Du site de l'hebdomadaire "la Vie" :
Saint Louis était-il antisémite ?
Interview Sixtine Chartier
L’antisémitisme est un concept récent qui ne s’applique pas forcément à Saint Louis. On peut le qualifier plutôt d’anti-juif, c’est-à-dire développant une forme d’hostilité envers les juifs essentiellement fondée sur des motifs religieux. Comme tout chrétien, il a été élevé dans l’anti-judaïsme, qui participait de sa foi et de sa piété de « roi très chrétien ». Il a reçu une éducation assez rudimentaire de ce point de vue. Ce n’était pas un intellectuel ou un monarque éclairé, contrairement à d’autres rois de son temps. À plusieurs moments de son règne, Louis IX a effectivement pris des mesures en direction des juifs. De ce point de vue, il n’est pas en rupture avec ses prédécesseurs. Avant lui, Philippe Auguste avait expulsé les juifs de son domaine royal. Ce n’est pas le cas de Louis IX qui a pris des mesures qui peuvent pour certaines d’entre elles paraître « intégratrices », même si ce terme n’a pas de sens au Moyen Âge puisqu’on est dans une société par nature discriminante. Il s’agissait d’essayer de contrôler leurs activés économiques, de les détourner du commerce, du prêt d’argent. Ces mesures s’inscrivaient dans une politique de roi chrétien, dans un contexte de centralisation du royaume de France au XIIIe siècle.
« Comment se fait-il que dans l'hémicycle au Sénat on ait une statue du prétendu Saint Louis, que nous appelons Louis IX, lui qui a inventé le port d'un signe distinctif pour les juifs et brûlé des Torah ? Déboulonnons ! », s’est insurgé Jean-Luc Mélenchon le 21 septembre dernier lors du lancement de l’institut La Boétie. Est-ce juste d’un point de vue historique ?
Ce que dit Jean-Luc Mélenchon est faux. Ce sont des contrevérités historiques. Louis IX n’a pas inventé le signe distinctif pour les juifs, la rouelle. C’est une création de la papauté. En 1215, sous le pape Innocent III, le canon 68 du concile de Latran IV instaure l’obligation pour « les juifs et les sarrasins » de porter un signe distinctif, le signum en latin, sans précision sur la forme de ce signe. La finalité de cette mesure est d’éviter les unions mixtes. Après le concile, Innocent III indique dans des lettres envoyées aux évêques que cette mesure ne doit pas mettre les juifs en danger. Dans les décennies suivantes, la mesure est reprise dans les conciles provinciaux un peu partout en Occident en précisant un peu la forme que devra prendre ce signum : un chapeau pointu ici, une pièce de tissu circulaire (la rouelle) là... En 1258, le pape Alexandre III envoie une lettre à Louis IX pour lui demander pourquoi cette mesure n’est pas appliquée dans le royaume de France. Ce n’est qu’en 1269, à la fin de son règne, que la mesure est instaurée dans le royaume.