
Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, vient de publier Le temps des saints, essai passionnant, lucide et courageux, dont l’objet est de fortifier la foi des fidèles parfois troublée par la situation présente dans l’Église. Entretien avec Christophe Geffroy dans La Nef (novembre 2023)
La Nef – La figure du prêtre a été mise à mal au XXe siècle, dites-vous : pourquoi, et comment concilier la nécessaire défense de la grandeur du sacerdoce sans tomber dans le cléricalisme ?
Mgr Marc Aillet – Le concile Vatican II a tant insisté, à juste titre, sur la place des fidèles laïcs dans la mission de l’Église, qu’on a pu avoir tendance à minimiser le rôle des prêtres. La contestation de l’autorité et les revendications démocratiques qui traversaient la société en pleine mutation, sous l’influence du marxisme, ont conduit à interpréter l’enseignement du concile de manière politique, ce que le pape Benoît XVI a désigné sous le nom d’herméneutique de la rupture, prétendant réduire la différence entre clercs et laïcs et engendrant une concurrence de pouvoirs entre eux. Aujourd’hui, les mêmes prennent prétexte des abus sexuels dans l’Église, pour remettre en cause l’identité du prêtre dans sa configuration ontologique au Christ-Prêtre, Tête et Pasteur de l’Église. Il faudrait en découdre avec cette « sacralisation » du prêtre que l’on dénonce sous le terme convenu de « cléricalisme ». Il faut tenir à l’identité du prêtre que nous recevons de l’Écriture sainte et de la tradition, tout en rappelant que si le prêtre est « mis à part » pour tenir la place du Christ, il n’est pas « séparé ». Le concile Vatican II a déjà répondu très clairement à la question, en envisageant les relations entre le sacerdoce ministériel des prêtres et le sacerdoce commun des fidèles, distincts non seulement de degré mais d’essence, sous le signe d’une complémentarité, en tant « qu’ordonnés l’un à l’autre » (cf. Lumen gentium n. 10). Pour échapper au cléricalisme, le prêtre méditera cette parole de saint Augustin : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien », autrement dit, je ne cesse pas comme ministre ordonné d’être un baptisé qui doit, avec ses frères, s’engager résolument dans un chemin de conversion et de sanctification. Là est le meilleur antidote au cléricalisme, sans perdre pour autant son identité, qui lui fait devoir d’enseigner, de sanctifier, et de gouverner le troupeau de Dieu avec l’autorité même du Christ.
En quoi le célibat des prêtres est-il important ? Pourquoi l’ordination d’hommes mariés n’est-elle pas une solution au manque de vocations ?
On a souvent dit que le célibat des prêtres n’était pas un dogme ! Certes, mais je soutiens quant à moi, au regard de l’histoire et de la théologie catholique du sacerdoce, qu’il est l’expression privilégiée de l’identité du prêtre. Le célibat a été imposé dans l’Église latine, certes tardivement (XIIe s.), mais c’était pour faciliter la continence des clercs qui, elle, remonte à l’époque apostolique. C’est d’ailleurs la forme de vie que le Christ a lui-même assumée, lui qui s’est désigné comme l’Époux de l’Église et qui s’est réservé tout entier dans la continence parfaite pour l’unique oblation de son corps qui sauve le monde. Il est plus que convenant pour le prêtre de vivre la continence parfaite, car il est configuré au Christ Époux de l’Église, appelé à donner toute sa vie pour elle, et à célébrer, dans la personne même du Christ, le sacrifice eucharistique : sinon, comment le prêtre pourrait-il prononcer en vérité les paroles de Jésus : « ceci est mon corps livré pour vous… Ceci est la coupe de mon sang versé pour vous… »
La pénurie des vocations vient d’un déclin de la foi au sein du peuple chrétien, et partant, d’un manque de confiance absolue en Dieu à qui l’on peut consacrer toute sa vie et qui donne la force d’en assumer toutes les conséquences existentielles. La vocation sacerdotale est une vocation au don total de soi à la suite du Christ. Le prêtre ne peut avoir un cœur partagé : être l’époux de l’Église et en même temps d’une femme. Les jeunes qui aspirent au sacerdoce, dans le contexte actuel, ne veulent pas se donner à moitié. Ce qui ne nous dispense pas d’une formation humaine qui soit à la hauteur d’un tel engagement.
Vous expliquez que le « problème des vocations » est d’abord une « crise d’engendrement » : pourriez-vous nous expliquer cela et en quoi est-il important pour vous d’avoir ouvert votre propre séminaire diocésain ?
Un prêtre ordonné à la fin des années soixante me confiait un jour, attristé : « Notre échec, c’est que nous n’avons pas réussi à ce que des jeunes deviennent prêtres comme nous. » Sans doute est-ce lié à une époque où les prêtres étaient pour beaucoup en crise d’identité, sous la poussée d’une mentalité de rupture avec le passé, parfois jusqu’à « tuer le père », ce qui ne les empêchait pas pour autant d’être généreux. Du coup, ils ont eu du mal à exercer une paternité. En revanche, combien de séminaristes, touchés par le témoignage de prêtres bien identifiés, enracinés dans la Tradition de l’Église, tout donnés au Seigneur et aux hommes, se sont dit : « J’aimerais être prêtres comme eux. » On ne peut nier que certaines personnalités sacerdotales ont pu engendrer, par attrait, des vocations.
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