De Denis Sureau sur le blog "Chrétiens dans la Cité" :
Découvrir Robert Spaemann
Les Presses Universitaires de l’IPC ont eu l’excellente idée de publier il y a quelques mois un nouveau livre de Robert Spaemann : Chasser le naturel ? (208 p., 24 €). La notion de nature est au centre des débats contemporains : en effet, l’affirmation libérale d’une autoaffirmation illimitée, devenue norme sociale absolue, se heurte à la reconnaissance d’une nature objective. Une recension de ce livre important paraîtra dans le prochain numéro de Chrétiens dans la Cité.
Insuffisamment connu en France malgré le travail de traduction persévérant de Stéphane Robilliard, Robert Spaemann est le plus important philosophe catholique allemand contemporain. Né à Berlin en 1927, il a enseigné à Munich, Heidelberg et Strasbourg. Sa philosophie morale, s’appuyant sur Aristote et saint Thomas, se veut une tentative pour dépasser, par une discussion rationnelle, les difficultés des conceptions morales modernes (kantisme, utilitarisme, conséquentialisme, éthique de la discussion…). A la morale du devoir, il préfère la morale qui considère que le (vrai) bonheur est le but de tout homme et qui est ouverte sur la transcendance : sans « théorie de l’absolu », tout s’effondre.
Comme sa pensée est complexe, quoique sans complexes, on pourra lire avec profit en guise d’introduction Nul ne peut servir deux maîtres (Hora Decima, 152 p., 2010), petit livre d’entretiens avec Stephen de Petiville. Esprit indépendant venu de la gauche, Spaemann n’a cessé d’approfondir la relation entre la nature et la raison – mais une raison éclairée par la foi. Il est aussi un acteur engagé : contre le réarmement de l’armée allemande dans les années 50, contre le nucléaire dans les années 60, contre l’éducation libertaire dans les années 70, contre l’avortement et l’euthanasie depuis les années 80. Jean Paul II lui a ouvert les portes de l’Académie pontificale pour la vie. Joseph Ratzinger l’a rencontré tardivement, mais avec une admiration qui a suscité une véritable amitié. Au plan religieux, tous deux partagent un même attachement liturgique ainsi qu’une vision d’une Église vécue comme signe de contradiction face au relativisme dominant. « Le seul moyen de combattre le mal réside dans la conversion et le fait de devenir chrétien. » Et pour conquérir les cœurs, le christianisme doit apparaître comme vrai, comme bon (comme source de salut) et comme beau (comme source de joie).