De Robin Nitot sur le site de la Revue des Deux Mondes :
Paul Sugy : « Il faut prendre le projet antispéciste au sérieux »
Dans « L'Extinction de l'Homme : Le projet fou des antispécistes » (Tallandier, 2021), Paul Sugy fait un tour d'horizon de la pensée antispéciste et alerte sur le péril anthropologique qu'elle constitue.
Paul Sugy : C’est une idéologie qui a été forgée par des militants afin de servir la cause de la libération animale. Cette idéologie s’oppose à ce qu’elle appelle le « spécisme », autre néologisme qui désigne la discrimination des espèces et la préférence accordée aux humains par rapport aux autres formes de vie. L’antispécisme s’oppose à cette discrimination, en se calquant sur le modèle de la lutte contre le racisme ou le sexisme, et considère que tous les animaux sensibles ont un intérêt vital à ne pas souffrir. Par conséquent, pour eux, faire souffrir des animaux pour notre bien-être, pour notre consommation personnelle, correspond à une forme d’injustice et à une discrimination. Pour eux, c’est parce que les cochons ne sont pas des humains que nous nous permettons de les tuer.
L’antispécisme prône une plus large inclusion des animaux sensibles dans notre société, pour mettre fin à ce qu’ils appellent « l’oppression spéciste ». On peine évidemment à mesurer les conséquences politiques et juridiques que cela pourrait avoir, puisque cela supposerait de changer du tout au tout notre rapport aux animaux.
Revue des Deux Mondes : Quelles sont les racines intellectuelles de ce mouvement ?
Paul Sugy : L’antispécisme prolonge la très longue histoire du végétarisme, qui a au fond toujours existé. Depuis que les civilisations humaines ont fait de la viande non seulement un objet de consommation mais aussi un objet culturel et parfois, à l’époque, un objet religieux, il y a eu des contestations de ces traditions. Par exemple, le végétarisme antique a poussé Pythagore à s’en prendre très violemment à la consommation de viande, quasiment de manière blasphématoire puisqu’il remettait en cause les sacrifices d’animaux. Plus récemment, on a retrouvé cette critique chez les Lumières, précisément chez Voltaire qui prônait la fin de l’anthropocentrisme. Ce décentrement prépare l’arrivée au XIXe siècle de penseurs moralistes qui vont opérer un tournant radical dans la morale en décrétant que le bien correspond au plaisir et au bien-être, tandis que le mal correspond à la souffrance : c’est l’utilitarisme de Jeremy Bentham.
Peter Singer, l’un des initiateurs de la cause antispéciste, reprend à son compte cette philosophie en 1975 dans son livre La Libération animale. Il en fait le fondement de ce qui deviendra le mouvement antispéciste. Et aujourd’hui, l’antispécisme, après le stade moral et philosophique qu’il a passé ces dernières décennies, est rentré dans un stade politique, c’est-à-dire qu’il veut faire aboutir sa réflexion dans un projet de société révolutionnaire qui mènerait à la libération animale et à un nouveau système qui serait « zoopolitique », dans lequel les droits et les devoirs des animaux seraient garantis par la loi.






