De Loup Besmond de Senneville (envoyé spécial permanent à Rome) sur le site du journal La Croix :
Vatican : la communication du pape François sous haute tension
Enquête
Les propos chocs de François adressés aux employés en charge de la communication du Vatican, il y a deux semaines, ont mis au jour les différences de conception de l’appareil en charge de diffuser l’action du pape et du Saint-Siège.
8/06/2021
Les salariés de la communication vaticane se souviendront longtemps de cette visite du lundi 24 mai, qu’ils attendaient depuis le début du pontificat de François dans leurs bureaux romains du Palazzo Pio. Et de la douche froide ressentie en entendant ce jour-là le pape comparer la « belle organisation » des médias du Vatican– dont Radio Vatican, L’Osservatore Romano et le portail en ligne Vatican News – à une « montagne donnant naissance à une souris » en proie à une bureaucratie excessive.
Le choc a d’ailleurs été si fort que deux des principaux responsables du dicastère de la communication, Paolo Ruffini et Andrea Tornielli, ont songé dans les heures qui ont suivi à remettre leur démission. Avant de finalement y renoncer.
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Mais bien au-delà des questions de personnes, cette crise révèle des tensions de fond sur le mode de communication choisi par le Saint-Siège à travers son dicastère réformé. Première raison d’un malaise ressenti par certains : la personnalité du pape et ses choix.
Car François n’entend pas se limiter à son administration pour faire connaître son action. Quand il ne la court-circuite pas. Ce fut le cas plusieurs fois ces derniers mois, lorsqu’il donna plusieurs entretiens à des journalistes italiens, sans en aviser les responsables du dicastère.
Manque de stratégie
Comme ce samedi matin 2 janvier, lorsque la Gazzetta dello Sport, l’un des quotidiens sportifs les plus lus en Italie, publia un grand entretien avec le pape François. « Au petit matin, on a vu l’un des chefs courir au kiosque chercher le journal », se souvient l’un des journalistes de Vatican News. Il n’en faut pas beaucoup plus pour alimenter les soupçons de crise de confiance du pape envers ses services.
« Le pape ne veut pas recourir à l’institution, car il y voit une restriction de sa liberté, reconnaît l’un des responsables de la communication vaticane. En réalité, il ne semble pas vouloir se laisser aider, hormis par un cercle très restreint de conseillers proches de lui, mais qui ne sont pas les chefs du dicastère. » Mais la même source, qui travaille à Rome depuis des années, déplore aussi que la machinerie vaticane ne soit pas organisée pour relayer correctement les messages du pape, qui martèle pourtant les mêmes priorités depuis le début de son pontificat, comme l’attention aux pauvres, les migrants ou l’écologie.
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« Nous sommes organisés pour réagir, mais jamais pour anticiper, explique la même personne. Personne ne semble penser qu’il faudrait construire une stratégie autour des priorités du pape. » Elle pointe aussi du doigt les lourdeurs de l’appareil. « Si le pape fait une annonce imprévue depuis la fenêtre de la place Saint-Pierre, à l’angélus du dimanche, il faut attendre l’accord de la Secrétairerie d’État pour pouvoir retransmettre la phrase sur Twitter… »