Lu sur le site web du mensuel « La Nef » :
« Le confinement a été l’occasion de débats sur la place et l’importance de la messe pour les fidèles qui en ont été privés pour un temps qui leur a paru bien long. Au-delà des divergences que l’on peut avoir, il nous a semblé intéressant d’interroger sur cette question un historien et sociologue, et le nom de Yann Raison du Cleuziou s’imposait tant il est aujourd’hui, avec Guillaume Cuchet, l’un des plus fins observateurs du catholicisme français, auteur d’ouvrages remarqués sur la sociologie de l’Église de France. Cette analyse, sociologique et donc extérieure à la foi, interroge le croyant malgré les limites inhérentes à ce genre d’approche. Il nous faudra revenir sur ces questions essentielles. – C.G.
Le confinement a révélé chez une partie des catholiques pratiquants un fort attachement au culte, soutenus en cela par quelques évêques, alors qu’une autre partie de catholiques a jugé inapproprié et même infantile la demande de messe en plein confinement : que pensez-vous de ces divergences ?
Yann Raison du Cleuziou – La messe est un observatoire privilégié des clivages internes au catholicisme. Il faut tout d’abord rappeler que si 53,8 % des Français (18 ans et +) se déclarent catholiques, seulement 1,8 % vont à la messe chaque semaine, 2,3 % plusieurs fois par mois, 2,5 % à l’occasion de grands rassemblements (Lourdes, Frat), 11 % uniquement pour les fêtes saisonnières (Pâques, Noël). Les messes qui touchent la plus large population sont privatives (baptême, mariage, funérailles) (1). Par ailleurs si on demande aux Français s’ils s’estiment pratiquants, 8 % environ d’entre eux revendiquent cette qualification. Ces quelques chiffres permettent de mesurer la grande hétérogénéité de la place accordée à la messe dominicale parmi les catholiques. Je crois qu’il est important de rappeler cette complexité parce que la plupart des catholiques l’ignorent. En effet, les recompositions affinitaires de la pratique et les réseaux sociaux, enferment la plupart des catholiques dans le cercle du même, ce qui leur donne l’impression d’être la norme alors qu’ils ne sont qu’un îlot d’un archipel.
Le sentiment de privation de la messe ne concerne donc qu’une faible partie des catholiques. Mais ces derniers sont divisés. Même en dehors d’un contexte pandémique, pris dans une liturgie commune, les fidèles ne prêtent pas attention aux mêmes choses et vivent des expériences différentes. Les manières dont ils vérifient l’authenticité d’une messe comme dispositif de mise en relation avec Dieu reposent sur des critères différents que j’ai retrouvés sans surprise au cœur des controverses récentes sur la suspension des messes. Il serait caricatural de résumer l’opposition à une tension entre piété individuelle et service du « prochain ».