Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Doctrine - Page 9

  • L'héritage de Benoît XVI : poursuivre la reconstruction post-conciliaire

    IMPRIMER

    De Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    L'ÉGLISE À LA CROISÉE DES CHEMINS

    L'héritage de Benoît XVI : poursuivre la reconstruction post-conciliaire

    7-1-2023

    L'héritage de Benoît XVI consiste à reprendre toute la question du concile et de l'après-concile là où elle s'est arrêtée, en continuant à stopper les tendances dissolutistes et à poursuivre la reconstruction. Pour François, en revanche, le débat sur le concile et l'après-concile est terminé et l'Église est toujours dans une position de préservation et non de sortie. Le cas de l'ancienne messe le prouve. Mais la multitude de fidèles qui ont afflué à Rome pour le pape Ratzinger montre que son héritage appartient à l'épopée religieuse. François ne peut pas ne pas l'affronter.

    Une fois que la période qui suit immédiatement la mort terrestre de Benoît XVI s'est achevée avec les funérailles et que les différents aspects de sa grandeur ont été rappelés, on ne peut s'empêcher de regarder vers l'avenir et de se demander ce qui restera de son héritage dans un avenir proche. Pour certains, il n'en restera rien ou presque, car les positions officielles de l'Église d'aujourd'hui auraient déjà dépassé celles de Benoît XVI, sa mort aurait supprimé une pierre d'achoppement et il serait désormais plus facile de poursuivre sur la nouvelle voie. Il y a ensuite les "continuistes" selon lesquels le pontificat de François s'inscrit dans la continuité de celui de Benoît XVI, qui jusqu'à présent se serait simplement développé selon les prémisses qu'il avait posées, et qui continuera à l'être. Ces deux positions me semblent insatisfaisantes. J'essaie donc d'en présenter une autre.

    Ratzinger/Benoît représente une époque, celle du concile et de la période post-conciliaire. Il a incarné l'interprétation la plus équilibrée de cette époque, réussissant à en dresser un tableau convaincant de manière à ne (presque) rien laisser de côté, pas même les erreurs commises et les questions qui restent ouvertes et à reconsidérer. Son héritage consiste donc à reprendre l'ensemble du dossier là où il l'a laissé, à ne pas opérer de transition d'une époque à l'autre, à continuer à retenir les tendances dissolutistes et à poursuivre la reconstruction.

    François, en revanche, entend laisser derrière lui cette époque qui, selon lui, verrait l'Église toujours dans une position de préservation et non de sortie. Il veut être post-post-conciliaire. Il est vrai qu'il fait souvent référence au Concile, mais précisément pour dire qu'il n'est plus question de s'attarder sur celui-ci et sur l'époque qu'il a inaugurée. Le débat entre le Concile et l'après-Concile est terminé pour lui. La preuve la plus claire de cette position, parmi les innombrables que nous pourrions citer, est le motu proprio Traditionis custodes, qui a établi que la "question liturgique" était terminée et, avec elle, la question de toute une époque. Mais c'était précisément la principale question que Benoît XVI estimait devoir laisser ouverte.

    Si ma synthèse a quelque chose de vrai, la solution "continuiste" tombe. L'autre reste-t-elle cependant debout ? C'est-à-dire celle selon laquelle le nouveau paradigme s'imposera définitivement, l'époque conciliaire et post-conciliaire sera effacée, et les résistances vaincues ? Je ne le crois pas, et je vais expliquer pourquoi.

    Ce que nous avons vu ces derniers jours appartient au genre de l'épopée religieuse. Combien de personnes ont rendu hommage à Benoît. Combien de personnes ont déclaré implicitement qu'elles avaient été touchées par lui. Combien ont témoigné que sa mort terrestre n'est pas la mort de son héritage, mais plutôt le contraire. Combien ont repris le discours de Ratisbonne du 12 septembre 2006 et ses autres écrits. Combien ont repris les cas non résolus, comme l'interdiction de prendre la parole à la Sapientia, pour que les vérités à son sujet ne soient pas perdues. Bien sûr, nous avons également vu d'autres attitudes, généralement plutôt mesquines, comme cela arrive toujours dans de tels cas. Mais l'adhésion de l'intelligence et du cœur des fidèles à Benoît a été fulgurante et, d'après la manière dont elle est apparue en ces jours de décès et de funérailles, l'héritage de Benoît ne s'effacera pas de sitôt et toute l'Église en sera affectée pour longtemps.

    J'irais même jusqu'à dire que Benoît et son héritage affecteront davantage l'Église maintenant, après sa mort physique, qu'avant, de son vivant. Nous nous souvenons tous de ses deux dernières interventions publiques : l'une sur les abus du clergé et l'autre sur le célibat des prêtres avec le cardinal Sarah. Ces deux interventions ont "ralenti" certains processus négatifs et empêché des décisions qui avaient peut-être déjà été prises mais qui étaient gelées. Avec son décès, cela ne sera plus possible, mais ce travail sera dorénavant poursuivi par ceux qui ont repris son héritage. Cela représente une force encore plus grande, à la fois parce qu'ils seront aidés par un patron céleste, et parce que la cause sera soustraite aux contingences de l'histoire, prenant ainsi une valeur emblématique et donc plus mobilisatrice.

    Les prédictions des observateurs et des journalistes n'ont rien de prophétique. Ce sont des hypothèses et des suppositions qui peuvent être erronées et qui le sont souvent. C'est pourquoi les observateurs et les journalistes veillent généralement à ne pas en faire, afin de ne pas se compromettre. En revanche, je fais ici une autre prédiction en plus de celles déjà faites dans les lignes précédentes. Il se peut que les conséquences de la mort physique de Benoît XVI, que j'ai mentionnées plus haut comme possibles, affectent également le pape François et l'incitent à modifier certaines de ses positions. Il se peut qu'elles l'incitent à ne pas penser que l'ère de Benoît XVI est terminée et à affronter jusqu'au bout son héritage, auquel tant de fidèles sont attachés. Prédiction dans la prédiction (ou souhait dans le souhait) : le test décisif sera toujours la question de la messe.

  • Tensions romaines

    IMPRIMER

    De Franca Giansoldati sur Il Messaggero via Il Sismografo :

    Le père Georg et l'attaque contre le pape François : "Comme préfet, il m'a réduit de moitié". Avec la mort de Ratzinger, la paix est terminée entre les conservateurs et les progressistes

    Sur le parvis de Saint-Pierre, la dimension d'unité entre les 130 cardinaux présents n'est qu'apparente. Plutôt une projection idéale. Ce n'est pas un mystère que même les funérailles du Pontife émérite ont été influencées par les tensions qui agitent cycliquement le Collège des Cardinaux depuis des années. Questions doctrinales, approches sur la manière de gérer le Saint-Siège, craintes quant à d'éventuelles dissensions, licenciements abrupts et non motivés, népotisme. Avec la disparition de Ratzinger, qui n'est plus pontife depuis dix ans mais reste une référence pour une bonne partie de l'Église d'obédience plus conservatrice, le risque existe que la tranquillité jusqu'ici respectée se rompe. Ce ne sont plus les Bergogliens contre les Ratzingeriens, mais les conservateurs contre les innovateurs.

    Et même le choix du père Georg Gänswein, secrétaire du défunt, de faire publier ses mémoires avec tout le contexte de ces années de silence passées au monastère Mater Ecclesiae, le jour même des funérailles, ne semble pas être un bon signe. Parmi ces pages, on découvre par exemple la douleur que François a causée à Ratzinger en voyant son propre travail être démantelé pièce par pièce par son successeur. A commencer par la question de la messe en latin qui a "brisé le cœur" de Benoît XVI.

    Les révélations

    Ou encore, autre révélation du livre, le choc qu'il a ressenti lorsqu'il a été démis de ses fonctions de préfet de la Maison pontificale en 2020. Le père Georg écrit : "J'étais choqué et sans voix". Il se souvient qu'il avait déjà été évincé de certaines fonctions officielles il y a quelque temps. "Vous restez préfet mais à partir de demain vous ne reprendrez pas le travail". Benoît XVI commente ironiquement à sa secrétaire : "Je crois que le pape François ne me fait plus confiance et veut que vous soyez mon tuteur..." ; Ratzinger écrit personnellement au pape argentin pour intercéder, mais rien ne change. Et Georg se décrit lui-même dans le livre comme suit : "J'étais un préfet réduit de moitié".

    Georg souligne également le choix personnel de Bergoglio de renoncer à vivre dans l'appartement apostolique. "L'espace personnel dans l'appartement papal est équivalent à l'espace de François dans l'appartement de Santa Marta". Comme pour dire que les motivations étaient autres même si elles sont présentées comme un choix d'économie et de non gaspillage. Maintenant, pour l'ancien secrétaire de Ratzinger, l'inconnu plane sur son avenir. Bientôt, lui et les quatre Memores Domini - Rossella, Loredana, Carmela et Cristina - les femmes laïques de Communion et Libération qui vivaient dans le monastère sur la colline du Vatican, devront quitter le bâtiment dans lequel elles vivaient avec Ratzinger.

    Futur

    Le chef des évêques allemands, Monseigneur Georg Batzing, interrogé par les journalistes après les funérailles pour savoir s'il y avait déjà un rôle parmi les évêques en Allemagne pour l'ancien secrétaire de Ratzinger, a levé les mains : "Cela dépendra de la personne concernée et de ceux qui, dans la curie, s'occupent de cette question. Autre cardinal limogé par le pape François du jour au lendemain et sans raison, l'ancien préfet de la Congrégation de la foi se retrouve depuis sans rôle. En 2016, Gerhard Muller a reçu son congé par un coup de téléphone : "A partir de demain, tu ne viens plus au travail". Le cardinal théologien de renommée internationale et éditeur de l'opera omnia de Ratzinger, a accepté docilement la décision. Aujourd'hui, il est un conférencier sollicité par les universités du monde entier. Parmi les cardinaux présents sur le parvis figurait Zen, le cardinal qui avait mis en garde Bergoglio contre l'accord signé avec Pékin.  Zen ne cache pas son aversion pour la politique de ce pontificat. (mais il a été reçu le 6 janvier en privé par le pape ndB)

  • L'Eglise va-t-elle entrer dans des zones de turbulence ?

    IMPRIMER

    De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro (via Il Sismografo) :

    ANALYSE - Le pape François n’hésiterait désormais plus à renoncer à sa charge, chose qu’il s’interdisait avant pour qu’il n’y ait pas deux papes émérites plus un successeur régnant.

    6 janvier 2023

    Obsèques de Benoît XVI: à Rome, certains observateurs prophétisent des «zones de turbulences» 

    Dans quelles pensées le pape François était-il plongé, la main longuement posée sur le cercueil de son prédécesseur, à l’issue de la messe d’enterrement? Une image saisissante, rare, comme si le pape allemand, cette fois, passait définitivement le témoin à son successeur.

    Le symbole était toutefois trompeur car ce passage de témoin, dans l’esprit des deux hommes, avait été effectué depuis longtemps, sans ambiguïté, ni retour, avant même l’élection du pape François, le 13 mars 2013. Benoît n’était plus pape, et s’était engagé à l’obéissance à son successeur, sans interdire de s’exprimer mais en restant à sa place.

    La mort du pape émérite change-t-elle la donne? François va-t-il se sentir plus libre d’agir? Son pontificat va-t-il prendre une nouvelle dimension? La question s’est beaucoup posée à Rome et dans l’Église ces jours-ci. La réponse apparaît évidente, en apparence: nombreux sont ceux qui estiment que rien ne devrait changer puisque la frontière entre les territoires de compétences des deux papes avait été clairement délimitée. Aussi le départ de l’un ne changerait rien au pontificat de l’autre.

    Mais les choses ne sont pas aussi simples, en raison de la nature des dossiers en cours mais aussi en raison de l’état de santé et de l’âge du pape François, 86 ans, quasiment l’âge où Benoît XVI s’est retiré, en 2013. La renonciation donc. Le pape François, entend-on, n’hésiterait désormais plus à renoncer à sa charge, chose qu’il s’interdisait avant pour qu’il n’y ait pas deux papes émérites plus un successeur régnant, soit trois papes au Vatican! Impression renforcée par le fait que François a dit publiquement à plusieurs reprises que, si les conditions de santé le lui imposaient, il suivrait le chemin ouvert par le pape Benoit XVI. Il est certain que la voie de la renonciation éventuelle de François est maintenant plus ouverte que jamais.

    Mais c’est oublier une autre donnée du problème, la nature de la responsabilité papale. La raison profonde de la renonciation du pape Benoît XVI était certes liée à un affaiblissement de ses forces mais aussi au constat qu’il n’avait plus les moyens d’accomplir la mission qui lui était confiée. Il se trouvait enfermé par une administration centrale du Saint-Siège, la curie, qui avait fini par prendre le contrôle sur le pontificat. Plus qu’une décision de confort personnel, comme elle a été souvent interprétée, la renonciation de Benoît XVI fut avant tout une décision de conscience personnelle, celle de ne plus pouvoir assumer son devoir d’État.

    Grand dessein

    De ce point de vue, le pape François est en pleine possession de ses moyens et bien conscient de sa responsabilité. La récente réforme de la curie romaine, publiée le 19 mars 2022 et appliquée depuis le 5 juin, a notamment consisté, à renforcer le pouvoir du pape au détriment de son administration. On dit facilement au Vatican, sans médire, que beaucoup de décisions sont prises par le pape en personne. François est un homme de gouvernement, un pape qui dirige de près, comme le Saint-Siège n’en avait pas connu depuis longtemps.

    Lire la suite

  • Saint Raymond de Peñafort (7 janvier)

    IMPRIMER

    Du site "Nouvelle Evangélisation" :

    Né près de Barcelone, dans le château familial de Villafranca de Penades, probablement vers 1175, Raymond de Penafort était apparenté aux comtes de Barcelone et aux rois d'Aragon. Il étudia à l'école cathédrale de Barcelone où, à peine âgé de vingt ans, il enseigna la rhétorique et la logique. En 1210, il partit étudier le droit civil et le droit canonique à Bologne. En compagnie de Pierre Ruber, il fit la route à pied, par Arles et Turin ; il s’arrêtèrent quelques jours à Briançon pour constater un miracle que venait d’opérer Notre-Dame de Delbeza qui rendit les yeux et les mains à un jeune homme mutilé par des brigands. Après avoir été reçu docteur (1216), il resta à Bologne où, pendant trois ans, il enseigna le droit canonique avec tant de succès que les Bolonais lui offrirent des appointements prélevés sur les ressources de la ville ; après avoir donné le dixième de son salaire au clergé de sa paroisse, il distribuait le reste aux pauvres, ne gardant pour lui que le strict nécessaire.

    L'évêque de Barcelone, Bérenguer de Palou[1], qui passait par Bologne, au retour d’un pèlerinage à Rome, entendit si fort chanter les louanges de Raymond de Penafort qu'il le recruta pour le séminaire qu'il voulait fonder dans son diocèse, et l'emmena avec lui (1219). A Viterbe où résidait le pape Honorius III, ils rencontrèrent saint Dominique qui leur donna quelques uns de ses frères. Raymond de Penafort fut nommé chanoine de la cathédrale de Barcelone, puis prévôt du chapitre, archidiacre, grand vicaire et official (1220) ; outre qu'il fit donner une grande solennité à l'Ascension, il travailla fort au soin des pauvres qu'il nommait ses créanciers.

    Le Vendredi Saint 1222, il quittait le clergé séculier pour les Dominicains, sans perdre pour autant son influence sur l'évêque et le diocèse de Barcelone. Voyant que ses supérieurs ne le traitaient pas comme les autres novices, le frère Raymond de Penafort demanda qu’on lui imposât une pénitence particulière pour les fautes commises pendant sa vie séculière ; c’est pour répondre à sa demande que le provincial lui ordonna d’écrire la « Summa de pænitentia », premier ouvrage du genre, qui rassemble les cas de conscience à l'usage des confesseurs.

    Lorsque Pierre Nolasque[2], ancien marchand, fonda l'Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie de la Merci pour la rédemption des captifs (1223)[3], pour le rachat des prisonniers faits par les Musulmans, c'est Raymond de Penafort qui, dans la cathédrale de Barcelone, en présence de l'évêque et du roi Jacques I° d'Aragon[4], donna l'habit et le scapulaire aux premiers mercédaires ; il rédigera aussi la règle de ce nouvel ordre pour laquelle il obtiendra l'approbation du pape Grégoire IX (1235).

    Quelques années plus tard (1229), le cardinal de Sainte-Sabine, Jean d'Abbeville[5], fut envoyé comme légat en Espagne pour prêcher la Croisade[6] contre les Maures, et mettre en application les décrets du quatrième concile du Latran ; [7] il devait aussi déclarer nul le mariage de Jacques I° d’Aragon avec Eléonore de Castille. Le légat s'adjoignit Raymond de Penafort qui le précéda dans toutes ses visites canoniques et prit part à tous les actes importants de la légation. Le cardinal de Sainte-Sabine en rendant compte de sa mission au Pape (Pérouse le 25 novembre 1229), mit en avant la coopération efficace de Raymond de Penafort qui, le 28 novembre, fut chargé par Grégoire IX[8] de prêcher dans les provinces d'Arles et de Narbonne la Croisade dirigée par Jacques I° d’Aragon pour chasser les Maures de Majorque.

    Lire la suite

  • Le vrai Ratzinger

    IMPRIMER

    De George Weigel sur le National Catholic Register :

    Le vrai Ratzinger

    La dernière des figures monumentales du catholicisme du XXe siècle ne ressemble en rien à la caricature créée par ses adversaires théologiques et culturels.

    4 janvier 2023

    Le Joseph Ratzinger que j'ai connu pendant 35 ans - d'abord en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), puis en tant que pape Benoît XVI et enfin en tant que pape émérite - était un homme brillant et saint qui ne ressemblait en rien à la caricature créée d'abord par ses ennemis théologiques, puis coulée dans le béton médiatique.  

    Le Ratzinger de la caricature était un inquisiteur/exécuteur ecclésiastique sinistre et implacable, "le Rottweiler de Dieu". L'homme que j'ai connu était un gentleman accompli à l'âme douce, un homme timide qui avait néanmoins un solide sens de l'humour, un amateur de Mozart qui était fondamentalement une personne heureuse, pas un grincheux aigri.   

    Le Ratzinger de la caricature était incapable de comprendre ou d'apprécier la pensée moderne. Le Ratzinger que j'ai connu était sans doute l'homme le plus érudit du monde, avec une connaissance encyclopédique de la théologie chrétienne (catholique, orthodoxe et protestante), de la philosophie (ancienne, médiévale et moderne), des études bibliques (juives et chrétiennes) et de la théorie politique (classique et contemporaine). Son esprit était lumineux et ordonné, et lorsqu'on lui posait une question, il répondait par paragraphes complets - dans sa troisième ou quatrième langue.  

    Le Ratzinger de la caricature était un réactionnaire politique, déconcerté par les manifestations estudiantines de 1968 en Allemagne et aspirant à une restauration du passé monarchique ; ses ennemis les plus vicieux laissaient entendre qu'il avait des sympathies pour les nazis (d'où le sobriquet désagréable de Panzerkardinal). Le Ratzinger que j'ai connu était l'Allemand qui, lors d'une visite d'État au Royaume-Uni en 2010, a remercié le peuple britannique d'avoir gagné la bataille d'Angleterre - un chrétien-démocrate bavarois (ce qui le placerait légèrement à gauche en termes de politique américaine) dont le dédain pour le marxisme était à la fois théorique (il n'avait aucun sens philosophique) et pratique (il n'a jamais fonctionné et était intrinsèquement totalitaire et meurtrier). Le Ratzinger caricatural était l'ennemi du Concile Vatican II. Le Ratzinger que je connaissais était, au milieu de la trentaine, l'un des trois théologiens les plus influents et les plus productifs de Vatican II - l'homme qui, en tant que préfet de la CDF, a travaillé de concert avec Jean-Paul II pour donner au Concile une interprétation faisant autorité, qu'il a approfondie au cours de son propre pontificat.

    Le Ratzinger caricatural était un troglodyte liturgique déterminé à faire reculer l'horloge de la réforme liturgique. Le Ratzinger que j'ai connu était profondément influencé, spirituellement et théologiquement, par le mouvement liturgique du XXe siècle. Ratzinger est devenu un pape beaucoup plus généreux dans son acceptation du pluralisme liturgique légitime que son successeur papal, parce que Benoît XVI croyait que, à partir d'un tel pluralisme vital, les nobles objectifs du mouvement liturgique qui l'a formé seraient finalement réalisés dans une Église habilitée par un culte révérencieux pour la mission et le service.    

    Le Ratzinger caricatural était une histoire d'hier, un intellectuel dépassé dont les livres prendraient bientôt la poussière et s'effondreraient, ne laissant aucune empreinte sur l'Église ou la culture mondiale. Le Ratzinger que j'ai connu était l'un des rares auteurs contemporains qui pouvait être certain que ses livres seraient lus dans des siècles. Je soupçonne également que certaines des homélies de ce plus grand prédicateur papal depuis le pape Saint Grégoire le Grand finiront par se retrouver dans la prière quotidienne officielle de l'Église, la Liturgie des Heures. 

    Le Ratzinger de la caricature avait soif de pouvoir. Le Ratzinger que j'ai connu a essayé à trois reprises de démissionner de son poste à la Curie, n'avait aucun désir d'être pape, a déclaré à ses confrères de l'Église en 2005 qu'il n'était "pas un homme de governo [gouvernance]" et n'a accepté son élection à la papauté qu'en obéissant à ce qu'il considérait comme la volonté de Dieu, manifestée par le vote écrasant de ses frères cardinaux.  

    Le Ratzinger de la caricature était indifférent à la crise des abus sexuels commis par des clercs. Le Ratzinger que j'ai connu a fait autant que n'importe qui, en tant que cardinal-préfet de la CDF puis en tant que pape, pour nettoyer l'Église de ce qu'il a brutalement et précisément décrit comme une "saleté". 

    La clé du vrai Joseph Ratzinger, et de sa grandeur, était la profondeur de son amour pour le Seigneur Jésus - un amour affiné par une extraordinaire intelligence théologique et exégétique, manifeste dans sa trilogie, Jésus de Nazareth, qu'il considérait comme la pierre angulaire du projet scientifique de toute sa vie. Dans ces livres, plus de six décennies d'apprentissage ont été distillées dans un récit qui, espérait-il, aiderait d'autres personnes à aimer Jésus comme il l'a fait, car, comme il l'a souligné dans tant de variations sur un grand thème, "l'amitié avec Jésus-Christ" était le début, la condition sine qua non, de la vie chrétienne. Et favoriser cette amitié était le but même de l'Église. 

    La dernière des figures monumentales du catholicisme du XXe siècle est rentrée chez elle auprès de Dieu, qui ne manquera pas de récompenser son bon serviteur.      

    George Weigel est membre éminent et titulaire de la chaire William E. Simon d'études catholiques au Ethics and Public Policy Center de Washington.

  • Les deux maîtres-mots que Benoit XVI laisse en héritage

    IMPRIMER

    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso (traduction française de Diakonos.be) :

    Foi et raison. Les deux maîtres-mots que Benoit XVI laisse en héritage

    (S.M.) En ces jours de “Noël” de Joseph Ratzinger à la vie éternelle, nous vous proposons ci-dessous une anthologie de quelques-uns de ses discours essentiels, ceux qui condensent sa vision de la mission de l’Église dans le monde d’aujourd’hui, en dialogue constant entre foi et raison. 

    On trouvera un lien vers le texte intégral de chaque discours dont nous reproduisons les passages les plus marquants. 

    Le premier discours est celui avant Noël du 22 décembre 2005 à la Curie romaine, dans lequel le Pape Benoît XVI a éclairci sa clé d’interprétation du Concile Vatican II : non pas en tant que rupture avec le passé et nouveau départ mais plutôt en tant qu’“herméneutique de la réforme, du renouvellement dans la continuité de l’unique sujet-Église”. Principalement dans le but de prendre la défense du décret conciliaire sur la liberté religieuse, le plus contesté par les traditionnalistes. 

    Le second est celui qu’il a prononcé le 12 décembre 2006 à l’Université de Ratisbonne et dans lequel il présente comme essentielle à la foi chrétienne la rencontre entre le message biblique et la pensée grecque, une rencontre plusieurs fois contestée au cours de l’histoire, et qui est pourtant selon lui essentielle, encore aujourd’hui, pour la mission de l’Église. 

    Le troisième discours, celui du 22 décembre 2006 à la Curie romaine, est repris ici comme corollaire du précédent, pour la réponse implicite fournie par Benoît XVI aux violentes réactions qui ont enflammé le monde musulman à la suite d’un passage de son discours de Ratisbonne. L’espoir du Pape, c’est que l’islam aussi passe à travers le crible de la raison des Lumières, comme cela s’est déjà produit – fastidieusement mais avec succès – pour le christianisme. 

    Le quatrième est celui du 12 septembre 2006 au Collège des bernardins de Paris. C’est celui dans lequel Benoît XVI le Pape Benoît XVI montre que le fondement de la civilisation de l’Europe et de l’Occident réside dans le “quaerere Deum”, la recherche de Dieu des moines du Moyen Âge, avec tout ce que cette dernière a produit dans le domaine de l’exégèse biblique, de la théologie, de la liturgie, des arts, de la littérature, de la société. 

    Le cinquième est celui du 22 septembre 2011 au Reichstag, le parlement de Berlin. Dans celui-ci, Benoît XVI met en garde contre les risques de la dictature dominante du positivisme juridique, qui mine précisément cette rencontre décisive entre Jérusalem, Athènes et Rome, entre la foi en Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique romaine, qui a édifié la civilisation occidentale. 

    On constate entre tous ces discours une extraordinaire cohérence. Mais on voit également à quel point ils sont incontournables et exigeants pour l’Église qui les reçoit en héritage.

    Lire la suite

  • Le pape Benoît XVI bientôt promu "docteur de l'Eglise" ?

    IMPRIMER

    De George Weigel sur First Things :

    LETTRES DE ROME : #1

    À L'OCCASION DU DÉCÈS DE JOSEPH RATZINGER, PAPE ÉMÉRITE BENOÎT XVI

    3 janvier 2023

    Dans les jours qui ont suivi sa mort le 31 décembre, plusieurs commentateurs ont exprimé l'espoir que Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI puis le pape émérite, soit un jour nommé docteur de l'Église. À la lumière de ces espoirs, j'ai pensé qu'il serait intéressant de revenir sur une conversation que j'ai eue avec le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, lorsque je préparais Témoin de l'espérance, le premier volume de ma biographie en deux volumes du pape Jean-Paul II.

    C'était le 20 septembre 1997 et nous avons parlé, comme nous le faisions habituellement, dans le bureau du cardinal au Palazzo Sant'Ufficio. Comme toujours, le cardinal était vêtu simplement d'une soutane noire de maison, sans croix pectorale. Après avoir discuté de plusieurs autres sujets, je l'ai interrogé sur la récente décision de Jean-Paul II de nommer sainte Thérèse de Lisieux, la Petite Fleur, docteur de l'Église, après avoir reçu une pétition en ce sens de la part (si ma mémoire est bonne) de plus de deux mille évêques, dans le cadre d'une campagne menée par un évêque auxiliaire retraité de New York, Patrick Ahern. Cette décision avait suscité une certaine controverse, car ce titre rare était généralement attribué à d'éminents théologiens.

    Lorsque j'ai demandé au cardinal Ratzinger, à brûle-pourpoint, "Pourquoi Thérèse de Lisieux est-elle docteur de l'Église ?", le cardinal a ri (ce qu'il faisait volontiers, malgré les caricatures de sa personnalité) et, s'abstenant de tout commentaire sur la franchise, voire l'impertinence, de ma question, il a commencé à parler - par paragraphes complets, comme il en avait l'habitude. Ce qui suit est une transcription directe de sa réponse, qui, je pense, nous éclaire sur sa propre conception de la sainteté et ses nombreuses expressions :

    Nous avons eu des formes distinctes de docteurs de l'Église, même avant Antoine de Padoue. Nous avons d'une part les grands docteurs scolastiques, Bonaventure et Thomas d'Aquin, qui étaient des professeurs et des académiciens et de grands docteurs au sens scientifique ; à l'époque patristique, nous avions de grands prédicateurs qui développaient la doctrine non pas dans la discussion théologique mais dans la prédication, dans les homélies ; nous avons aussi Ephraïm, qui développait sa théologie essentiellement dans les hymnes et la musique. Maintenant, à notre époque, nous avons de nouvelles formes de docteurs et il est important de relever la richesse des différents moyens d'enseignement dans l'Église. Nous avons Thérèse d'Avila avec ses expériences mystiques et ses interprétations de la présence de Dieu dans l'expérience mystique. Nous avons Catherine de Sienne avec sa théologie expérientielle. Et maintenant, nous avons Thérèse de Lisieux, qui a créé, d'une manière différente, une théologie de l'expérience.

    Il est important, dans notre société à l'esprit scientifique, d'avoir le message d'une expérience simple et profonde de Dieu, et un enseignement sur la simplicité d'être un saint : donner, à notre époque, avec son approche extrêmement orientée vers l'action, d'enseigner qu'être un saint n'est pas nécessairement une question de grandes actions, mais de laisser le Seigneur travailler en nous.

    C'est également intéressant pour le dialogue œcuménique. La doctrine de la justification de Luther a été provoquée par sa difficulté à se comprendre justifié et racheté à travers les structures complexes de l'Église médiévale. La grâce n'arrivait pas dans son âme et nous devons comprendre l'explosion du "sola fide" dans ce contexte : il a finalement découvert qu'il n'avait qu'à donner sa fiducia, sa confiance, au Seigneur, à se remettre entre les mains du Seigneur - et je suis racheté. Je pense que, d'une manière très catholique, cela est revenu chez Thérèse de Lisieux : Tu n'as pas besoin de faire de grandes choses. Je suis pauvre, spirituellement et matériellement, et il suffit de me remettre entre les mains de Jésus. Il s'agit d'une véritable interprétation de ce que signifie être racheté ; nous n'avons pas à faire de grandes choses, nous devons être confiants, et dans la liberté de cette confiance nous pouvons suivre Jésus et réaliser une vie chrétienne. Il ne s'agit pas seulement d'une contribution importante au dialogue œcuménique, mais aussi à notre question commune : comment puis-je être racheté, comment suis-je justifié ? La "petite voie" [de Thérèse] est une redécouverte très profonde du centre de la vie chrétienne.

    Lire la suite

  • Benoît XVI : un chantre de la beauté

    IMPRIMER

    De Stefano Chiappalone sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    Benoît XVI : la beauté qui ouvre le cœur à Dieu

    2-01-2023

    Un fil conducteur important du riche enseignement de Joseph Ratzinger est le concept de "raison élargie". Une raison qui ne rejette pas l'étonnement et ne s'enferme pas dans l'horizon matériel, mais reste capable d'accueillir les diverses expressions de l'art et de la beauté comme autant de manières d'être fasciné par le Mystère de Dieu.

    Malgré la profondeur intellectuelle qui le place à juste titre parmi les "grands" de la pensée contemporaine et - en perspective - parmi les "docteurs" de facto de l'Église, Benoît XVI était aussi une "petite voie" - comparable en quelque sorte à celle de la "petite" Sainte Thérèse de Lisieux - capable de s'émerveiller de la beauté comme voie privilégiée pour trouver (ou redécouvrir) la foi. Tout le contraire de l'étiquette de panzerkardinal ou de " berger allemand ", qui ne pourrait être crue que par ceux qui n'ont jamais fait l'effort (pourtant agréable) d'approcher ses discours, préférant ingurgiter la rumeur injuste répandue chez de nombreux catholiques (plus enclins à un sentimentalisme bon marché compatible avec les sirènes du conformisme médiatique).

    Benoît XVI ne s'oppose pas à l'émerveillement et à la lucidité de la pensée, mais il les intègre dans la perspective de ce qu'il a lui-même défini à plusieurs reprises comme une "raison élargie", c'est-à-dire capable d'englober également la beauté, l'amour, toutes ces réalités qui ne sont pas "mesurables" et dont l'existence et la nécessité ne peuvent être niées. Au contraire, "une raison qui voudrait en quelque sorte se dépouiller de la beauté serait réduite de moitié, ce serait une raison aveuglée". Cette complémentarité est inhérente au christianisme, puisque " le "Logos" créateur n'est pas seulement un "logos" technique ", mais " est amour et donc de nature à s'exprimer dans la beauté et la bonté ", a-t-il affirmé en été 2008 à Brixen (reprenant en partie la lectio de Ratisbonne). C'est pourquoi le pape émérite était convaincu que "l'art et les saints sont la plus grande apologie de notre foi".

    S'il faut lui coller une étiquette, Benoît XVI était plutôt le pape de la beauté, qu'il définissait comme "la grande nécessité de l'homme ; c'est la racine d'où jaillissent l'arbre de notre paix et les fruits de notre espérance" : c'est ainsi qu'il s'exprimait à l'occasion de son voyage apostolique en Espagne en novembre 2010, à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Barcelone, où il est allé consacrer la basilique de la Sagrada Familia. Il a souligné le lien entre la beauté du bâtiment et la spiritualité de l'architecte Antoni Gaudí, qui n'était pas une star de l'architecture, mais "un architecte brillant et un chrétien conséquent, dont le flambeau de la foi a brûlé jusqu'à la fin de sa vie, vécue avec une dignité et une austérité absolues". À partir des trois livres de la Création, de l'Écriture et de la Liturgie, Gaudí a donné vie au "miracle architectural" de la Sagrada Familia, "un espace de beauté, de foi et d'espérance, qui conduit l'homme à la rencontre de Celui qui est la vérité et la beauté même".

    Depuis son enfance, Joseph Ratzinger voit dans la beauté un chemin privilégié vers Dieu. De sa Bavière festive et très catholique, il a rapporté "le parfum émanant des tapis de fleurs et des bouleaux verdoyants ; les ornements de toutes les maisons, les drapeaux, les chants ; j'entends encore les instruments à vent de la fanfare locale". Une jubilation qui trouve son fondement dans le matin de Pâques, ou plutôt le samedi saint : le jour même de sa naissance (16 avril 1927), une coïncidence qui constituait pour lui - comme il l'a rappelé dans son autobiographie Ma vie, publiée en 1997 - un "signe prémonitoire" sur le plan personnel mais aussi "une caractéristique de notre existence humaine, qui attend encore Pâques, n'est pas encore en pleine lumière, mais s'en approche avec confiance". Et il le fait aussi à travers l'art, la beauté du paysage et des bois, et la musique, qui chez les Ratzinger est dans l'air depuis l'enfance (après tout, ils vivaient aux frontières de la Salzbourg de Mozart), dans une continuité naturelle avec la liturgie. Et c'est leur père qui jouait et expliquait les lectures pour les préparer à la messe du dimanche : à l'époque, "lorsque le Kyrie commençait, c'était comme si le ciel s'ouvrait".

    Lire la suite

  • Hommage à Benoît XVI : un dossier gratuit de 30 pages

    IMPRIMER

    De Denis Sureau :

    Hommage à Benoît XVI

    En hommage au défunt pape émérite, j'ai réalisé un dossier PDF sur des publications importantes de Joseph Ratzinger / Benoît XVI en matière de théologie politique et de liturgie.

    Ce PDF gratuit de 30 pages peut être téléchargé sur le site Transmettre :

    https://www.transmettre.fr/produit/hommage-a-benoit-xvi-dossier-pdf/

  • "L'annonce de Dieu a été le centre du pontificat de Benoît XVI" (Georg Gänswein)

    IMPRIMER

    D'Andreas Thonhauser, Chef du bureau du Vatican pour EWTN, sur le National Catholic Register :

    Le secrétaire personnel de Benoît XVI : "L'annonce de Dieu a été le centre du pontificat de Benoît XVI".

    L'archevêque Georg Gänswein a longuement discuté des dernières années du pape émérite lors d'une vaste interview accordée à EWTN le mois dernier.

    31 décembre 2022

    L'archevêque Georg Gänswein connaît le pape émérite Benoît XVI à titre officiel depuis sa nomination à la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1995. Depuis l'élection de Benoît XVI comme pape en 2005, sa démission surprenante en 2013 et ses dernières années au monastère Mater Ecclesiae au Vatican, Mgr Gänswein, 66 ans, a été le secrétaire personnel de Benoît XVI, et le pape émérite a rarement été vu en public sans lui.

    L'archevêque a eu un point de vue unique sur les dernières années de Benoît XVI, qu'il dit avoir été principalement consacrées à la prière.

    Le 22 novembre, un peu plus d'un mois avant que le pape émérite Benoît XVI ne décède le 31 décembre à 9 h 34, heure de Rome, à l'âge de 95 ans, Mgr Gänswein a été interviewé par Andreas Thonhauser, chef du bureau de EWTN au Vatican. Voici la transcription :

    Votre Excellence, comment se portait le Pape émérite Benoît XVI vers la toute fin de sa vie ? 

    Contrairement à ce qu'il pensait, il avait vécu jusqu'à un âge avancé. Il était convaincu qu'après sa démission, le Bon Dieu lui accorderait une année de plus. Personne n'a probablement été plus surpris que lui de voir que cette "année supplémentaire" s'est avérée être plusieurs années de plus. 

    Vers la fin, il était physiquement très faible, très frêle, bien sûr, mais - grâce à Dieu - son esprit était aussi clair que jamais. Ce qui était douloureux pour lui, c'était de voir sa voix devenir de plus en plus faible. Il avait dépendu toute sa vie de l'usage de sa voix, et cet outil s'était progressivement perdu pour lui. 

    Mais son esprit était toujours clair, il était serein, posé, et nous - qui étions toujours autour de lui, qui vivions avec lui - nous sentions qu'il était sur la dernière ligne droite et que cette dernière avait une fin. Et il avait cette fin bien en vue. 

    Avait-il peur de mourir ? 

    Il ne parlait jamais de la peur. Il parlait toujours du Seigneur, de son espoir que, lorsqu'il se tiendrait enfin devant lui, il lui ferait preuve de douceur et de miséricorde, connaissant, bien sûr, ses faiblesses et ses péchés, sa vie. ... Mais, comme l'a dit Saint Jean : Dieu est plus grand que notre cœur. 

    Vous avez passé de nombreuses années à ses côtés. Quels ont été les moments clés pour vous ? 

    Eh bien, pour moi, tout a commencé lorsque je suis devenu membre du personnel de la Congrégation pour la doctrine de la foi, lorsqu'il [le cardinal Ratzinger] en était le préfet. Je suis ensuite devenu le secrétaire. Cela devait durer quelques mois, tout au plus, mais, en fin de compte, cela a duré deux ans. 

    Puis Jean-Paul II est mort, et Joseph Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI ; j'ai passé toutes ces années comme secrétaire à ses côtés, et puis, bien sûr, aussi pendant qu'il était pape émérite. Il avait été plus longtemps pape émérite que pape régnant. 

    Ce qui m'a toujours impressionné, et même surpris, c'est sa douceur, sa sérénité et sa bonne humeur, même dans des situations très épuisantes, très exigeantes - et parfois même très tristes, d'un point de vue humain. 

    Il ne perdait jamais son calme, il ne se mettait jamais en colère. Bien au contraire : Plus il était mis au défi, plus il devenait silencieux et pauvre en paroles. Mais cela avait des effets très positifs et bienveillants sur ceux qui l'entouraient. 

    Il n'était cependant pas du tout habitué aux grandes foules. Bien sûr, en tant que professeur, il avait l'habitude de parler devant un grand, voire un très grand, public d'étudiants. Mais c'était lui, en tant que professeur, qui parlait à des étudiants. Plus tard, en tant que pape, toutes ces rencontres avec des gens de différents pays, leur joie et leur enthousiasme, ont été, bien sûr, une expérience très différente. 

    Lire la suite

  • La vie, la foi et le combat de Joseph Ratzinger : un entretien avec Peter Seewald

    IMPRIMER

    Du Catholic World Report :

    La vie, la foi et le combat de Joseph Ratzinger : Un entretien avec Peter Seewald

    Le journaliste allemand chevronné parle de sa nouvelle biographie de Benoît XVI et revient en détail sur l'enfance, la personnalité, l'éducation et le rôle de Joseph Ratzinger dans les événements clés de l'Église.

    1er janvier 2023

    Note : A l'occasion du décès de Joseph Ratzinger/Benoît XVI le 31 décembre, CWR publie à nouveau cette interview, publiée pour la première fois le 13 janvier 2021.

    Peter Seewald, journaliste allemand chevronné, a rencontré Joseph Ratzinger pour la première fois il y a près de trente ans. Depuis lors, il a publié deux livres à succès contenant des entretiens avec le cardinal Ratzinger - Salt of the Earth : Une interview exclusive sur l'état de l'Église à la fin du millénaire et Dieu et le monde : Believing and Living in Our Time, ainsi que Light of the World, paru en 2010 : The Pope, The Church and the Signs Of The Times (2010) et Benedict XVI (2017) : Last Testament-In His Own Words (2017).

    Il est également l'auteur de Benedict XVI : An Intimate Portrait, et de la photo-biographie intitulée Pope Benedict XVI : Serviteur de la Vérité.

    Son livre le plus récent est une biographie ambitieuse, en plusieurs volumes, du pape émérite. Le premier volume, intitulé Benedict XVI : A Life-Volume One : Youth in Nazi Germany to the Second Vatican Council 1927-1965, est disponible en anglais. (parue en français en mars 2022)

    M. Seewald a récemment correspondu avec Carl E. Olson, rédacteur en chef de CWR, au sujet de sa biographie de Benoît XVI, et a parlé en détail de l'enfance, de la personnalité, de l'éducation et du rôle de J. Ratzinger dans les événements clés de l'Église, en particulier le Concile Vatican II.

    CWR : Commençons par un peu de contexte. Quand et comment avez-vous fait la connaissance de Joseph Ratzinger ?

    Peter Seewald : Ma première rencontre avec le cardinal de l'époque remonte à novembre 1992. En tant qu'auteur du magazine Süddeutsche Zeitung, j'avais été chargé d'écrire un portrait du Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi (CDF). À l'époque, Ratzinger était déjà l'homme d'Église le plus recherché au monde, juste après le pape. Et le plus controversé. Les journalistes faisaient la queue pour obtenir une interview avec lui. J'ai eu la chance d'être reçu par lui. Apparemment, ma lettre de motivation avait suscité son intérêt, dans laquelle je promettais de m'efforcer d'être objectif. Et c'était effectivement ce que je voulais.

    CWR : Quel genre d'accès avez-vous eu avec lui au cours de cette période ?

    Seewald : Je n'étais pas un de ses fans, mais je me suis posé la question : Qui est vraiment Ratzinger ? Il était depuis longtemps catalogué comme le "Cardinal Panzer", le "Grand Inquisiteur", un type sinistre, donc un ennemi de la civilisation. Dès que l'on soufflait dans cette corne, on pouvait être absolument certain des applaudissements des collègues journalistes et du grand public.

    CWR : Qu'est-ce qui était différent chez vous ?

    Seewald : J'avais étudié au préalable les écrits de Ratzinger et surtout ses diagnostics de l'époque. Et j'ai été quelque peu stupéfait de constater que les analyses de Ratzinger sur l'évolution de la société avaient été largement confirmées. En outre, aucun des témoins contemporains que j'ai interrogés, camarades de classe, assistants, compagnons, qui connaissaient vraiment Ratzinger, n'a pu confirmer l'image du partisan de la ligne dure, au contraire. À l'exception de personnes comme Hans Küng et Jürgen Drewermann, ses opposants notoires. Bien sûr, je voulais aussi voir par moi-même, sur place, dans le bâtiment de l'ancienne Sainte Inquisition à Rome.

    Lire la suite

  • "Un Père de l’Église pour notre temps"

    IMPRIMER

    Du cardinal Julián Herranz en 2007 (source) :

    Un Père de l’Église pour notre temps

    L’été dernier, un étudiant, après avoir entendu l’homélie de Benoît XVI sur l’Eucharistie pendant la Journée mondiale de la Jeunesse, à Cologne, m’a dit: «Éminence, l’histoire dira que, cette fois-ci, les cardinaux ont choisi pour pape un Père de l’Église…». Je ne sais pas ce que diront les historiens de ce pontificat mais une chose est certaine, et je suis heureux de le rappeler à la veille du quatre-vingtième anniversaire du Pape: les Pères de l’Église, en Orient comme en Occident, étaient liés, comme nous le sommes aujourd’hui, aux événements de leur temps, mais ils les vivaient, l’âme emplie d’une particulière clairvoyance doctrinale et sociale. L’homme Ratzinger a montré, de façon remarquable, avant et après son élection à la chaire de Pierre, qu’il était de la même nature que les Pères. Je laisse à d’autres le soin de le démontrer avec de plus amples arguments et une plus grande richesse de détails. Je me limiterai, quant à moi, dans cet écrit fait pour présenter mes vœux, à évoquer trois situations ecclésiales dans lesquelles je me suis senti particulièrement en accord avec lui.

    La crise postconciliaire

    Ce que l’on a appelé “la crise postconciliaire” des vingt années 1965-1985 a vraiment été un phénomène paradoxal. Alors que l’Esprit Saint, dépassant les limites humaines, venait de répandre sur l’Église la très puissante lumière de Vatican II, s’ouvrit, dans de nombreux secteurs de l’Église, une dramatique période d’obscurité et de confusion profondes où se mêlèrent: un désir de moderniser la théologie et la foi en mettant Dieu en marge et l’homme au centre; une réduction, dans une perspective “temporelle”, du message évangélique de salut et, en conséquence, de la mission de l’Église; une nouvelle conception de l’identité sacerdotale qui conduisit beaucoup de prêtres à laïciser leur style de vie et qui provoqua une hémorragie de défections sacerdotales et religieuses; des expérimentations liturgiques incontrôlées et désacralisantes, faites au nom de ce que l’on disait être la “réforme voulue par le Concile”, et ainsi de suite. Dans un tel contexte, le mot “tridentin”, synonyme de “conservateur, rétrograde” prit pour beaucoup de gens une coloration péjorative presque insultante; et pendant ce temps, d’autres s’agrippaient à un traditionalisme réducteur de la vraie tradition chrétienne, qui était parfois même en opposition avec le magistère du Concile.

    «À l’égard des deux positions opposées», avertit alors le cardinal Ratzinger dans son fameux Rapport sur la foi, «il faut d’abord préciser que le Concile Vatican II est soutenu par la même autorité que le Concile Vatican I et que le Concile de Trente: c’est-à-dire par le Pape et le collège des évêques en communion avec lui. Il faut ensuite rappeler, du point de vue du contenu, que le Concile Vatican II se situe dans la stricte continuité des deux Conciles précédents et les reprend à la lettre sur des points décisifs». Je confesse qu’en lisant cette interview du préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi réalisée par Vittorio Messori, j’ai été profondément frappé par la courageuse clarté et par le réalisme lucide avec lesquels les déviations doctrinales et disciplinaires de la “crise postconciliaire” étaient exposées. Ce long entretien suscita de vives réactions sur les premières pages des journaux.

    J’eus l’occasion de parler de tout cela avec le cardinal, notamment dans un long entretien que j’eus avec lui le 14 janvier 1985, dans son bureau de la Congrégation. J’eus aussi la possibilité ce jour-là de lui décrire en détail l’attitude du fondateur de l’Opus Dei, Mgr Escrivá – dont la cause de canonisation était déjà ouverte –, face à la situation de l’Église dans cette crise dramatique. Je luis dis qu’en lisant son Rapport, j’avais trouvé dans de nombreux passages, exprimées dans un langage académique, les mêmes considérations théologiques et pastorales – considérations douloureuses, mais pleines d’espérance –, que celles que j’avais entendues dans les années Soixante et Soixante-dix de la bouche de Mgr Escrivá, parfois même lorsqu’il faisait à voix haute sa méditation personnelle dans la chapelle, devant le tabernacle. «Cela a été la réaction d’un grand fondateur et d’un saint prêtre», commenta Ratzinger.

    Lire la suite