dirigé par Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye, Cerf, 2022, chap. XII).
Le Livre sacré des musulmans s’inscrit par ailleurs, et même principalement, dans une perspective eschatologique imminente (annonce de la fin des temps), sans doute inspirée par les espérances apocalyptiques juives et chrétiennes qui foisonnaient à cette époque dans une grande partie de l’Orient (cf. David Hamidovic, « Les écrits apocryphes juifs et le Coran », Histoire du Coran, op. cit., chap. XI ; Muriel Debié, « Les apocalypses syriaques », ibid., chap. XIII ; Frantz Grenet, « L’apocalypse iranienne », ibid., chap. XIV).