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L'antispécisme ou le début d'une barbarie nouvelle
Pour la philosophe Chantal Delsol, prétendre que les animaux sont des personnes revient non pas à les élever mais à diminuer le statut de la personne humaine.
Chaque annonce de mauvais traitements sur les animaux enclenche une vague d'antispécisme, comme si à un excès devait répondre toujours un autre excès. Qu'est-ce que l'antispécisme ? C'est l'idée selon laquelle la distinction entre les animaux et les hommes équivaudrait à une forme de racisme. De même que nous avons fini par comprendre que les Noirs et les Blancs appartiennent à la même espèce, la modernité consisterait à présent à comprendre que les animaux et les hommes appartiennent à la même espèce des vivants sensibles. Et donc de les traiter également.
Il y a là un emballement vertigineux et déréglé de l'indifférenciation à l'œuvre dans la postmodernité - aucune distinction n'existe plus car elle serait discrimination : entre les cultures, entre les sexes, ici entre les vivants. La volonté d'aplanir la distinction entre l'homme et l'animal répond au dégoût devant l'humanisme occidental, dégoût bien porté depuis la Seconde Guerre - quand Michel Tournier entendit que Sartre revendiquait l'humanisme, il s'écria : "Nous étions atterrés. Ainsi notre maître ramassait dans la poubelle où nous l'avions enfouie cette ganache éculée." L'humanisme, cette "ganache éculée", signifie que l'homme a plus de valeur que l'animal, à l'origine parce qu'il est fait à l'image de Dieu, plus tard parce qu'il est libre et responsable.
Il faut souligner que l'humanisme occidental a des torts. Depuis plusieurs siècles (et probablement depuis Descartes) il a exagéré les séparations au point de les rendre ridicules : n'a-t-on pas considéré les animaux comme des objets ? Ne s'imagine-t-on pas aujourd'hui que l'on peut produire des animaux au lieu de les élever ? D'ailleurs on ne voit, et heureusement, aucune voix s'élever pour défendre des méthodes consistant à torturer les animaux ou à les traiter cyniquement. La difficulté, en pareil cas comme toujours, consiste à ne pas tomber dans l'excès inverse, à ne pas conclure, devant certains abattoirs barbares, que les animaux sont des hommes comme nous, et que nous sommes des animaux comme les autres.