De Philippe de Labriolle sur le site de l'Homme Nouveau dans Tribune libre :
Requiem pour une chrétienté défunte ? Contre-point au dernier livre de Chantal Delsol

Chantal Delsol, philosophe spécialiste de l’Antiquité gréco-romaine, élève de Julien Freund, a infléchi en cours de carrière sa passion spéculative vers l’étude de la pensée contemporaine. Professeur des Universités, désormais émérite, elle a publié de nombreux essais dont la tenue intellectuelle et la hauteur de vue lui ont valu d’être élue, en 2009, à l’Académie des sciences morales et politiques. Le dernier en date : La fin de la chrétienté, vient de paraître aux éditions du Cerf.
Cette catholique, mère de six enfants (dont un adoptif), élevée dans un milieu favorisé du Lyonnais, n’a jamais caché son aversion pour le communisme, lequel était encore, durant ses études, l’opium des intellectuels, selon l’expression heureuse de Raymond Aron. Libérale-conservatrice, selon ses dires, soutien discret mais fidèle des choix de société cruciaux tels que le refus du mariage pour tous, ou la dénonciation de l’effondrement général du niveau scolaire, cette observatrice attentive de ses semblables jouit d’un crédit notable auprès des milieux catholiques soucieux de le rester.
Un livre accessible et… décevant
Cette Fin de la Chrétienté méritait donc l’étude, en raison de l’excellente réception dont l’ouvrage a fait l’objet, d’une part, et de son contenu, provocateur plus encore que décevant, d’autre part. Son succès tient aussi à son accessibilité. En 170 pages lisibles par un presbyte assis sur ses lunettes, l’affaire est conclue. La Chrétienté n’est pas l’Eglise. « Il s’agit de la civilisation inspirée, ordonnée, guidée par l’Eglise ». Elle a duré 16 siècles, de l’Edit de Milan à la dépénalisation de l’IVG. Elle est désormais défunte. Elle a lassé les peuples qu’elle animait, et savez-vous de quelle façon ? « Nous avons profané l’idée de vérité, à force de vouloir à tout prix identifier la Foi à un savoir » (p.125). Cet abus aurait précipité sa fin. La croyez-vous inconsolable de ce désastre ? Que nenni : « Renoncer à la Chrétienté n’est pas un sacrifice douloureux. » (p.170). In cauda venenum.
En clair, la Chrétienté serait morte de s’être prise au sérieux. L’harmonie entre l’Eglise et la cité chrétienne n’aurait pas survécu à la tyrannie de la vérité, aggravée du refus radical de la Modernité. Cette thèse choyée des novateurs, sans discontinuité depuis les abbés démocrates du XIXe siècle et les modernistes de la Belle Epoque jusqu’à nos jours, pourrait suffire à remiser l’ouvrage, si n’était en question le sens de ce nouvel assaut de la part d’une érudite passant pour proche des milieux traditionnels. A vrai dire, si la thèse n’est pas neuve, et sauf à n’être pas comprise, il n’était pas d’usage, dans nos rangs, qu’elle soit applaudie !