De Christophe Geffroy dans la Nef via le Forum Catholique :
Dans son n°345 de Mars 2022, pp.13 à 15, La Nef publie un entretien avec Yves Chiron à l'occasion de la sortie de son livre consacré aux Traditionalistes.
Extraits.
La Nef – D’où viennent les traditionalistes, qui sont-ils et que défendent- ils ?
Yves Chiron – Le qualificatif « traditionalistes » apparaît dans le Magistère avec la Lettre sur le Sillon de saint Pie X, en 1910. Le pape affirmait : « les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires ni novateurs mais traditionalistes. » Le qualificatif existait déjà depuis plu- sieurs décennies. Émile Poulat a attiré l’attention sur un courant spécifique : la contre-révolution catholique, c’est-à-dire les catholiques (prêtres, évêques ou laïcs) qui, tout au long du XIXe siècle et au XXe siècle, ont été hostiles à la Révolution et à ses suites, non d’abord par nostalgie du roi mais par refus des principes de 1789. Les contre-révolutionnaires catholiques étaient hostiles au libéralisme intellectuel et moral, c’est naturellement qu’ils sont devenus anti-modernistes, anti-progressistes, etc. (...)
En quoi le concile Vatican II marque-t-il réellement le développement du courant traditionaliste ?
Le traditionalisme est antérieur au concile Va- tican II, qu’on se reporte à la Pensée catholique de l’abbé Luc Lefèvre et à la Cité catholique de Jean Ousset, nées dans l’après-guerre, ou aux combats que l’abbé Georges de Nantes engage dès les années 1950. Mais le concile Vatican II a été un catalyseur. C’est plus ce que j’ai appelé le « péri-concile » (ce qui se disait et s’écrivait avant, pendant et après le concile) et certaines applications du concile qui ont d’abord été contestés que les textes mêmes du concile. Dès cette époque, et plus encore après, et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de front uni des traditionalistes face au concile. L’abbé de Nantes, à travers sa critique du MASDU, est sans doute le premier, avec les sédévacantistes (nés au Mexique), à refuser la totalité du concile. En revanche, dès l’époque du concile, certains – la Pensée catholique, par exemple – cherchent à défendre l’orthodoxie et la légitimité des textes officiellement promulgués contre l’interprétation et l’application qui en sont faites. (...)
Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X (FSPX) vont vite polariser l’attention: pourquoi se lance-t-il dans la bataille et en vient-il à tenir des propos et des positions de plus en plus extrêmes contre la messe, le concile, le pape lui-même...?
Mgr Lefebvre a été, pendant le concile, un des chefs de file de ce qu’on appelait la « minorité », c’est-à-dire ceux qui, principalement à travers le Cœtus Internationalis Patrum (CIP), militaient pour des réaffirmations doctrinales ou la condamnation de diverses erreurs face à des textes ambigus ou des propositions trop audacieuses. Mais il ne mettra en cause publique- ment le concile que plusieurs années plus tard.
Sur la réforme liturgique, également, il n’a pas eu d’emblée une position hostile. Lors de la consultation de l’épiscopat avant le concile, en 1959, il est favorable à « un élargissement de la possibilité de célébrer la messe le soir ». Par la suite, lors des premières mises en œuvre de la réforme liturgique, il n’est pas hostile à l’introduction de la langue vernaculaire dans certaines parties de la messe, mais dès janvier 1964 aussi il s’alarme des « initiatives les plus invraisemblables » et il s’indigne que dans nombre d’églises « les règles liturgiques sont impunément violées ».
Les positions radicales de Mgr Lefebvre ne rendaient-elles pas la rupture avec Rome en 1988 inéluctable?
Entre 1965 – fin du concile – et 1988 – date de sa décision de sacrer des évêques sans le consentement de Rome –, il s’est passé plus de vingt ans. Le concile Vatican II n’a pas porté immédiatement les fruits que beaucoup espéraient, Paul VI lui-même en a été attristé et l’a publiquement regretté à plusieurs reprises. La crise qu’a connue l’Église, et qui avait commencé avant le concile il faut le rappeler, a été à son paroxysme dans les années 1970. Il y a eu, si l’on peut dire, une radicalisation parallèle de Mgr Lefebvre. Et il n’a pas accordé crédit à la restauration qu’ont tentée ensuite le pape Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger (le « plan Ratzinger » en 1982, les conférences sur le catéchisme en 1983, l’Entre- tien sur la foi en 1985, etc.). Ses adversaires diront qu’en 1988 Mgr Lefebvre avait perdu « le sens de l’Église », on peut dire, au minimum, qu’il n’avait plus confiance en Rome. (...)